Kenny Wheeler

Au bord du silence la beauté

Plutôt que de laisser de violentes traces dans l’histoire, et donc autant de plaies, certains musiciens, sages ou fous, préfèrent glisser comme brume dans la musique.Ainsi Kenny Wheeler comme certains autres, très peu d’autres, est en train de passer comme un charme dans le jazz et de lui on n’aura retenu souvent « qu’un battement affolé d’une aile ».
Toujours présent parmi les plus grands qu’il accompagne, toujours cité et célébré, il semble surtout exister en creux dans la mémoire des auditeurs tant ses apparitions en tant que compositeur ou leader sont rares et comptées.

Lui, le compagnon de Keith Jarrett, de Jan Garbarek, de Dave Holland ou de Brecker, Braxton ou Erskine, a réalisé parmi les plus beaux disques du siècle : Gnu High, Around Six, The Widow in the Window, tous les disques bouleversants avec le groupe Azimuth et la grande, la très grande, Norma Windstone, et bien d’autres.D’ailleurs toute sa discographie est à nouveau disponible et alors on peut jauger la taille de son ombre. Elle couvre les continents lyriques comme un immense oiseau, qui plane encore.Chants de l’ange, comme le dit un de ses plus beaux disques parlant du présent déjà passé, et nous savons depuis Rilke que les anges nous sont parfois terribles et toujours douloureux. La musique de Kenny Wheeler est la plus vieille des plaintes, la plus douce aussi.Aussi il ne faut pas que tendre l’oreille pour entendre Kenny mais aussi tendre l’âme.L’immense statue de compositeur commence à marcher vers nous.Kenny Wheeler joue de la trompette et surtout du bugle.
Il est né et été élevé au Canada et vit principalement en Grande-Bretagne. II aura côtoyé aussi bien la musique contemporaine, que le free-jazz sans oublier l’essence du jazz.De toutes ces tribulations et expériences la seule chose à retenir, c’est sa musique unique et elle ne peut être approchée que par le mot poésie.

Cette fluidité, ces volutes de fumées, ces climats irréels, ce lyrisme raffiné, ces sons déposés aux margelles du silence, oui tout cela participe du mystère communément nommé poésie.Cette musique au bord des choses est celle d’un grand compositeur.

Après un nouveau pan de silence de près de cinq ans, Kenny Wheeler nous revient enchanteur solitaire !Occasion rare de voir les sortilèges s’opérer devant vous et de voir briller des clairs de lune dans sa trompette.

Fleuve porteur, ombre et clarté, marche du temps aboli, la musique de Kenny Wheeler nous fait la joie de séjourner parmi nous.

Gil Pressnitzer