Les Têtes Raides

La java des cœurs tendres

Les voleurs de bicyclette des mots sont entrés parmi nous, et une marée doute de tendresse néoréaliste a rendu à nouveau simples le verbe et la musique des chansons.

Le monde rock dans sa violence altière, dans son urgence urbaine, ne nous parlait plus de cette petite musique qui trotte comme un chat noir dans notre tête, ne nous permettait plus de nous asseoir dans un cabaret imaginaire. Et les Têtes Raides ont pris le risque de mettre en marche ce petit manège désuet. Des groupes amis suivent un chemin proche : La Tordue, Edgar de l’Est, Casse-Pipe... Ce sentier des nids d’araignées un peu folles avait été merveilleusement ouvert par des irréalistes comme la grande Brigitte Fontaine. Autour des textes de Christian Olivier, l’écrivain public du groupe, mais aussi avec les tendres fantômes de Desnos, Artaud, Michaux, Aristide Bruant et les poètes du Chat Noir (ceux qui portent bonheur), les musiques des Têtes Raides sécrètent un univers néoréaliste, ouvert sur ces banlieues imaginées dans La Porte des Lilas: populaires, tendres, intemporelles.

Venus du rock et du punk, les Têtes Raides ont bifurqué vers une musique très fin de siècle. Avec des valses populaires et des bouffées de java, des cuivres chavirant, des guitares qui se prennent pour des accordéons et réciproquement, nos neuf derviches-tourneurs des flonflons et du quotidien retissent du lien de fraternité. Ce rock bastringue est fait pour réveiller les esprits qui s’endorment. Groupe vigilant avec des spectacles en alerte, il aura fait une pelisse de chansons avec ses Chats Pelés.

« L’harmonie est-elle municipale ? » se demandent les voisins du Cirque Plume, en tout cas la fanfare de ces « Pierrots à la voix de calcaire et à la musique d’école buissonnière » est universelle.

Pour tous ceux qui ont marché sur « Le bout du toit », se sont baignés dans leurs images, il reste la fraternité d’une tribu. Celle de ceux qui savent que l’on ne naît pas avec une âme pleine de rides et que des copains préfèrent vendre des marrons que des chansons. Les Têtes Raides, c’est surtout une exigence, une danse lente autour de nous-mêmes. Cet univers échappé d’un décor de cinéma en couleur d’Alexandre Trauner, le long du pont du Nord, ou de l’Écluse Saint-Martin, est en prise avec le café du siècle et son besoin d’amitié échangée.

Les textes viennent parfois de livres trouvés dans le "métro et qui trottent dans leurs têtes. Des poètes descendus avant le terminus sans doute et qui savaient que Christian Olivier passerait par là.

Achetez ce bouquet corrompu
qui pourrait bien vous tomber dessus
sans dire pourquoi
il vous mettrait à nu comme autrefois
.

On est chaviré par cette violence tendre, quand la lampe de Ginette se balance en scène, faisant reculer les pénombres de l’amour et les poussières des silences. Les Chats Pelés et leurs animaux tristes sont là, leurs dessins parlaient des bêtes faramineuses de la nuit, le chant des Têtes Raides parle de comptines de tous les jours.

Populaires, ils le sont pour avoir tant arpenté toutes les obscures arrière-salles des cafés de France, les rues plus ou moins sauvages, les lieux qu’ils plient à leur imaginaire.

Leurs paroles vendent des oiseaux, de l’espoir.

Ces petites vies mises bout à bout en font des grandes. Nous, les passants prévenus, pouvons maintenant entendre la chanson des vivants, les Têtes Raides, java des cœurs tendres.

Gil Pressnitzer

Discographie

10 ans de Têtes raides 2004
Viens! 1997
Les Oiseaux de passage 2002
Mange Tes Morts 2004
Le Bout du Toit 1995
28/05/04 2004
Gratte Poil 2000
Fleur des Yeux 1993
Chamboultou 1998
Les Oiseaux 1992
Mange tes morts 1990
Fragile 2006
Not Dead But Bien Raides 1989
Qu’est-ce qu’on se fait chier ! 2003
Aie
Ginette 2000
Bouffes du Nord 2003