Joachim Kühn

Le passeur des couleurs du temps

Un merveilleux disque en duo avec Ornette Coleman : "Colours", rappelle opportunément à chacun quel grand pianiste est Joachim Kühn.
Pianiste fleuve, souvent torrentiel, il combat avec la matière musicale jusqu’à la pétrir dans sa main.

Joachim Kühn est toujours en mouvement, toujours marchant vers l’ailleurs comme une statue de Giacometti.
Né sous les bombes à Leipzig en 1944, sous le signe du Poissons, il ne pouvait qu’être un aventurier de la musique, ne voulant bâtir ses sons qu’en sautant dans la marelle de l’éphémère. Il a traversé les styles, du free à la musique contemporaine, et les différentes formes du jazz, que pour aller de l’avant.

Au-delà de presque 50 disques en leader, et 150 en accompagnateur, il a pu frotter les arêtes vives de son piano au contact des autres.
Sorte d’errant dans les territoires du jazz, ou plutôt de lien insaisissable entre toutes les musiques, Joachim Kühn est un démiurge.
Généreux, créatif et évolutif, il refuse de savoir où il va, l’important pour lui n’étant pas le but abouti d’une musique mais tous les chemins du jazz, les plus aventureux possibles. Il a oublié sa carrière de pianiste de concert pour ne conserver que la transe devant les touches d’ivoire du piano. Mais sa virtuosité, la virtuosité, ne l’intéresse que comme facteur de combustion interne.

De Jean-Luc Ponty à Stan Getz, de Lee Konitz à Omette Coleman, il a croisé les forces vives du jazz. Sa récente union musicale avec le percussionniste Ramon Lopez et Majid Bekkas réalise ce vieux et intarissable rêve de tout allemand : la quête du soleil.D’abord fasciné par le free-jazz, il a élargi sa palette dès son arrivée à Paris en 1968. Touché aussi par le jazz-rock, il a voulu tout connaître, tout expérimenter. Son trio légendaire avec Jean-François Jenny Clarke et Daniel Humair aura marqué pendant plus de dix ans les scènes et les mémoires.

Du piano solo, vécu comme un torrent, à la fusion, Joachim Kühn aura surtout parlé de sa liberté, de sa volonté d’être un passeur des couleurs du temps.
Musicien écartelé entre les géographies (Allemagne de l’Est et de l’Ouest, Europe et Amérique), et entre les styles, il peut se définir par un de ses disques de 1991 "Let’s Be Generous" (Soyons généreux).

Et lui déborde de cette folle vitalité, de cette générosité qui abolit les frontières et les contraintes. Musique d’urgence, d’imprévu, musique sans répit et sans lassitude, Joachim Kühn est la figure authentique de la liberté torride en jazz.

Cette douce violence n’est pas celle d’un neveu de Rameau, mais d’un musicien qui, dans la fontaine permanente de l’improvisation, joue chaque moment comme un "big-bang" créateur.

Lyrisme libertaire, folie impétueuse, Joachim Kühn entraîne le jazz vers la transe. Brûlé au feu des laves soulevées, il vit maintenant à Ibiza.
Il joue sans concession sa musique, celle de l’instant et le jazz deviendra une affaire poétique, donc convulsive.

Gil Pressnitzer

Discographie succinte

The Diminished Augmented System (1999)
Piano Works - Allegro vivace (2005)
Easy to read (1985) Daniel Humair et Jean-François Jenny-Clark
From Time To Time Free (1988) Daniel Humair et Jean-François Jenny-Clark
Live 1989 (1989) Daniel Humair et Jean-François Jenny-Clark
Usual Confusion (1993) Daniel Humair et Jean-François Jenny-Clark
The threepenny opera (1996) Daniel Humair et Jean-François Jenny-Clark
Triple entente (1999) Daniel Humair et Jean-François Jenny-Clark
Nightline New York (1981), avec Michael Brecker, Eddie Gomez, Billy Hart, Bob Mintzer et Mark Nauseef
Colors, avec Ornette Coleman, 1996
Journey to the center of an egg, avec Rabih Abou Kalil et Jarrod Cagwin
Poison, avec Jean-Paul Celea et Wolfgang Reisinger, 2005
Kalimba avec Ramon Lopez et Majid Bekkas, 2007.