Gabriel Fauré

Sonate pour Violon et Piano n° 1 en La majeur, Op. 13

Le premier manifeste de la musique de chambre à la française

Gabriel Fauré, à force d’avoir été ânonné dans tous les conservatoires de France, et pris comme règle immuable de l’harmonie à la française, a fini par être fossilisé par l’histoire. Et son œuvre est peu jouée, incomprise, et en tout cas ignorée.
Souvent réduite à l’univers de la mélodie française, son œuvre aussi essentielle de musique de chambre réémerge lentement, dégagée de l’image terrorisante du vieux professeur de conservatoire, du "conservateur", qu’il semblait être du bon goût français. Pourtant il commença dès 1875 par de la musique de chambre et son dernier souffle musical sera le curieux quatuor à cordes op. 121.

Fauré composa deux sonates pour violon et piano aux deux extrémités de son âge, la première en 1875, et la seconde en 1916.

La sonate en la majeur, la première jeta en fait les fondations de la musique de chambre française.
À trente ans, Fauré tout en s’appuyant sur les schémas les plus classiques, risque une confrontation directe avec la musique de chambre germanique (Brahms !).
Bien sûr ce défi ne tourne pas en sa faveur, mais le jeune Fauré aura essayé, neuf ans avant la "Sonate" de Franck, et malgré les efforts nationalistes et souvent vains de Lalo, Saint-Saëns, malgré la création du groupe de la Société Nationale, machine à fabriquer de la bonne musique sérieuse, estampillée France à 100 %, pour clouer le bec au monde germanique. Et sa tentative demeure le premier manifeste digne de ce nom.

Composée en Normandie durant l’été 1875, la première sonate fut très tôt éditée, et jouée, bien sûr, avec un immense succès, car portée aux nues par la vieille garde des gardiens de l’orthodoxie.
"M. Fauré s’est placé d’un bond au niveau des plus grands maîtres" (Saint-Saëns).

La seconde, la superbe sonate op. 108, œuvre de maturité et très personnelle ne sera elle accueillie qu’avec indifférence.

Aussi donc, comme un manifeste d’Hernani, la première sonate de Fauré, se penche sur des principes de clarté et de luminosité propres à ce que l’on croyait être l’essence de la musique française.
Elle se pose surtout les problèmes des relations violon-piano, et surtout de la technique particulière du violon.
Suivi pas à pas par un virtuose, Fauré fait ses gammes, loin de ce qui fera plus tard sa marque propre : un son ondoyant et intemporel.

Pour le moment le jeune Fauré est plus proche de la musique de salon. À la même époque il écrit des recueils de mélodies, ses premières nocturnes, quelques barcarolles.
Et l’on retrouve effectivement cette houle lente, ce rythme berceur, ces harmonies irisées présentes dans ces autres œuvres.
Mais en fait cette musique patriotique doit beaucoup, vraiment beaucoup, à Schumann et à ses balancements. Mais toute douleur est ici évacuée, toute folie aussi, et il ne reste que la volonté de séduire, de charmer, de captiver par de délicieux imprévus.
Nous sommes bien dans l’univers des salons de Madame Verdurin décrit par Proust, et non pas dans les méandres d’une quelconque forêt. Cette grâce, si proche parfois de la mièvrerie, était l’esthétique de l’époque, et Fauré, poussé par son redoutable parrain Camille Saint-Saëns, devait passer par là. Plus tard il ira bien plus haut.

Cette sonate de près de vingt-cinq minutes comprend, en respectant pieusement toutes les règles classiques, quatre mouvements :

Allegro molto Andante - Allegro vivo - Allegro quasi presto.

Le premier mouvement exposé deux thèmes assez proches l’un de l’autre, mais qui portent en eux déjà la marque fauréenne la sinuosité. Une certaine emphase, ou plutôt ampleur, est présente. Le violon est chargé du lyrisme, de la beauté du chant, le piano des ancrages romantiques.

L’andante est frère jumeau des barcarolles, et sa forme lied-sonate dégage un certain mystère, et l’utilisation intense du chromatisme se rapproche aussi de l’univers mélodique par un climat instable et rêveur. Ce nocturne presque schumannien est le moment le plus émouvant de la sonate avec un violon qui frissonne, un piano qui le soutient à peine.

l’Allegro vivo joue le rôle du scherzo, et s’appuie sur une certaine jubilation rythmique, mais contrôlé tout de même, comme il se doit entre gens de bonne compagnie.

C’est le morceau de bravoure pour le violon avec de faux effets tziganes.

Le final de forme, sonate trouve le climat du début, enjôleur, mais avec des éclats plus passionnés, avec des passages tournoyants et un feu d’artifice final.

Cette sonate vous donnera peut-être l’envie d’aller plus loin dans Fauré et bien des merveilles vous attendent alors, Quintette, quatuor avec pianos…

Gil Pressnitzer