Dianne Reeves

Un petit éclat de lune

Dianne Reeves en concert, c’est un vent chaud, une orchidée noire qui se déploie. Elle chante sa joie de chanter avec son quartet. Ce groupe lui offre un écrin pour sa voix qui plane très haut au-dessus des nuages de la musique. Cette voix de louve scatte à la lune avec son timbre clair qui s’enroule autour des standards et fait pousser des racines aux ciels.

Délaissant le binaire et les sons électriques, les variétés aussi qui l’ont trop retenue dans leurs ventres chauds, elle retrouve ses racines africaines, chantant aussi bien le calme après la tempête, que les rencontres.
Dianne Reeves est un fauve sur scène. Sa trajectoire vient de loin, et elle peut avec cet élan bondir plus haut que bien d’autres.

D’abord plongée dans le gospel, puis le jazz par son mentor éclairé, Clark Terry, elle est partie à l’aventure sur des terres bien peu battues par le vent du jazz, mais plutôt fouettées par les cyclones binaires et l’argent facile. On l’a connue très jazz-rock, rhythm and blues, voire carrément variétés avec Harry Belafonte, mais de toutes ses influences, elle a fait son miel, et retrouvant des racines afro-américaines, les émerveillements d’Amérique du Sud sous les balancements brésiliens. Elle est cette femme noire profonde et magnifique qui nous balance dans sa houle, mieux que les océans. De musicienne multiple, elle est devenue unique car elle est habitée, fruit mûr de tant de nuits, et voici incarnée une telle voix, une telle présence, une telle beauté noire du timbre.

Cette énergie et cette sensualité nous apportent un jazz remuant avec le plaisir et la chaleur des clubs, car Dianne Reeves est la volupté même. Alors que ses disques, plus froids, ne rendent pas compte de ses flammes noires et caressantes.

Depuis ses fulgurantes apparitions à Marciac, et son concert du 14 mai 1997 au New Morning, nous savons qu’une immense chanteuse est arrivée à maturité. Seule, simplement protégée du néant et du public par le garde­- fou de son trio, elle s’aventure sur le fil tendu d’une musique aussi vieille que le souffle de la terre. Chanteuse d’après le déluge du jazz, Dianne Reeves est superbe tout :·simplement. La nuit se tait et sa voix brille, qu’elle cueille chaque mot comme un fruit unique, ou qu’elle scatte vertigineusement. Dianne Reeves poursuit son chemin. Sur sa route, elle a vu passer quelques météores consumés par le trop d’air du paraître, mais elle, depuis près de trente ans qu’elle chante, elle se déploie dans le temps, apaisée après l’orage.

Avec son trio piano, contrebasse et batterie toujours aux aguets de sa voix, elle sait dans un répertoire varié, être absolument unique. Jamais, même dans la Sainte­Trinité des chanteuses (Sainte Billie, Sainte Ella, Sainte Sarah), quelqu’un avait aussi dit de façon aussi féline, aussi personnelle les insondables notes de Body and Soul ou Yesterdays.

Chaque mot devient un grain lourd de suc et de larmes dépassées.

Dianne Reeves improvise et ornemente comme presque aucune chanteuse actuelle n’en est capable sur des standards ou sur ses textes et musiques.
Dianne Reeves fait renaître le lyrisme, et ne s’enferme dans aucune frontière: de la mélopée traditionnelle qui peut surgir à un détour de note, au déhanchement brésilien de sa voix, tout vibre, depuis qu’elle a laissé le vent de l’Afrique gonfler sa voile. Et toujours cette recherche du sens, de la spiritualité l’anime. Elle n’est pas une chanteuse avec divertissement, mais un bout de femme qui croit à ce qu’elle chante, sans avoir à vamper le public. Musicienne du monde, parlant aussi bien de son enfance (Nine) que du romantisme d’une Afrique rêvée, mais aussi d’une rage parfois aussi, de tendresse toujours.

Je me souviens d’une belle colère dans ma voiture quand je l’accompagnais à une répétition, j’ai su la profondeur du mot « tigresse » ce jour-là.

Pas de trucs, pas de tics, une immense chanteuse est là, parfois silencieuse sur son tabouret, pour écouter ses musiciens ou la musique des étoiles qui se répercute en elle, mémoires et émotions mêlées. En quittant la salle où est passée Dianne Reeves, on se retourne pour sourire encore à sa présence qui habitait tantôt la scène. Et une fois, oui il y aura certainement une fois, où passé minuit, sa voix tournera dans la cage l’écureuil de votre tête. Dianne est fraternelle, multiple, pleine d’humour aussi dans un spectacle.

C’est une belle fontaine de jazz qui nous est donnée, et la chanteuse habillée des textures des vibrations et de l’émotion dévoile ses dons de sorcière. Ils sont infinis comme le pressentait Miles Davis.

Gil Pressnitzer