Henri Tachan

La chanson à corps et à cris

Hier et demain je m’en fous Le présent seul vaut le coup
Ce présent qu’on nous arrache qu’on nous décapite à la hache
Comme les arbres de partout
Hier je naissais dans un chou aujourd’hui j’ai peur c’est tout
Trente-cinq ans à vivre côté cœur et côté cul, cela vous blinde un chanteur. Surtout avec l’odeur de soufre qui lui colle à la peau, et ce cousinage si proche avec Charlie-Hebdo. Grand pourfendeur de la morale bourgeoise, bouffeur de curés jamais rassasié, antimilitariste jusqu’à l’os il adore provoquer en exhibant ses pensées génitales.
Et pourtant sur son état civil il était marqué « Attention, fragile ! » pour les imbéciles.
Henri Tachdjian naît le 2 septembre 1939 à Moulins (Allier) et il se fraiera un chemin au travers des ronces et des racismes, la bêtise quotidienne, le monde réduit à un immense café du commerce. Contre la beaufitude Henri Tachan aura le coup-de-poing de ses chansons tranchantes et l’amitié de Jacques Brel qui écrira le fameux : « Le lion est lâché ! » en parlant de lui. Brassens l’aimait aussi.

Mais la société sait se préserver et n’autorise les poètes et les chanteurs qu’à parler au travers des hygiaphones. Alors il a galéré Henri Tachan, il a gueulé Henri Tachan, de plus en plus en colère et en rage. Alors comme un gosse blessé il hurle ses blasphèmes. Par exemple :
« Dieu de mes "balloches",
Jupiter des "cloches",
Architecte ignare,
Anarchique hasard,
Gros crétin suprême
Ou sadique extrême... »
La suite serait délectable comme le dit Brassens, vous la trouverez sur son CD En concert 2000, le plus accompli qui reprend l’immortel « Une pipe à pépé », plus fraternel que tous les torrents écœurants de compassion déversés par les gouvernants. La compassion sert toujours de cache-sexe à l’injustice. La morale sert de tuteur à l’ordre moral.
« Côté cœur
Côté cul
Ni vainqueurs
Ni vaincus,
Côté cœur
Côté cul
La vie va
Rien de plus !…
Côté cœur
Côté cul
La Mort va…
Rien de plus ! »
Mais derrière cette grêle de mots, il y a un homme blessé :
« Si je crie mes chansons, si je dis des blasphèmes, c’est pour mieux gueuler nom de nom je vous aime".Les chiottes de la démocratie, comme il dit, renforcent son anarchie congénitale. De son éducation religieuse il lui reste le fantasme qu’une femme déboutonne sa soutane, un par un, les boutons. Cela me semble plus sain que les violeurs en soutane.
Lui, le tendre en secret qui aime les histoires d’amour à la barbe du Temps, les histoires d’amour emportées par le vent il se sera laissé enfermer dans le registre de l’imprécateur professionnel. Et quand il dit « Moi, j’aime les histoires d’amour », on ne le croit pas, on n’en veut pas, il faut qu’il reste l’icône grinçante de la révolte antibourgeoise. Personne pour lui lâcher le slip.
Et le petit chat malhabile continue à jouer le mec. À remettre sa conception du bonheur fidèle et de la morale sous le tapis, pour rester en phase avec son public. Pourtant il en a marre de ces temps du plastique, du sexe en vente libre et de cette télé qui nous trépane. Et il se souvient de ceci :

« Nous guettons, au fond de l’impasse,
Nos pas perdus d’enfant qui passent ».
Quelques-uns de ses textes ont mal supporté le temps qui file. D’autres restent forts et présents.
Il s’en fout : « Nos chants démodés, Seuls n’ont pas bougé... ».
Pour lui la fidélité compte plus que l’éternité.
À tous ceux qui ignorent encore le trublion Henri Tachan, il suffirait qu’ils écoutent une seule chanson, mais quelle chanson : Pas vieillir, pas mourir qu’il chante toujours en concert.Sa plus belle épitaphe ; il la écrit lui-même :
« Tachan,
Vas chanter,
Tes chants alizés
Contre vents
et marées
Tachant
d’pas crever !" »

Gil Pressnitzer

Textes de Henri Tachan

Pas vieillir, pas mourir

Paroles et musique : Henri Tachan

Je veux avoir le temps d’apprivoiser les mouches,

Je veux l’Éternité pour apprendre ta bouche,

Je veux voir les saisons minute par minute,

Brindille par brindille tout le bois de ma hutte.

Je veux, chaque seconde, connaître une habitude,

Comme un chien familier, comme la solitude,

Je veux me coucher là et n’être pas rentable,

Je veux vivre la vie d’une pierre, d’une table,

Sans suspense, sans destin, sans crainte, sans dénouement,

Je veux avoir le temps de perdre tout mon temps…

Je ne veux pas vieillir, je ne veux pas mourir, je n’veux pas

Je veux que tu sois belle et que tu brûles ailleurs,

Comme une bête en feu, sans que j’aie ni douleur,

Ni jalousie, ni haine, ni fierté pour rien ;

Je ne veux plus, familles, votre orgueil sicilien,

Je veux avoir le temps de simplifier nos corps ;

Cette fille qui passe, il me la faut encore,

Cet étranger te plaît, et c’est épidermique ;

Je veux avoir le temps de comprendre cette musique,

Je veux avoir le temps de ne plus avoir mal,

Je veux avoir le temps d’être enfin animal…

Je ne veux pas vieillir, je ne veux pas mourir, je n’veux pas

Je veux des barricades qui servent à quelque chose,

Que près des immortelles, elles vivent, les roses,

Je veux que les enfants ne soient plus des victimes,

Qu’on raye des dictionnaires "bombarde", "tue", "assassine",

Je veux que la Raison n’ait plus droit de cité,

Qu’"intelligent", "malin" deviennent inusités,

Je veux avoir le temps de faire vingt ans de taule,

Cent ans de poésie, mille ans sur tes épaules,

Je veux avoir le temps d’être ni vieux ni sage,

Je veux avoir le temps d’être Idiot du Village…

Je ne veux pas vieillir, je ne veux pas mourir, je n’veux pas

Je ne veux pas d’enfant

Paroles et musique : Henri Tachan

Je ne veux pas d’enfant pas de fruit à mon arbre

À mon chêne pas de gland à mes joues pas de barbe

Je ne veux pas d’enfant pour consoler ma mort

Pas de petit mutant pas de petit Médor

Je ne veux pas d’enfant qui sèche au tableau noir

À la guerre de cent ans au fond d’un réfectoire

Pas d’enfants au curé au gradé au grognard

Pas d’enfant au piquet ou premier de la classe

Je ne veux pas d’enfant qui pleure ou qui babille

Et dont on est fier quand il fait souffrir les filles

Je ne veux pas d’enfant pour réussir mes rêves

Les rêves des parents qui s’étiolent et qui crèvent

Je ne veux pas d’enfant qu’on s’épingle en médaille

Qu’on arbore clinquant bien avant la bataille

Je ne veux pas d’enfant pour la paix des ménages

Petit témoin tremblant des couples en naufrage

Je ne veux pas d’enfant je ne suis pas normal

J’ai déserté les rangs du troupeau génital

C’est comme si j’étais nègre gauchiste ou non violent

Enfin de cette pègre qui fait peur aux parents

Je ne veux pas d’enfants je le gueule à la face

De ce monde des grands assassins et rapaces

Pas d’enfant pour vos guerres vous les ferez sans lui

Pas de sein de sa mère il objecte sa vie

Hier et demain

Paroles et musique : Henri Tachan

Hier et demain je m’en fous Le présent seul vaut le coup

Ce présent que je conjugue sous ta robe comme une fugue

Couché entre tes genoux

Hier je naissais dans un chou demain j’ s’rai mort c’est tout

Tous les gens bien famille patrie le cheveu court et Dieu merci

Le geste large à la grand-messe ceux qui dévorent du bicot

De l’étudiant ou du gaucho viennent me parler d’leur droit d’aînesse

De ses oncles de ses grands - parents qui me rabâchent de mon temps

La jeunesse était plus discrète eux qui couraient en se cachant

Chez madame Claude rue des p’tits champs jeter leur gourme à la sauvette

Hier et demain je m’en fous Le présent seul vaut le coup

Ce présent que je récite en effeuillant ma marguerite

Pendant que hurlent les loups

Hier je naissais dans un chou demain j’ s’rai mort c’est tout

Les bâtisseurs de l’avenir les prophètes du devenir

Qui tuent pour nous sur la planète me réclament une pensée

Pour un monde bien meilleur et parole de prince jusqu’à perpette

Ah vous ne comptez pas sur moi je ne suivrai pas cette voie

Vers votre âge d’or d’opérette votre futur moi je le vois

Criblé de bagnoles et de croix dans le fracas des bombinettes

Hier et demain je m’en fous Le présent seul vaut le coup

Ce présent que je murmure sous le pli de ta chevelure

Dans le torrent de ton cou

Hier je naissais dans un chou demain j’ s’rai mort c’est tout

À votre course sans merci j’oppose la force d’inertie

J’hiberne je chante je vagabonde ou bien enroulé dans mon coin

Bien en boule sur mon coussin je respire chaque seconde

Chaque seconde de cette vie J’y mords comme dans le pain de mie

La tranche de brioche blonde un peu d’amour un peu d’amis

Quatre poèmes trois symphonies et moi aussi je r’fais le monde

Hier et demain je m’en fous Le présent seul vaut le coup

Ce présent qu’on nous arrache qu’on nous décapite à la hache

Comme les arbres de partout

Hier je naissais dans un chou aujourd’hui j’ai peur c’est tout

Discographie

D’abord son site personnel: http://www.tachan.org/

* 2001: En concert 2000

*1998: Telle est la télé

*1996: Côté coeur, côté cul

*1991: Le pont Mirabeau

*1988: Moi, j’aime les histoires d’amour