Nino Ferrer

Le blues dans un champ à midi

Vive l’Amour et à bas la musique molle !

(Nino Ferrer)

Ainsi donc nous n’avions rien compris aux tourments intérieurs de Nino Ferrer.
Ses cris intimes étaient pour nous étouffer par les aboiements de Mirza ou les sonneries du téléphone. Notre dernière rencontre en 1995, nous avait montré un homme apaisé, revenu de beaucoup de choses, mais serein. Il s’était prêté au jeu des photos et de l’interview dans une cabine téléphonique. Souriant, moqueur, tendre avec ses solistes chanteuses (Françoise Guérin et Magali Pietri), il semblait heureux.

Mais, mais...

"Et parfois je suis un être humain et je me cache de mon angoisse comme l’autruche de la Fable, dans le sable du désert de Saint Cucufa et dans l’herbe de ma pelouse dallée, où courent d’étranges petites bêtes que l’on peut observer avec un compte-fils promené au ras de la surface".

Nino Ferrer c’est l’histoire d’un gars, qui s’apercevant de sa transformation en statue de sel dans le monde des variétés verdâtres, leur tourna le dos et devint fils du Lot. Depuis il montrait Montcuq à tous les passants et nous rappelle que quand il était grand il n’était pas petit.
Vieil éléphant "moitié gascon, moitié gersois, moitié normand", Nino Ferrer reprenait la route de temps en temps avec ses amis, quittant brièvement le Causse, ses vieilles pierres, sa peinture et son silence d’artisan.

Nino Agostino Arturo Maria Ferrari dit Nino Ferrer était génois. Français aussi depuis 1989 !
"Comme il le dit Et j’ai vite compris que je ne pouvais rien faire de bon si je n’étais poussé par une passion, d’amour, d’amitié, de révolte ou d’ailleurs. Finalement il en est sorti une vingtaine d’Albums d’à peu près 40 minutes chacun soit approximativement deux centaines de pièces sonores". Ceci fait une vie, ceci fait une œuvre.

Fumeur de pipe, fin lettré, le temps s’enroulait autour de lui. Toujours aussi entier et tranchant, il se souciait comme d’une guigne des malentendus, voire des pas-entendus du tout, qui auront jalonné sa route.
Exigeant il était, exigeant il restera, quitte à envoyer paître tout un plan de tournées mitonné dans les bureaux de la capitale, si la convivialité n’est pas au rendez-vous : "on n’a pas donné trente ans d’amour aux gens pour être promotionné comme une savonnette ou un saucisson".

Nino Ferrer a su échapper aux tubes à répétition, aux grandes maisons de disque, à l’univers glauque du show-biz pour rester intègre et prendre le maquis dans le Causse. Dans sa ferme "la Taillade", au milieu de sa tribu, il était le bon patriarche revenu de tout sauf de l’amour.
L’homme de "La Maison près de la fontaine" avait su transporter la sienne loin des caniveaux. Et face à la vérité du Lot, les épiphénomènes de la capitale sont ramenés à leur juste proportion : anecdotique et microscopique.

Imprégné de poèmes italiens et français il savait ce qu’écrire voulait dire, et il s’avançait dans des chansons-poèmes. Il peignait, il gravait ; mais surtout il était jardinier du cœur : il faisait pousser les amis comme bonne laitue.
Nino Ferrer avait la patience de la colère, et lentement il a bâti avec sa tendresse d’écorché son cheminement non pas avec des chansons isolées, mais avec des albums globaux.
Plus question de se laisser enfermer dans une seule chanson car pour lui les bons tubes peuvent faire les meilleurs barreaux. Couché Mirza, raccroché le téléphone qui sonne ! Nino Ferrer ne se laissera plus ferrer par le futile et se battra pour son indépendance.

Et les albums se suivent de "la Vie des Automobiles" (1944) à "la Désabusion" (1993) en passant par Blanat (1979) et Métronomie (1972) en tout plus de vingt albums.
Amour et tendresse, romantisme et dérision, notre artisan sourcilleux fut autant plus une grande gueule qu’une voix.
Il aura été du côté de la passion et de l’énergie. Du côté des animaux aussi.

"Et l’araignée s’interroge sur la raison de la disparition totale et définitive de la chaleur et du vent, de la musique et de la nourriture, des vibrations et du mouvement, du ronflement et de la lueur verte qui illuminait parfois ses toiles et en irisait les théorèmes."

"Il n’y a que la passion qui fait vivre.", elle fait aussi mourir.
Mélancolique, il aura laissé ses voitures sous la poussière, ses souvenirs de star sous les feuilles mortes, et son angoisse au soleil éclatant, au milieu des blés. Son fusil de chasse aura été son dernier mot le 13 août 1998. En plein cœur comme toujours.

Gil Pressnitzer

Choix de textes

Je vais te dire adieu Paroles : Nino Ferrer - Musique : Nino Ferrer
Je vais te dire adieu
la belle vie
ça ne m’intéresse pas.
Je vais te dire adieu
la fête est finie
pour moi.
Je vais te dire adieu
le rouge et le noir
ça ne m’intéresse pas.
Je vais te dire adieu
la fête est finie
pour moi.
Je vais te dire adieu
le pour et le pire
ça ne m’intéresse pas.
Je vais te dire adieu
la fête est finie
pour moi.
Je vais te dire adieu
le n’importe quoi
ça ne m’intéresse pas.
Je vais te dire adieu
la fête est finie
pour moi.

Blues des rues désertes Paroles : Nino Ferrer - Musique : Nino Ferrer
Je ne peux plus supporter
ces petits matins froids,
dans toutes ces rues désertes
où résonnent mes pas,
quand les bars sont fermés,
qu’il n’y a plus rien à faire,
dans cette ville humide,
que s’en aller dormir.
Oh oh oh non, je ne peux pas
rentrer dormir dans cette chambre sans toi.
Monter ces cinq étages,
avant d’ouvrir la porte,
sur toute cette poussière,
dans cette chambre morte,
cette vaisselle qui s’entasse,
ce lit qui me fait peur,
ces draps gris et froissés,
qui ont gardé ton odeur.
Oh oh oh non, je ne peux pas
m’étendre sur ce lit sans toi.
Me retrouver seul avec
ce miroir qui t’a vue,
dans lequel je me vois,
ma jeunesse perdue,
mes rides sous les yeux,
est-ce que j’ai tout raté ?
Maintenant que tu es partie,
qui d’autre peut m’aimer.
Oh oh oh non, je ne peux pas
vivre encore cette vie sans toi.

La maison près de la fontaine (1965)
Paroles : N.Ferrer - Musique : N.Ferrer
La maison près de la fontaine,
couverte de vigne vierge et de toiles d’araignées,
sentait la confiture et le désordre et l’obscurité,
l’automne
l’enfance
l’éternité...

Autour il y avait le silence,
les guêpes et les nids des oiseaux,
on allait à la pêche aux écrevisses
avec Monsieur le curé,
on se baignait tout nus, tout noirs,
avec les petites filles et les canards...

La maison près des H.L.M
a fait place à l’usine et au supermarché,
les arbres ont disparu, mais ça sent l’hydrogène sulfuré,
l’essence,
la guerre,
la société...

Ce n’est pas si mal,
et c’est normal,
C’est le progrès.