Giovanni Battista Pergolese (1710 - 1736)

Stabat Mater (1736)

Auréolé de cette gloire romantique de ceux qui meurent très jeune,- le 16 mars 1736 à 26 ans, "d’un mal de poitrine", miné par la tuberculose -, Pergolèse n’est pourtant pas l’ange de la mort que l’on décrit.
On l’a représenté en ange éthéré, beau comme un dieu, alors qu’il était boiteux et assez laid. De plus il était porté naturellement plus vers la furie comique napolitaine que vers la ponction religieuse.
Acteur permanent de l’opéra de Naples, il est profondément napolitain dans sa vocalité et son débordement mélodique, et aussi de l’opéra de Rome, il laissa une œuvre importante de près de 40 compositions (dix opéras). Certes on lui en attribue près de 200 mais ce sont des faux. Stravinsky aura beaucoup fait pour sa redécouverte en le pillant dans son œuvre Pulcinella. Pergolèse est un pur produit du conservatoire de Naples.
Pergolèse fut violoniste, compositeur (son maître fut Francesco Durante), maître de chapelle au conservatoire, chanteur.
«Jersi» Pergolesi, comme on l’appelait aimait la voix par-dessus tout, comme tout bon napolitain. L’opéra, ("L’ Olimpiade", "La serva padrona", "Il Flaminio"...) était sa passion. Il fut un compositeur précoce ainsi déjà célèbre à 16 ans il écrit un Salve Regina et deux oratorios.

Fraîcheur intense, grâce préfigurant Mozart, musique ailée et qui sait aussi se faire fervente, tous ces attributs font de Pergolèse un très grand compositeur. Simple dans son expression, élevé dans sa musique, il laisse une forte empreinte musicale. Rarement une telle limpidité en musique fut donnée. La légende s’est vite emparée de son image. On le prétendit empoisonné, on lui attribua les œuvres des autres, il devint un symbole empathique.

À part la Servante Maîtresse qui déclencha la Querelle des Bouffons, son œuvre la plus célèbre est le Stabat Mater, son opus ultime.
La composition de deux Salve Regina l’avait préparée à cette œuvre.
Notons aussi le violent tremblement de terre qui secoue Naples en 1732 redonne une vague de sacré en expiation. Pergolèse écrit, à ces occasions, pour sa grande Messe solennelle à dix voix et double chœur. Le Stabat Mater vient plus tard quand l’opéra est revenu en force.

Musique de Carême elle fut composée au monastère de Puzzuoli pendant les deux derniers mois de la vie de Pergolèse atteint de tuberculose. Il répondait à une commande de la confrérie franciscaine "Les Cavalieri della Virgine dei Dollori", Chevaliers de la Vierge des Douleurs, qui en 1734 voulait remplacer la version d’Alessandro Scarlatti, pourtant fort belle, mais dépassée pour eux. Il fallait être à l’écoute de son temps, car les portes des monastères s’ouvraient sur la société.
Le théâtre à l’église triomphait, et les musiciens alignaient psaumes et motets pour avoir du succès. Ces œuvres étaient prévues pour orner les offices des vendredis de mars en la fameuse église San Luigi di Palazzo à Naples. Pergolèse minait par la maladie termina juste sa partition avant de mourir.
Il y mit certainement toute sa ferveur d’homme en plus de sa ferveur religieuse.
L’hymne Stabat Mater est un hymne médiéval composé au treizième siècle par le franciscain italien Iacopone da Todi (1230-1306), au moment de l’émergence du culte marial à l’époque où les femmes ont eu à nouveau officiellement une âme.

Depuis ce texte sacré est devenu un des plus poignants de la liturgie chrétienne et il a inspiré de nombreux musiciens et peintres. ce mélange de douleur et de miséricorde, de douceur et de compassion rend une dimension humaine à la mort et à la douleur : c’est une simple mère qui pleure la mort de son fils à laquelle elle assiste impuissante, Pergolèse plus que tout autre fut sensible à cette déploration. Cette musique a d’ailleurs fait l’objet d’un détournement romantique et on la joue encore comme du Verdi.

Le même mythe que pour le Requiem de Mozart s’empara de l’œuvre jouée partout en Europe. Bach en fit une version de sa main, son psaume 51 "Tilge, Höchster, meine Stunden". Cette œuvre semblait représenter le symbole absolu de la perfection. Depuis sa gloire perdure et embellit. Et ses airs, ses arias opératiques, demeurent ce qu’en avait dit un contemporain : "les airs italiens sont d’une telle beauté qu’ils ne laissent plus rien à désirer dans le monde après avoir les avoir entendus".
Cette œuvre est le véritable étendard du répertoire baroque, l’archétype de la déploration.
Pourtant la Contre-Réforme du XIXe siècle a reproché au Stabat Mater de ne pas être habitée par le plus profond recueillement. Ce Stabat Mater était recueilli, mais ce qui choquait les catholiques devait être la profonde sensualité de cette musique. Pourtant Marie était aussi une femme.

Le Stabat Mater

Œuvre du plein baroque, elle mélange style galant et profondeur spirituelle. Proche à la fois de Dieu et de l’opéra, elle est écrite pour un duo de voix, alto et soprano. Composée de 12 séquences, elle alterne les passages solistes et les duos. Les gémissements et les soupirs de la sainte sont amplifiés en musique. Pergolèse est concis, recueilli. mais toujours chantant. les mélodies et les mélismes font une couronne non pas élaborée mais immédiatement émouvante. Il n’a pas contrairement à d’autres Stabat Mater un flot régulier et continu de musique. tout est morcellé, individualisé. Chaque pièce a son existence propre. Pas de polyphonie complexe comme c’était l’usage un peu auparavant, non mais une ligne de chant très pure. Ce sont des berceuses, des mélodies très ornées, mais qui semblent résonner d’évidence. Le moment d’émotion maximale est atteint dans la description de la douleur de la Vierge dans le passage "Vidit suum dulcem natum". L’œuvre est une dramaturgie, un opéra miniature de la douleur.

Les morceaux sont les suivants :

Stabat Mater dolorosa
Cujus animam gementem
O quam tristis
Quae moerebat et dolebat
Quis est homo
Vidit suum dulcem natum
Eia Mater
Fac ut ardeat cor meum
Sancta Mater
Fac ut portem Christi mortem
Inflammatus et accensus
Quando corpus morietur

Bondissante parfois,exaltée souvent, recueillie tout le temps cette œuvre n’est pas un chant du cygne triste mais une musique vivante et d’adoration.
Elle frappe par le minimalisme de sa composition, sa couleur profondément vocale. Elle est essentiellement doloriste. Il est vraisemblable qu’elle devait être confiée à des castrats dont l’église et l’opéra raffolaient.

Elle est irriguée aussi de cette sensibilité implorante, et de l’aspect théâtral propre au temps de Pergolèse.

Mais c’est de son lit de mort que monte le chant de consolation de Pergolèse. « Divin poème de la douleur, ému et profond », disait Bellini.
Mystère de l’éternité qui s’ouvre mêlée au mystère de la musique qui creuse le ciel.

Gil Pressnitzer