Carlos Maza
Le volcan qui s’éveille
Il a toute la jeunesse du monde dans l’océan de son piano, Carlos Maza jeune prodige et déjà éternel errant.
II a vécu dans le mouvement même de l’errance, né au Chili après les années de plomb du sombre Pinochet, il est exilé politique, âgé seulement d’un an et demi. Puis ce fut la France, le sud de la France, mais avec en tête la douleur de l’exil et l’espoir du retour.
L’appel du monde latin est si fort qu’il traverse les mers et se retrouve à Cuba, dont il fait sa seconde patrie.
Là il s’immerge dans les traditions populaires cubaines, mais aussi, il apprend à naviguer entre les partitions des grands compositeurs classiques.
Il forge alors son paysage musical avec tous les matériaux mélangés, indéfinissables où chansons de bal, musique contemporaine, jazz, musique classique mêlent leurs effluves.
Jeune cheval fou sur les grèves de la musique, Carlos Maza refuse toute notion d’école musicale, de mode ou même de tradition. II recueille les bruits du monde, les mélange et les transfigure "en une alchimie unique créant une musique strictement personnelle."
Son piano déborde de lyrisme torrentiel et il faut s’assurer contre les dégâts des eaux quand on le programme.
Carlos Maza est encore un torrent impétueux et avant d’arriver à la mer, il a le temps de s’assagir, de se construire un style.
Pour l’instant il avance, avec quelques références remémorées, quelques traces d’éclats musicaux dans la tête, mais en refusant la sagesse des parvenus en s’enfermant dans un style ou une forme.
Son piano est ouvert, et il y passe bien des vols d’oiseaux migrateurs.
La poésie évidente de sa musique, néanmoins extrêmement élaborée et construite, a vite séduit. Et sa reconnaissance fut fulgurante, disques et tournées s’enchaînent.
Tous les hauts lieux du jazz l’ont accueilli. Comme l’écrit merveilleusement son ami Francisco Cruz :
"Carlos Maza rêva un jour crépusculaire de devenir un chanteur s’accompagnant de sa guitare. La vie a fait de lui un remarquable pianiste, au jeu aussi impressionniste qu’expressionniste, volcanique et éthéré, orageux et alcyonique, qui joue à chaque note son existence, celle d’un être d’intervalle en silence suspendu".
De ses anciens rêves de troubadour reste son amour pour les cordes et une voix qui s’envole chantant les mélodies jouées par la main droite ; de son histoire "concrète", les attaques impromptues, abruptes, imposantes, comme un principe de réalité martelé par la main gauche.
Mais Maza ne joue pas de piano avec ses doigts pour exposer une virtuosité épurée ou une technique épatante. Son jeu ne démontre rien. Il dévoile, exprime, met à nu. Le pianiste joue avec son corps, son âme, sa psyché, jusqu’à abolir la distance entre lui et l’instrument.
Dans cet espace magique, les compositions crient, susurrent, chuchotent, pleurent, se taisent, pour finalement rire, avec "l’innocence" d’un enfant, comme un éclat l’espoir monde toujours autre".
La musique de Carlos Maza est une éruption, mais aussi une méditation sur l’errance.
Cette jeunesse inventive de la musique, cette énergie non canalisée, c’est Carlos Maza, volcan naissant du jazz.
Gil Pressnitzer