Paul Hindemith

Trauermusik pour alto et cordes

Les temps présents ne sont pas très reconnaissants au compositeur allemand Paul Hindemith, si célébré il y a peu. Il fut pourtant avec Stravinsky, Schoenberg, et Bartok l’un des plus importants musiciens qui auront changé le discours musical de leur siècle. Venant droit d’une filiation qui court de Bach à Brahms, il prôna la tonalité élargie et fut un théoricien marquant. Influencé à l’origine par le romantisme, Hindemith aura tracé un profond sillon à travers la musique contemporaine, dont il fut un des représentants les plus brillants et les plus controversés, créant une voie originale entre l’atonalité et le dodécaphonisme. Pour lui, contrairement à ses contemporains, la tonalité était une donnée intangible, irrévocable. Mais il n’était en rien un conservateur et les nazis en firent leur cible privilégiée dès 1933, qualifiant sa musique de totalement bolchevique et l’interdisant totalement, le contraignant à l’exil des 1937.

Né à Hanau en 1895, il mourra à Frankfort sur le Main en 1963.

Violoniste virtuose, altiste de génie, il conservera ce goût de l’artisan du concret du son, de la belle œuvre.

Son parcours est semblable plus tard à celui de Hans-Werner Henze, commençant par des musiques avant-gardistes, provocatrices même (: «À toute vitesse. Sauvage. La beauté n’est qu’accessoire » écrit-il dans sa Sonate pour alto solo ), pour finir dans la Hausmusik, musique utilitaire et fonctionnelle.

Sa musique attaquée violemment par les sériels, résiste encore, et reviendra, car elle est un maillon essentiel !

Sa rythmique, nommée Motorik (« motorisme »), est percutante et se veut « obsédante ». Elle se fait l’écho de l’avènement de l’industrialisation et du moteur, car Hindemith répugne à la sentimentalité, au psychologique, au subjectif, ainsi entre musique grinçante et musique retour au classique Hindemith signe musique, très personnelle.

Peu connu en France il aura écrit un Requiem hallucinant de beauté (When Lilacs Last in the Dooryard Bloom’d), des opéras passionnants comme Cardillac, Mathis le peintre, l’Harmonie du Monde. Glenn Gould, Richter, le vénéraient pour sa musique de chambre. Sa production est immense, plusieurs centaines d’Œuvres, et comme, à partir de l’opus 50, il refusa de numéroter ses Œuvres, il n’est pas facile de s’y retrouver, si ce n’est par périodes qui vont des jaillissements des années 1920, aux Œuvres pour orchestre vers les années trente - quarante, au grand œuvre de sa vie : la musique de chambre pour tant d’instruments (tuba, saxophone, violon, contrebasse, orgue clarinette, harpe, piano, cor, basson et trompette.).

Mais Paul Hindemith est avant tout altiste et il aura à la suite de Brahms et Schumann rendu à ce bel instrument son souffle romantique, lui le grand classique. Son apport à son instrument est immense :

Trois Sonates pour alto et Piano, Quatre sonates pour alto seul, La Trauermusik for alto et cordes, un étonnant concerto pour alto."Der Schwanendreher", des Méditations pour alto et piano (1931), des concertos de chambre...

La célèbre Musique funèbre pour alto et cordes (1936) dure moins de trente minutes et comprend quatre mouvements :

- Langsam (Lento)
- Ruhig Und Bewegt (Poco mosso)
- Lebhaft (Vivo)
- Sehr langsam (Largo) Choral : Vor Deinen Thron Tret Ich Hiermit

En janvier 1936, Paul Hindemith était à Londres pour préparer la création au Queen’s Hall de son concerto pour alto « Der Schwannendreher » (Le joueur de Vielle) sur des thèmes de chansons populaires. Juste le jour avant la représentation le bien aimé roi Georges V meurt, le 21 janvier, et toute l’Angleterre est plongée dans l’affliction.

Voulant partager cette tristesse Hindemith s’isole et en six heures, paraît-il, il écrit sa "Trauermusik".
Il en assura lui-même la partie d’alto soliste, en concert, dans un studio de la BBC dès le jour suivant, et tous les musiciens eurent les larmes aux yeux !

Spontanée et émouvante, elle reste sa composition la plus célèbre.

Chant pudique des morts, elle s’élève comme une hantise, douce, apaisée.

Dès le premier mouvement le chant de l’alto, omniprésent tout au long, s’élève disant des douleurs secrètes et malgré l’insistance des cordes, il gardera son mystère.

Le second mouvement est une cantilène, une sorte de berceuse de la mort comme Bach pouvait en écrire. Mais elle ne s’attarde pas et va de son pas décidé.

Le troisième mouvement est plus ample, plus allant aussi, plus dramatique surtout comme un écho des derniers combats terrestres. Le dernier mouvement retrouve le climat du début comme une douleur qui revient et cite un choral « Seigneur je me tiens devant ton trône ».

Puis tout se tait.

Cette musique glisse et ne s’attarde pas, presque laconique. Cette pièce assez courte, est une des rares pièces de circonstance ayant résisté au temps, et son pouvoir émotionnel reste intact.

Gil Pressnitzer