Jacky Terrasson

Le pianiste au-delà des mers

Parmi les nouvelles folies du monde du jazz, (James Carter, Joshua Redman…), figure enfin un pianiste français Jacky Terrasson.

Après avoir décroché des concours (Monk 1993) il a décroché la lune en conquérant l’Amérique. Ce trajet à la Michel Petrucciani lui a permis de s’imposer des deux côtés de l’Atlantique et de devenir le pilier des grands festivals. Il est résolument moderne avec vrillé aux oreilles un téléphone portable, un palm à la main, il semble une multinationale en goguette. Mais son sourire est resté simple et franc.
Des disques parus chez Blue Note (A paris,) ont parachevé de consolider sa réputation, et il a également participé à plus de 24 albums en sideman.Ainsi ce doux pianiste discret, au toucher léger mais à l’énergie concentrée, arrive à maturité et devient une éclatante confirmation.
Formé à l’écoute d’une Betty Carter qu’il a longtemps accompagnée, il privilégie la musicalité profonde, le sens du phrasé naturel, la respiration du chant.Avec ses complices Ugonna Okegwo, bassiste et le batteur Léon Parker, il s’est hissé au tout premier rang des trios en exercice.

Et rarement la musique aura coulé ainsi de source, fraîche et audacieuse. Son parcours est peu banal, lui le pianiste à la double nationalité. Il est né à Berlin le 27 novembre 1965, d’un père français et d’une mère américaine. Il fait ses classes à Paris, échafaudant bien des fugues autres que celles ânonnées au Conservatoire de Paris.
Et déjà le goût du risque le pousse à aller voir par-dessus l’épaule de l’Atlantique. Une bourse à Berklee, Boston, pendant un an en 1984, le rapproche de son but, mais en fait c’est à Chicago dans les clubs, donc sur le tas, qu’il apprend son métier.
Au moment où ayant fait le tour des musiciens locaux il s’apprête à aller croquer de la grande pomme, donc à croiser le fer avec New York, l’armée française se rappelle à son bon souvenir en 1987. Après cet épisode militaire, sans gloire, il se retrouve à hanter les clubs parisiens et devenir l’accompagnateur attitré de ces dames, à savoir les chanteuses de jazz.

Pilier des sections rythmiques il va croiser Barney Wilen, DeeDee Bridgewater, Ray Brown… et Guy Laffite.Mais l’appel de New York est trop fort et le voilà reparti vers l’année 1990 à Manhattan ou il se lie avec Wallace Roney, Jessie Davis, Art Taylor.
Il devient partie intégrante du paysage du jazz de la cité la plus universelle et vivante, et le plus recherché des accompagnateurs. La rencontre de ses complices Ugonna et Léon le pousse à passer au-devant de la scène et à former son trio en 1992.Ce trio, seulement abandonné pour la grande Betty Carter, s’impose rapidement par son originalité.

Croisement perpétuel du dialogue, l’assise rythmique n’est pas là pour déployer un tapis de pulsations mais conter une histoire à trois, plutôt à quatre car le silence est souvent convié.
Amitié et non rapport de forces voilà le moteur de ce trio, oasis de l’écoute mutuelle.
Et Jacky Terrasson merveilleux funambule oscille entre une éblouissante virtuosité et un lyrisme continu.«Savoir ne pas trop jouer, et donc jouer l’essentiel, avoir du sens de l’espace et de l’aération. La musique ce n’est pas des notes et des sons, le silence en fait aussi partie », c’est son credo.
Jacky Terrasson veut sortir du chemin du be-bop traditionnel en faisant un amalgame d’autres musiques, mélangeant standards et compositions originales, métissant rythmes et parfums.Déjà il radiographie les standards en n’en conservant que le minimum mélodique, que la signature essentielle. Plus tard il ira vers d’autres rivages moins séduisants.

Mais toujours il retourne, soit en piano solo; soit en trio vers la pulsion d ela vie: le jazz.

Sa façon de jouer les standards est personnelle. Il ne les expose point. Mais peu à peu, en spirale, à force de tourner autour, de les voir décomposer, malaxer,enlacer, il les fait réemerger à nouveau dans leurs jeunesses retrouvées.

Il semble un derviche tourneur autour des mélodies éternelles, qu’il fait disparaître et réapparaître dans le chapeau magique de son piano.
Lui le métis, le petit frère black de France comme il s’appelle, il va encore inventer de bien belles différences. Il rendra un bel hommage aux chansons de Paris.

« L’énergie, la clarté, la jeunesse de Jacky Terrasson sont irrésistibles, l’harmonie de son trio fait le reste : un miracle d’équilibre. »
Cette parole de Francis Marmande est parole d’évangile.

Gil Pressnitzer