Colette Magny

L’éléphant en colère

J’aim’rais être du pays où ce n’est pas le drapeau que l’on aime porter haut...J’aim’rais être du pays où c’est la pensée que l’on préfère comme drapeau...
Si Colette Magny n’avait pas fait don de sa voix aux opprimés elle aurait fait une éblouissante carrière comme chanteuse de blues et du reste. Mais voilà la Colette elle ne transigeait pas et sur les barricades de la chanson elle jetait ses pavés.
Ce n’était plus une chanteuse engagée mais une chanteuse citoyenne. Comme un hippopotame en colère elle fonçait sur les préjugés.

Elle pouvait réciter l’alphabet ou le bottin (pas mondain bien sûr), sa voix des plus profonds Mississipi enfouis en nous, rendait tout nécessaire et évident. D’ailleurs elle chantait "La marche", définition chantée du Larousse. Ou le petit Quinquin !

Chanteuse qui déménage, les vieux greniers des habitudes et des conventions, elle allait de l’avant, tête baissée, cœur ouvert. Maudissant les médias qui ne voyaient en elle qu’une négresse blanche chantant le blues et refusaient "la politique", c’est-à-dire la vie du citoyen dans la cité. Elle aura été de tous les combats, sans toujours beaucoup de lucidité, emportée par sa flamme révolutionnaire préférant les guillotines aux livres.

Elle était plus gauchiste qu’anarchiste et elle a eu ce mot merveilleux :
« Que faire ?
comme disait Lénine avant de déraper sur le verglas. » (Colette Magny).

Car Colette Magny c’était aussi un rire énorme, donc disproportionné.

Elle hurlait Antonin Artaud, fils d’une société suicidaire, elle empoignait Mélocoton. Elle chantait l’hymne des Blacks Panthers ou les arbres lourds de pendus de Strange Fruit, mais aussi dans le même souffle, et quel souffle, Verlaine sur une musique de Fauré, la Chanson de la plus haute Tour de Rimbaud et Louise Labbé. Et bien sûr Aragon et Hugo ! Mais aussi de simples lettres de grand-mère à sa fille. Le pouvoir émotionnel de sa voix n’a presque pas d’équivalent en France.
Elle m’a toujours fait penser à Odetta, chanteuse américaine aussi prégnante et émouvante. Colette Magny avait l’énergie dévastatrice de la colère et de l’amour.

Lui téléphoner vers la fin des années 1990 revenait à recevoir une bordée d’injures. On était tous coupables de l’avoir ainsi oubliée mais quelle gratitude de passer avec elles des heures au téléphone. Et elle faisait tout pour rendre tout engagement impossible. Elle vous parlait de l’injustice du monde mais aussi de ses peintures. Puis elle se repliait encore plus.

Du cordon sanitaire fait par tous pour l’empêcher d’être entendu par le peuple, de peur de la contagion et de la subversion. Ils ont bien réussi et la radio ne l’aura jamais quasiment diffusé, de peur de la maladie honteuse qui s’appelle la liberté.

Énorme elle devenait l’image de la déesse Terre qui parlait de ses entrailles par sa voix, elle se nommait elle-même le pachyderme et disait qu’elle en avait ras la trompe d e toutes ces saloperies. Sa voix était bouleversante, une des voix du siècle. Elle s’en foutait. Elle n’était pas contestataire, elle était révoltée.
"Je rêve d’une grève générale mondiale qui empêcherait de sévir les quelques monstrueux crétins ".

Elle devra se taire. Intègre jusqu’au fanatisme elle mettra sa vie en harmonie avec son chant.
" Si on ne me laisse pas chanter ce que je veux, je préfère me taire ".
Elle se tut et ses colères mémorables restaient à mijoter en elle.

Elle était tout entière dans sa soif de justice, de solidarité, de fraternité. Sa vie est peu connue. Née à Paris, elle travaille pendant 17 ans en tant que secrétaire dans un organisme international, l’Unesco, puis elle décide de se consacrer à la chanson. Elle se produit dans les cabarets en 1962, et en 1963 elle fait l’Olympia avec Claude François et Sylvie Vartan.
Mais ce n’était ni sa route ni sa vérité, et elle s’engage corps et voix pour la révolution, le tiers-mondisme, les mouvements ouvriers. Puissante était sa voix, puissante ses convictions, et il ne fallait pas oser la contredire, on prenait un coup de trompe.

Lancée dans le jazz le plus free, le rock progressif, l’improvisation bouillonnante, ou les ballades les plus nues, elle passait des chansons pour Titine bluesy à des imprécations contre la guerre du Vietnam ou du Chili, avec de terribles témoignages en chansons. Elle se mêlait aux forces vives du jazz (Workshop de Lyon, Texier, Raymond Boni, François Tusques....) en improvisant simple instrument vocal dans un grand tout.

Un jour elle en a eu marre et a claqué la porte, Colette s’est barré un 12 juin 1997. À nous de nous souvenir de cette folle énergie, de cette aventure vibrante qui a fait d’une secrétaire sans aucune formation musicale, la chanteuse la plus lyrique, la plus musicale de son temps. Tous les grands musiciens ont voulu l’accompagner. Et pourtant qui se souvient encore qu’elle était interdite de diffusion à la radio, et de sa fin misérable dans un hospice.

Elle aura inventé le blues blanc, sorte de Bessie Smith enragée. Elle était une montagne en marche.

"Colette Magny, c’était une grande. Elle aurait pu avoir une renommée plus importante, elle avait une grande aura, mais elle avait de grandes exigences, dans ses textes comme dans les musiques. Ce n’était pas de la chansonnette. Elle a choisi une voie originale, à elle, un peu en dehors de la chanson française." (Ferrat).

Gil Pressnitzer