Nena Venetsanou

La voix des icônes, lumineuse comme la mer au soleil

La première fois qu’il me fut donné d’entendre Nena Venetsanou, c’était dans un spectacle de Lluis Llach " Un pont de Mar Blava" (1993). Elle apparaissait comme la statue de la mère des mers. Immense, avec son corps de muse fellinienne et toute la Méditerranée venait battre à ses pieds, en déposant des galets le long des plages de sa voix. Sa voix descendait en nappes sur nous et nous noyait tendrement.
À la fois tellurique et mer immense, Nena est une femme dont on fait les sirènes. Elle est aussi une femme qui ne se contente pas de regarder partir les hommes à la guerre, elle est aussi amazone. Porte-drapeau de la lutte des femmes, elle participe à de nombreux colloques sur la parole des femmes.

J’ai trouvé que la force de la femme était son corps et je remercie les féministes des années 60, 70 parce qu’elles parlaient de l’orgasme avec le sérieux des hommes qui parlaient de la lutte des classes. Le corps revenait.

Moins connue que sa grande amie Angélique Ionatos avec laquelle se fit le spectacle Sappho de Mytilène, Nena est une pure athénienne. Elle y est née en 1955, elle y vit, elle y combat.
Elle fut plongée dans la musique dès l’âge de six ans et mènera une formation classique approfondie sans jamais laisser se perdre le chant populaire.
C’est en France, à Besançon, qu’elle étudiera l’histoire de l’art et l’archéologie, puis le chant avec Irma Kolassi à Paris extraordinaire interprète de Ravel et Debussy. Elle revient dans son pays en 1978 et ses combats sont contre tous les obscurantismes, ceux des pouvoirs politiques, comme ceux du machisme de la religion orthodoxe et de la « culture méditerranéenne ». Militante féministe elle compose aussi, et sa voix qui porte par de-là les montagnes déferle sur son pays grâce à la radio grecque. Elle fut le porte-drapeau du mouvement féminin grec, le point focal des révoltes.
Considérée comme une icône chez elle, comme sans doute une des plus grandes chanteuses de son temps, elle mêle sa voix et sa musique avec les compositeurs de son temps : Mikis Théodorakis, Manos Hadjidakis surtout, Mamangakis, Ch. Léondis et N. Mavroudis,... Cette fraternité durera plus de quinze ans.

Ses concerts deviennent des messes populaires où tout un peuple retrouve sa fierté un long moment sous l’horrible boisseau des colonels. Sa grande maîtrise de la technique de la musique classique lui permet d’approfondir le rendu de la musique traditionnelle. Le timbre de sa voix très particulier avec sa profondeur et sa puissance, sa douceur qui s’enroule en vous et autour de vous, étonne. Hymnes hypnotiques s’élançant comme des branches d’amandier, ses chants sont de nouvelles sources à la face des terres craquelées.
Calme et murmurante sa voix, Eole apaisé, elle peut soudain s’enfler comme le vent sur la mer.
Pythie ou naufrageuse détournant les bateaux des jours, elle barre l’horizon avec sa silhouette de statue imposante.
Cette réincarnation de divinité parfois courroucée renoue les fils des Parques. Elle va chercher dans les arcanes du chant byzantin les secrets perdus. Elle tente de reconstituer des instruments anciens d’après les représentations figurant sur les céramiques ou les poteries, d’après les descriptions dans les textes historiques ou philosophiques.

Historienne de l’art et archéologue, mais avant tout musicienne, Nena parle à son passé, et lui demande de répondre dans sa voix.
« Cette voix lumineuse comme la mer au soleil ».(Georges Moustaki) est une voix des entrailles de la terre. Nena est tragédienne, une sorte de diva des chants profonds, une Médée du peuple, une Callas de tous les jours. Celle des ballades des rues d’Athènes.
Elle redonne une chair à la poésie et son interprétation des chansons d’Eluard et Les épitaphes de Théodorakis, 42 ans après leur composition, a mis le ciel à notre portée. Ces chants écrits en exil en France et dont les paroles sont si proches de Séféris et plus particulièrement d’Elytis. Elle veut nous dire que la chanson est un fleuve de liberté qu’aucune main ne peut détourner, ne peut emprisonner.

Comme un fleuve, elle a inondé toute la Grèce, et tout est devenu plus compréhensible grâce à la chanson. La chanson, alliée de la poésie, et son moyen de diffusion. La chanson au service d’une pensée élaborée.La chanson qui ne rentre dans les rêves, mais qui les provoque, comme elle provoque nos désirs et nos aspirations les plus intimes.La chanson qui crie : Faites de la place,"Tout est nouveau""Tout est futur"
La chanson écrite avec assurance, porteuse de confiance, partagée comme le pain béni dans le malheur des hommes et qui se fit soutien pour accompagner le chant de deuil d’un cœur nu
. (Nena Venetsanou)

Nena est une militante de l’amour absolu, de la liberté absolue, elle est celle qui illumine la chanson grecque contemporaine. Autour de cette voix solaire tourne la Grèce. Elle sait comment c’était avant dans l’exil et la torture des années. Cette dictature qui s’installa à la suite du coup d’État d’avril 1967 jusqu’en 1974. On se souvient de ce général Georges Papadopoulos, le « Pinochet grec », l’homme qui voulait « anéantir toute tendance à la liberté » responsable de milliers de déportations.

Nena n’a pas connu cela, mais elle le revit au travers des chants.
« Aujourd’hui, je sais comment c’était alors ! Une horreur pour les artistes ! L’exil, la prison, l’errance, la solitude au milieu de la foule qui s’empressait d’oublier... son histoire par le truchement des lois et des règlements les plus sévères, au moment même où elle allait conquérir sa liberté ».
Aussi par fidélité, par fraternité, elle fait vivre et son présent et son passé en mettant en musique aussi bien les textes de la littérature grecque que les problèmes brûlants d e la société grecque de maintenant. Elle chante la ville, l’esprit des tavernes (musique rébète dite rebetiko), et un type de chant populaire particulier appelé Entechno.
Et cet art d’élever,simples et lumineuses, des statues à travers le temps…C’est pour briser les rêves,Des rêves de vingt ans,Que je suis arrivé, un beau jour, à Athènes… (Stratis Tsirkas, 1938)

Nena a ce mélange de pain noir et de miel dans la voix,, elle ne chante pas que pour un pays fut-il aussi lourd et engrossé de son passé que la Grèce, Nena chante le pays d’utopie
Le plus grand compositeur grec celui qui redonna vie et liberté au chant, Hadjidakis disait souvent:
« Nena a une voix pleine et totale, qui s’équilibre entre la modernité et le chant populaire sans jamais cesser de rester sensuelle ».
Sensuelle dans sa voix et sa position de prêtresse d’un chant antique, Nena l’est assurément.
Mais Nena Venetsanou dans son chant nous dit cela:

La nouvelle Terre est symboliquement le sol où nos conflits internes ou externes prennent place, le sol de la dispersion et de l’exagération, de la désillusion et du miracle.
C’est un sanctuaire où nos serments intimes sont préservés, un purgatoire, un jardin d’abondance, une arène de contemplation, la maison de l’absurde et du courage.
la nouvelle Terre appartient à ceux qui ont mis leur énergie vitale à surmonter l’adversité et les limites spirituelles ou matérielles, à ceux qui mettent à bas toutes les frontières et s’en vont dans leur vie vers la nouvelle Terre, ayant pour but la liberté.
Je dédicace la nouvelle Terre aux dispersés, aux réfugiés et à ceux qui luttent pour renforcer l’angoisse du lever des plantes
. (Nena Venetsanou)

Gil Pressnitzer

Discographie

1993 - ANA 001 - POLEIS TOU NOTOU (VILLES DU SUD)

1994 - LYRA 0107 - TO KOUTI TIS PANDORAS (LA BOITE A PANDORE)

1996 - LYRA 3766 - TOU EROTA KAI TOU PATHOUS (DE L’AMOUR ET DU PATHOS)

1996 - MA 008 - IKONES (IMAGES)

1997 - MMB 10107 - AGIRON ICHOS THEATROU (SON THEATRAL ETERNEL)

2000 - MMB 10668 - NEA GI (NOUVELLE TERRE)

2000 - MMB 10816 - ZEÏBEKIKO

2001 - MBI 10844 - NENA VENETSANOU chante M. THEODRAKIS

2002 - MBI 10898 - TO PROSOPO TIS AGAPIS (LE VISAGE DE L’AMOUR)

2003 - MBI 11034 - CAFE GRECO