Paolo Fresu

Les joies du voyageur

Mon esprit vagabonde, laissant ses pensées s’envoler vers des endroits qui n’appartiennent à personne, proches du coeur et de la nuit profonde. Quand, plus tard, mes pas caressent la terre, le parfum de l’air et des fleurs me réveille et m’accueille « Sois le bienvenu parmi les tiens !... »

Ainsi parle le trompettiste-poète Paolo Fresu et qui de sa trompette ou de son buggle tire les sons de la nuit, ceux où se répandent encore les ombres de Chet Baker et Miles Davis. Musique de mystère, jazz de l’errance "Wanderlust" (Joie de l’errance) comme le titre d’un de ses nombreux albums.

Paolo Fresu, "Paul la Fraise" pour ses amis, est un trompettiste de Sardaigne, à l’approche profondément romantique de la musique de jazz. Par-dessus son épaule, certains ont cru reconnaître les ombres bienveillantes de Chet Baker et de Miles Davis.

Sans doute, mais dans les sons feutrés, emplis de brume de sa trompette ou de son buggle, passent en nuages d’émotions à la fois les souvenirs de son île natale, les appels de l’ailleurs, et les fêlures du temps dans lesquelles s’engouffrent toutes les invitations aux rêves. Invitations aux voyages aussi, dans ses sonorités comme des coquillages chantant les standards de la mer, les larmes des sirènes, la musique de Paolo Fresu et de son quintette italien murmure une errance.

Baigné principalement de natures mélodiques, d’effluves et de clairs-obscurs, le jazz de Paolo Fresu s’envole comme une douce fumée, par-dessus les barrières des esthétiques encadrées. Dans ses récents disques, "Night in the city" et surtout "Wanderlust" Paolo Fresu s’exprime simplement en homme de coeur et de brisures.

À fleur de jazz, il a voulu voyager dans le vaste monde et connaître le plus de paysages possibles : depuis John Zorn à Aldo Romano, en passant par Enrico Rava, Phil Woods, Kenny Wheeler, Gerry Mulligan, Nguyen Lê… Toutes ces expériences, il les a mises dans les recoins de sa trompette, et sa connaissance aiguë de la musique contemporaine lui assure des territoires nouveaux où laisser vagabonder son âme lyrique.

Ce jeune trompettiste aime procéder par suggestions, par impressionnisme musical, et il met surtout en avant une poésie, parfois mélancolique, toujours prenante. Né en 1961, il est tombé dans le jazz en 1981, et depuis il multiplie les embarquements pour Cythère, dans son univers évocateur fut de brouillards de rêves, d’aspirations schubertiennes de la nostalgie du voyageur. En concert, le répertoire choisi est partagé par tous les musiciens, et Paolo Fresu sait s’effacer dans un son collectif, dans une esthétique commune tendue vers l’invitation au voyage. L’ailleurs est là, à la porte de sa musique, et une sorte de grâce plane sur ces moments, ces effluves, ces écluses que constituent ses concerts.

Plus que des sons, Paolo Fresu, joue des images, des visions entrevues, "des égarements en terrain connu", qui le rapprochent des Grands Rêveurs du jazz, ceux qui au-delà des sons font vibrer des arcs-en-ciel d’émotion, parfois des puits noirs de sentiments aussi. Sa musique reste ancrée dans sa terre sarde, et même au coeur du son le plus poignant, une volupté enivrante reste présente.

Chaque note est pesée, au trébuchet des émotions. On a dit de Paolo Fresu qu’il jouait "en dedans", en fait il joue dans l’ailleurs.

Les sonorités crépusculaires et moirées du trompettiste sarde Paolo Fresu ont souvent empli nos nuits de nuit et de tendresse.

Et que ce soit avec les parfums italiens du groupe d’Aldo Romano ou de son propre quartet - dont témoigne son dernier disque"Angel"-, ou les aventures de "Tales of Vietman" avec son complice Nguyên Lê, et bien d’autres rencontres, la couleur unique de son jeu de trompette vous capte toujours.
Dans le théâtre d’ombres dressé dans la brume de son instrument passent, comme pour un embarquement pour des fleuves de mémoire et d’oubli, les caresses de Chet Baker, les sourdines enfouies de Miles et surtout la propre poésie nocturne et rêveuse de notre sonneur de brume, Paolo.

Souvenirs de la nuit des temps, complicité avec l’instant, l’homme qui parlait à l’oreille de la terre, nous donne une musique qui nous entraîne loin d’ici. Car sa musique est partance, départ à nouveau, vagabondages dans les rêves ou plutôt errance vers cette terre inconnue qui est un retour "vers ces endroits qui n’appartiennent à personne, proches du coeur et de la nuit profonde".

Ses compositions perpétuent à la fois la tradition poétique du chant improvisé et le souffle rauque des nuits urbaines. Des notes, accrochées à flanc de mémoire, à flanc de coteau comme son village Berchidda en Sardaigne, mêlent leur rudesse à la suavité des chansonnettes italiennes et des inusables standards américains.

Paolo Fresu laisse ces eaux diverses se mêler en lui pour tout unifier dans cet incroyable lyrisme, ce "lyrisme immédiat", qui est sa signature. Car Paolo fait tout chanter de sa voix unique, et fait entrer dans son chant les autres pour qu’ils le fassent leur.

Simple et doux, il nous conduit sur l’autre rive du rêve. Joies du voyageur, passeur de nos émotions Paolo Fresu joue le jazz à fleur de peau, dans la rosée des sentiers couverts de toiles d’araignée de l’ami Calvino. Il devient alors le danseur de la lune.

Gil Pressnitzer