Luzmila Carpio
Une voix d’étoiles filantes
Luzmila Carpio c’est un violon qui chante
(Yehudi Menuhin)
Avec sa voix qui fait la courte échelle aux étoiles tant elle grimpe haut mais en fait elle est la prêtresse de la déesse Terre, la mère Terre qui nous a faits, qui nous porte. Flûte magique parmi les flûtes, elle vient de la Bolivie des hauts plateaux, d’un peuple montagnard du sud de la Bolivie. Le livre sacré des Indiens quechua parle longuement des chants entrelacés de la terre et des étoiles, Luzmila Carpio les fait revivre. Celle des quechuas boliviens décimés eux et leur culture par les conquistadores espagnols.
La Bolivie parle le castillan langue des envahisseurs et des curés, et la culture minoritaire quechua a sa langue et sa spiritualité est fondée sur le respect des hommes, du peuple,et de la nature.
Luzmila Carpio est née en 1954 à Kala Kala, un petit village Bolivien de la Cordillère des Andes, vers 4000 mètres d’altitude. D’origine Quechua-Aymara, elle a depuis son enfance conscience de ses racines et de la difficulté de raviver aujourd’hui toutes les richesses d’une ancienne civilisation autrefois massacrée et que la modernité peut à nouveau décimer. Toute son enfance s’est passée en pays quechua.
Plantes et petites vallées encaissées, cascades et baies sauvages sont son berceau. Et son lait de tendresse est la vénération du soleil et de la nature, de la montagne surtout qui est sacralisée. Elle sait qu’il faut parler à la montagne, parler aux êtres, ceux que l’on voit, et ceux que l’on ne voit pas. Il faut saluer le soleil au matin et au soir de peur qu’il ne revienne plus. Ses livres seront les personnes âgées qui seront son livre de vie. Cette transmission fait aussi le futur et Luzmila sera un des chaînons pour cette culture qui a survécu à la domination inca et espagnole.
« Un moineau chante joyeusement cette nouvelle : vous savez désormais lire et écrire dans nos langues aymara et queshua. Mes frères et sœurs, nous pourrons désormais être reconnus ».(Nous serons reconnus)
«Ça a été difficile de me faire connaître en chantant en quechua mais j’ai choisi ce parcours, j’ai toujours voulu défendre ma culture. Dans la langue il y a la pensée. Chanter, c’est faire de la politique »
Et Luzmila a vite compris qu’elle devait aussi parler à son peuple, chanter pour son peuple. Ne pas laisser en jachère ces chants transmis de génération en génération, refaire vivre les mères et grands mères qui au milieu des champs lui apprenaient la sagesse des plantes, les paroles qu’il faut leur murmurer oreille contre feuille.
« Chez nous, seules les femmes ont le privilège de chanter, car la voix féminine évoque la Terre Mère, Pachamama. On apprend aux jeunes filles d’élever la voix de plus en plus haut dans les notes car c’est le lien privilégié pour entrer en contact avec les divinités cosmiques du panthéon andin ».
Découverte par la radio bolivienne, après que petit à petit sa mère lui ait appris à connaître la ville, Ururo, vers ses onze ans. Cette découverte de la ville, du goudron des routes là où seule la poussière était connue, et surtout la radio, voix irréelle qui donne des programmes pour les enfants, la marquera, elle, qui était descendue de son village pour faire la bonne. Malgré le "handicap" de sa langue natale, "le quechua". "Va apprendre les chansons en espagnol !" lui-fut-il répondu. Car dans les années 1960 la culture indienne subissait racisme et marginalisation.
Mais elle se proclame quechua et elle chante pour valoriser cette langue:
«Le quechua est incrusté de ce respect profond envers la nature que m’ont transmis ma mère et ma grand-mère.« Je suis aymara quechua. L’aymara est une langue plus ancienne que le quechua. Je suis plus nourrie de lait quechua que de lait aymara. Je comprends l’aymara, je ne le parle pas.»
Et elle chante, chante très haut pour valoriser sa langue; Elle chante haut:« Parce que je viens d’un endroit perché très haut. »
Et de sa voix de petite fille, d’oiseau planant, elle chante près des nuages.
« Ma mère me disait qu’il faut garder sa voix de petite fille, c’est celle que reçoit le mieux la terre. Garder une part d’enfance en soi, c’est essentiel. »
Elle voulait transmettre la voix des villages dans sa langue en chantant le changement des saisons, l’hymne à la nature, les semences et les récoltes, les fleurs et les gens qui semblent eux aussi pousser de la terre. Et elle y parvint jusqu’à être consacrée "princesse "du chant.
Cette notion profonde du temps circulaire totalement rattaché au temps agricole est ancrée dans cette culture, en un point tel que l’on ne peut pas jouer dans n’importe quel instrument suivant les saisons. Luzmila Carpio nous dit que "Certains instruments sont dévolus au printemps, d’autres appellent la pluie. Et si on joue les instruments de l’hiver à l’époque du printemps, le gel vient. Moi je crois à cela". Car tout vient des ancêtres. Ses longues nattes la lient aux racines du monde.
On peut ainsi jouer les percussions toute l’année, mais le charango, cette guitare typique ne peut plus être jouée à partir du moment de la floraison des pommes de terre car la récolte gèlerait, et si un enfant en joue par mégarde, il est puni par le village. Ce charango est pour la récolte, pour l’hiver mais pas pour la floraison. Il est des instruments spécifiques pour appeler la pluie, "les pincillos", les "laouta quona", souvent des sortes de flûtes de pan, restent rituels.
Bien sûr dans ses spectacles toutes les saisons défilent et donc tous les instruments. La musique quechua est une musique de réponse, l’un fait une note, quelqu’un lui répond et ainsi naît la mélodie. Cette musique communautaire est une célébration d’un peuple entier.
Invitée une fois en France à Radio-France dans une émission du merveilleux Aris Fakinos, elle y restera. C’est dans cette émission que, comme d’autres, je l’entendis pour la première fois, et l’envoûtement dure et dure. Ocora reprit ce concert grâce au généreux et tourmenté Pierre Tourielles. Sa carrière était lancée en France, car en Bolivie elle était déjà la princesse inca avec de nombreux disques.
Cette fraternité ressentie entre la France et la petite Luzmila, fera qu’elle s’installe à Paris au début des années 80. Mais chaque année elle rentre en Bolivie au moins pendant quatre mois, pour garder intactes les sources de son chant.
En 2006, Luzmilla Carpio est nommée ambassadrice de la Bolivie en France. Elle s’investira quatre ans et demi dans cette mission. Mais elle préférera redevenir chanteuse, car elle est oiseau et le chant lui est plus cher que les honneurs.
Dans son hommage aux divinités de la nature "Le chant de la terre et des étoiles", Luzmila déploie ses messages d’amour des éléments de la nature, chacun avec son esprit présent et particulier.
Elle a écrit elle-même les paroles et les mélodies de son dernier spectacle, mais sur le fond invariable des rythmes traditionnels.
Les étoiles passent ainsi dans sa voix d’aube. Transmission et prières imaginaires à la nature, surtout à Pachamama, la terre-mère. Cette voix de toute petite fille qui s’élève de ses hauts plateaux intérieurs, de l’Altiplano et des montagnes, roule de cascades en étoiles.
Au milieu des instruments râpeux en carapace de tatous, sa voix s’élève et d’autres voix semblent surgir quand elle décide de jouer au condor et de se projeter brusquement vers les sphères. Avec sa petite guitare, le charango, contre sa poitrine, elle semble sur scène une petite paysanne revenant du marché des fleurs et des émotions, presque nasillarde elle suit les scansions élémentaires des rythmes boliviens. Quelques pas de danse sacrale à peine esquissés et la transe des voix se met en marche avec le vent des hauts plateaux qui en sort.
Et Carpio lance ses trilles d’oiseaux dépassant toutes les flûtes du monde. Des clochettes qu’elle teint dans sa main s’essoufflent à vouloir suivre la plongée verticale de sa voix. Ses longues et belles boucles d’oreille se mettent aussi à devenir des percussions. Sa voix est une cascade inversée qui se déverse dans le ciel. Des mots simples font des arcs-en-ciel et les obsessions rythmiques sont des pas qui frappent la terre. Ses mélopées sont en équilibre sur la rosée, sa voix qui passe de la petite fille à l’envol vers le ciel a une pureté de source. Sa voix plaintive fait accourir les esprits.
Des chants agricoles des instruments anciens, percussions et charangos.
Les chants traditionnels constituent essentiellement son répertoire, mais avec quelques compositions personnelles sur la poésie, sur sa mère. Elle écrit le texte et la musique et remercie la couleur d’une fleur, de la saveur d’un plat, des moments de la vie, la communion avec le cosmos ’"le biento" l’harmonie avec le monde, les plantes sylvestres. Chants pour les animaux les plantes, la fécondité, la transmission par les femmes plus ou moins soumises, transmission aux enfants.
Air, gouttes d’eau à la flûte, cristal qui troue la nuit, rayon de soleil, cosmos, amour de la terre, cela passe encore mieux dans ses concerts.
Quand elle entrouvre son long poncho les ailes lui poussent, elle tournoie et remonte les plateaux andins si haut. Sa voix dans l’extrême aigu semble plus proche d’un instrument, une flûte très aiguë, plutôt qu’une voix humaine. Sa manière de chanter est plus personnelle que traditionnelle, proche de la mélopée, et la transe qui ne fait pas partie de la culture indienne quechua, est plus donné dans la danse où les femmes deviennent des toupies.
Sa mère lui a transmis la tradition, tous ces chants du pays dès son plus jeune âge. Chants d’espérance, chants de ferveur et de respect.
Luzmila Carpio semble porter tout le poids d’une communauté dont elle est l’ambassadrice. Elle nous dit le passé mais aussi l’avenir complexe. Elle n’est pas l’icône des touristes, ou l’exotisme des Européens, elle se veut la "mère courage" de son peuple. La mondialisation s’est emparée aussi de son petit bout de pays, les paysans fatalistes se laissant glisser résignés dans les marges.
Le chant de Luzmila devient chant de résistance. Elle refuse que son peuple termine empaillé dans des vitrines pour touristes braillant "el condor passa". Elle est plus haut que l’écume des jours, elle est dans une prière païenne pour que les moissons viennent. Et les moissons viennent. Sa voix suraiguë, mariée aux flûtes est une pluie bienfaisante sur le monde andin.
Et la nature ne deviendra pas sourde et muette. Luzmila doit y être pour quelque chose.
Elle continue de dialoguer avec les plantes. Les oiseaux passent sur son visage et Carpio sait se mettre à genoux devant les fleurs de bois et les pierres chaudes. Où qu’elle soit. Son respect profond envers la nature fait que tout chez elle est célébration de la terre mère, de ses oiseaux, de la lune, le vent, les cascades, et des hommes.
“Chez nous, on dit que les notes de musique sont dans la nature. La musique est apportée par la cascade. Le vent aussi apporte des notes. Quand j’étais enfant, ma mère m’a expliqué que quand je mangeais une pomme de terre, il y avait dedans le soleil, l’air et la pluie. Il faut parler aux plantes, les caresser, parce qu’elles nourrissent notre âme.”
La voix de Luzmila Carpio est un cristal qui rêve, un cristal qui songe à tout un peuple. Mère Terre et père Soleil l’accompagnent.
Gil Pressnitzer
Choix de textes
Prière
Hymne à la louange des divinités Pachamama,
Terre-Mère, et Tata Inti, Père Soleil.
Belle Pachamama
O, Tata Inti, mon père !
Auprès de vous,
cous venons heureux
pour que champs et montagnes
fleurissent
Que l’eau de pluie,
l’eau cristalline des montagnes,
Continue a couler
Et, que nous vivions, vivions
dans l’harmonie
de vos rayons lumineux
Peuple de l’éternité
Nous sommes les descendants d’un peuple éternel
Notre père est le Soleil
Notre mère est la Terre
Nous vivons aux sommets des montagnes
Nous dansons avec le vent
Toujours ensemble,
réunis dans le lieu que la Mère Terre
nous a accordé
Prière de l’Inca
Grande Montagne,
Pachakamaq, créateur du monde,
écoute ton fils
Je me sens dans l’abandon,
O, père Soleil
J’implore ton aide,
Illumine-moi
Nous, ton peuple, nous t’implorons !
Discographie
Kuntur Mallku le messager Accords Croisés Mélodie 2000
Arawi, l’esprit des Andes 1998
Le chant de la Terre et des Étoiles Accords croisés Harmonia Mundi 2004
Chants Quechua de Bolivie (Ocora/Harmonia Mundi)