Joshua Redman

Au nom du père, au nom du fils, au nom du jazz

Longtemps, longtemps Joshua Redman a entendu les pas de son père derrière lui, le souffle de son père dans son saxophone. Il en fut sans doute diminué, voire apeuré.

Il y a du en souffrir, comme Ravi Coltrane avec celle du stellaire père John Coltrane. Mais lui avait une personnalité forte, une voix particulière.
Son père était Dewey Redman qui joua haut et fort jusqu’en 2006, accompagnant par exemple Keith Jarrett, et sa mère : Renée Shedroff qui voulut en faire un savant de la musique.

Il est né de façon prédestinée à Berkeley, en Californie, le 1 février 1969. C’est donc à l’université de Berkeley, belle fabrique à musiciens, qu’il fit ses études classiques, mais dès 10 ans il s’unit avec le saxophone. Orchestres de l’université, mais aussi intégration de l’université de Harvard, il a tout pour faire une carrière non pas de jazzman mais d’avocat d’affaire.
Et Joshua refusa de contempler et d‘entrer dans la terre promise de la réussite sociale.
Il demande un congé et se retrouve durant l’été 1991 dans la ville des tentations, la grosse pomme des désirs, New York.
Fini les études de droit, le sang paternel a fait plus d’un tour, et le voilà arpentant les clubs et les nuits au désespoir de sa mère. L’État américain perd un avocat, le jazz va y gagner un grand témoin.

En novembre 1991 il remporte le concours de jazz « Thelonious Monk International Jazz » et alors commence la ronde folle des gigs, des concerts, des nuits à souffler, souffler, jusqu’à ce que l’acier du son se forge.
Sideman, (partenaire), recherché il écume les concerts et les salles d’enregistrements. Et la consécration vient très vite, bien trop vite. Deux enregistrements dès 1933, la plus haute distinction musicale, le Grammy Award obtenu à l’été. Et ce disque étonnant « Wish » avec excusez du peu, Pat Metheny, Charlie Haden et Billie Higgins. Trop haut, trop tôt, il se lance en tant que leader dans des tournées éreintantes en 1994, au risque de se brûler les ailes.
Ce qui advint, car il devait d’abord s’affranchir de l’ombre de son père.
Et ce visage de jeune étudiant attardé, à qui tout réussit sans avoir mangé de la vache enragée et des drogues dures, ne correspondait pas à l’image romantique et celle de l’artiste maudit. Ce jeune sage et timide qu’avait-il vraiment dans le ventre ?

Consacré dans le film de Robert Altman, Kansas City, il en devenait irritant à force de réussite insolente et sa musique sans tourment n’arrangeait pas les choses.
Lui, il a courbé l’échine, dressé son saxophone et continué avec son timide sourire à jouer. Presque une quinzaine d’enregistrements, un second Grammy Award en 2005 pour "Momentum" et surtout son enregistrement le plus personnel qui lui fait craquer son armure de jeune homme sérieux « Compass ».

Enfin il n’est plus le jeune prodige, fils de son papa, qui peut jouer aussi bien avec les Rolling Stones qu’avec Simon Rattle, avec Dianne Reeves comme avec Clint Eatswwod qui lui commandera des musiques de film (Dans le jardin du bien et du mal).
Voici donc cet étrange personnage parfait, bien trop parfait, qui semble vouloir contrôler ses émotions et ses douleurs. Distant à en apparaître froid, il commence à s’animer et à se livrer à ses goûts profonds qui vont plus vers Stevie Wonder et James Brown que vers John Coltrane, ou Dewey Redman, son père dont l’ombre tutélaire plane encore sur lui. Ce père qui joua avec Ornette Coleman et se montra plus aventureux que lui.

Funk dans sa musique il lui manque encore sans doute d’être fun et funk dans sa vie. Le jeune loup n’est pas assez carnivore.

Joshua Redman est récemment aussi un adepte du « pianoless trio », trio sans instrument harmonique comme le piano ou la guitare. Avec son sax ténor, parfois le sax soprano, il s’installe dans un microcosme avec contrebasse et batterie. Et coule alors une énergie chantante, séductrice en diable.
Il laisse se deviner et se perdre les mélodies, et l’ombre de Sonny Rollins plane dans ce long souffle torrentiel qu’il affectionne maintenant. Coltrane aussi quand il souffle des ballades en apesanteur au sax soprano.
Prodige du rythme, du phrasé, il semble au-dessus des nuages et nous en dessous. Grand et élancé, il se déhanche en jouant de ses anches, mais où sont passés les anges ? Il prend appui sur un pied prêt à l’envol ou la couvaison de notes insolites.

Aussi pourquoi malgré tous ces sons lisses et pénétrants, souvent aux accents modernistes, nous ne faisions que l’admirer sans voyager vraiment avec lui ? Trop léger, trop loin de nous ? Lisse, trop lisse ? Parfait, trop parfait ?

Il faudra bien que jeunesse se passe et que naisse par-delà la technique un torrent d’émotions. Il lui manque toute la beauté convulsive qui fit que le jazz n’est pas un bel objet sonore, mais une déchirure profonde. On est trop sérieux à quarante ans !

Ce que l’on peut déjà entrevoir de Joshua Redman, « Josh », quand il joue avec Brad Mehldau (Wish), ou avec d’autres partenaires qui le poussent hors de ses certitudes, nous laisse espérer que de cette chenille parfaite et superbe, sortira un papillon fou qui volera vers l’éphémère sans souci de beauté, mais avec l’urgence de l’éphémère.
On pressent déjà le bruit des ailes et puis quel chemin parcouru depuis le statique enfant sage du jazz à celui qui commence à arpenter et la scène et sa vie.

Gil Pressnitzer

Discographie sélective

Joshua Redman (1993)
Wish (1993)
Spirit of the Moment Live at Village Vanguard (1995)
Freedom in the Groove (1996)
Timeless Tales (for Changing Times) (1998)
Beyond (2000)
Passage of Time (2001)
Momentum (2005)
Back East (2007)
Compass (2009)