Les Yeux Noirs

La face heureuse de l’âme slave

Le groupe Les Yeux Noirs, c’est un cercle autour des frères Slabiak, et de la mémoire vive de Micha Nisimov, le voyage vers ces pays uniquement vivant dans la beauté de la musique, la musique tzigane et la musique yiddish, ce voyage d’une joie à pleurer peut recommencer.

Les Yeux noirs" accordent maintenant une place encore plus prépondérante au chant, et ils font des lieux qu’ils visitent le cabaret imaginaire le plus chavirant d’émotions et de couleurs, de virtuosité à couper le souffle et sublimer la poussière des routes.

L’exil est la nuit commune, la plainte partagée des musiques tziganes et yiddish. Des errances, des massacres, ont cerné l’espérance inscrite au cœur du peuple tzigane et du peuple juif. Parfois partis ensemble en fumée dans les usines de la mort, il fut aussi un temps où tziganes et juifs rivalisaient en Pologne, Hongrie ou ailleurs pour animer les noces, et les naissances, les joies et les peines.

Pour approcher cette musique qui a survécu aux bourreaux, au temps, et à la mise en cage des cabarets, il faut toujours se rappeler que joie et souffrance sont la même face de ces cultures. Vie et mort tissées ensemble, nostalgie et rire emmêlés, pour retrouver une enfance d’avant l’holocauste, il ne faut pas les séparer.

Ces nomades allant de villages en noces, de foires en marchés se moquaient de la mort, ils ne portaient que le plus léger de l’homme : le rêve et ses violons.

"On peut tuer le rêveur, on ne peut tuer le rêve, qu’un rêveur disparaisse, un autre prend sa place. Le rêve ça se transmet et ça passe les frontières". Ce beau texte de Boris Bergman éclaire la démarche des frères Slabiak et de leurs amis.

Le groupe "Les Yeux Noirs " en est une des preuves ". Ils ont fait du chemin à travers la poussière des enfances, et ils se sont mis aussi à chanter, tant le bonheur enfui que cette joie tournoyante, joyeuse à pleurer.

Venue du fond des âges, la musique des Yeux Noirs reste ancrée dans la tradition, et refuse le second degré de nos amis de chez Bratsch. Elle reste nomade, populaire, virtuose aussi comme un fabuleux retour en arrière par-delà l’horreur des temps. Le nom de leur ensemble, Les Yeux Noirs, se veut lui aussi hommage à la tradition, mais dans les trois albums "A band of Gypsy", "Suites" et récemment "Izvuara", s’amorce une plus grande liberté.

Techniciens virtuoses, ils osent maintenant tutoyer cette Europe de l’Est, terre nourricière de leur musique. De ces pays qui existent encore mais qui portent en eux ces pays qui n’existent pas, dans une incertaine superposition, ils redisent les chansons passées, les fantômes des bals, les mariées qui divaguent, les oiseaux qui se sont tus. Sans désespoir aucun, à peine un vague à l’âme apparent, ils ont décidé que le monde était une valse…

Mais pour certains, dont je suis, cette valse est folle, et comme l’écrivait le grand poète juif, Abraham Lutski :

Un deux trois Un deux trois.
Quand la flûte se met à souffler
Sais-tu ce que tu entends
Ce sont les pleurs des morts
Pourquoi pleurent-ils
Que nous veulent-ils ?

La musique des Yeux Noirs refuse cette émotion, seulement parfois on peut l’entrevoir. Superbe ronde où les vertiges tziganes enivrent, mais en prêtant l’oreille, des bouffées de nostalgie profonde nous redonnent brièvement à entendre la réalité noire.

Préférant les routes balisées du répertoire yiddish et tzigane, ils redonnent la légende d’une musique à l’humeur légère et à la virtuosité ostentatoire mais grisante. Les Yeux Noirs veulent oublier la musique assassinée, et nous faire plaisir, nous éblouir, nous chavirer.

"Nos musiques parlent d’amour, de voyage, de souffrance et de fête", aussi les Yeux Noirs tachent d’effacer à grands coups d’archets les traces du désespoir, à positiver toute une histoire. Soit, mais cette énergie farouche, ce feu d’artifice sonore, ne cacheront jamais les cendres.

Allez, au diable la morosité ce soir ! Oublions tout !

Voici Les Yeux Noirs !

Gil Pressnitzer