Miguel Poveda

L’homme-enfant en pleurs

Ma manière de m’approcher de la musique est totalement spirituelle, pas religieuse, pas uniquement religieuse. Mes chansons parlent d’amour fort, de femmes, mais je les interprète dans une démarche profondément spirituelle.

Miguel Poveda est un jeune chanteur de flamenco, en fait, il est déjà un des tout grands maîtres du « Cante Jondo ». Ce « chant profond », il l’irrigue de ses pulsions émancipatrices du temps présent et aussi du profond respect des traditions qui furent son lait d’enfance.Le « Cantaor » est né en 1973 à Badalona près de Barcelone. Miguel Poveda est donc un non-gitan, un « payo ».Mais le flamenco n’est plus l’apanage jaloux de l’Andalousie et des gitans. Il devient ouvert à ceux qui savent empoigner les vertiges du soleil noir tapi dans cet art. En fait il n’y a pas de règles mais de la transcendance, ainsi son ami Duquende avec lequel il chante souvent, et qui né lui aussi juste à côté de Barcelone à Sabadell, est lui d’origine gitane. Il a la voix rauque des anciens nomades. Poveda a lui une voix claire, lyrique et pleine de méandres de joie et de douleur. Le flamenco est son lait d’enfance.

J’ai rencontré le flamenco dans ma propre maison, car ma famille le chantait tout le temps et partout. Dans mon quartier, dans les penas près du port de Barcelone.

Ce flamenco de Barcelone est celui des migrants du soleil andalou de Cadix et de Séville, et il a la couleur particulière de la Catalogne. Cette forme particulière de chanter, de laisser place à d’autres formes comme le tango, les rumbas, les bulerias et la habanera, d’ouvrir le son à de nouveaux instruments dans cette musique comme le piano et la contrebasse. Poveda chante une musique immense et non plus seulement un folklore andalou forgé comme une synthèse entre la très ancienne culture andalouse nourrie des apports arabes et gitans et juifs. Le chant reste profond, mais la vie immédiate ouvre la porte de l’aujourd’hui. Il en connaît les codes et les serrures, il moule de nouvelles clés et surtout en respecte les missions. Il en décrit les enjeux:
Comme pour toutes les musiques, il est primordial de pouvoir exprimer ses sentiments du dedans, de tout se dire, même les choses les plus intimes. Et le flamenco est cette expérience la plus intense, c’est se donner, c’est un miracle.

Vicente Pradal parle « d’un cercle magique dans lequel il faut entrer, non par l’affinement de sa solitude, mais par le partage, la communication. Par l’oralité de père en fils, de maître à élève. Savoir le rituel mystérieux qui ouvre les chemins de la fiesta flamenca, c’est pouvoir entrer dans la danse, être dans le mouvement, dans les défis. Les clefs se trouveront si on sait les codes. »
En fait seul le souffle, l’audace et la ferveur font un grand chanteur de flamenco.
Miguel Poveda en est un des plus importants. La voix moins âpre et basse que d’autres, il fait se croiser dans son lyrisme limpide et tragique l’art le plus personnel avec la tradition la plus séculaire.Il sait livrer ce combat intense, dérouler ce déploiement de beauté âpre, indispensable pour se mesurer à ce taureau fou et cruel qu’est le Cante Jondo (le chant profond).Sa cape écarlate, son épée tranchante, est sa voix toute de passion, de rage, et de tragique des jours. Il sait que demain sera une autre nuit, plutôt qu’un autre jour, et que dans cette arène, seul le chant peut vous sauver et sauver les autres.Quatre chevaux rouges surgissent d’une goutte de sang, du froissement de son chant poignant.

Certains mettent une vie à comprendre cela à force de plongées rugueuses et écorchées dans les entrailles des amours trahis, de la vie qui vous trahit, du temps qui vous maudit.Si jeune, Miguel Poveda lui a déjà tout compris. Il a l’urgence de l’enfant qui sait et il est prêt à marcher sur son ombre pour nous pour le transmettre. Il sait aussi entourer son chant de talus de silences.
Du plus profond de lui montent des sanglots qui en font un enfant en pleurs, mais c’est lui qui nous console. Toutes les voix orphelines sont alors apaisées. Ses mains sont des papillons noirs qui s’élèvent autour des rivières profondes de sa voix.

La sorcellerie du soleil rouge s’étale dans sa voix, et les chevaux rouges viennent boire dans ses paumes, puis nous regardent. Pêcheur au fil des enfants qui glissent hors de lui pour venir pleurer contre nous, Miguel Poveda possède la magie et le pouvoir des cracheurs de rêves.

Il aime chanter les poètes (Marti i poll, Verdanguer, Alberti surtout dans les chants d’exil,..) et la distinction de sa voix attache la nuit à la lune. Mais il est surtout l’homme des rencontres entre cultures, l’homme des ouvertures au monde et de la palpitation des idées. Ainsi au festival d’Arles 2004, et celui de Fès en juin 2005, accompagné de son fidèle guitariste Chicuelo, il a présenté une création « Qawwali Flamenco », avec le chanteur pakistanais Faiz Ali Faiz. Cette rencontre du flamenco et de la musique traditionnelle qawwali n’est pas sans rappeler les origines indo-pakistanaises de la musique flamenco gitane.
Miguel Poveda est un chercheur insatiable de l’or des nuits.

Je travaille beaucoup et je suis curieux. Je rencontre d’autres musiciens et d’autres musiques que le flamenco car cela m’apprend beaucoup. En fait tout se mature ainsi en moi. Je ne peux pas spécifier ce que je garde de chaque musicien, mais cela reste en moi, il n’y a pas d’explication.

Son extrême concentration lui permet de parcourir sans danger tous les paysages intérieurs et d’en revenir nimbé de rosée. Les idées se bousculent dans la claire rivière de son chant, la musicalité en est la sirène. Tout cela va plus loin que la mer, cela vers le Duende, cet état de grâce qui est l’épiphanie du flamenco. Et sa voix qu’il faut écouter gouffre à gouffre parle de la beauté fragile, des amours vacillants. Humble porteur de flammes il a appris la modestie dans les soirs de lune fauve:
« Je ne suis pas encore professionnel, mais je suis en train de développer cela ».

Gil Pressnitzer

Discographie

Viento del este (Nuevos Medios, 1995)

Suena Flamenco (Harmonia Mundi, 1998)

Zaguán (Harmonia Mundi, 2001)

Poemas del exilio d’après les poèmes de Rafael Alberti (Harmonia Mundi, 2004)

Desglaç (Taller de Músics y Discmedi, 2005)