Rabih Abou-Khalil

Le calligraphe du jazz

Rabih Abou-Khalil joue de l’oud (luth arabe) et chante, mais surtout il compose, ou plutôt il recompose une musique sans barrière où la poésie jase, et où le jazz poétise.

Les disques de Rabih Abou-Khalil, publiés chez Enja, sont des Œuvres d’art. Finement ciselés, ils s’ouvrent comme un vieux livre de poèmes arabes, et avant même que la musique ne retentisse, une nuée d’oiseaux parfumés s’envolent vers nous.

"Arabian Walz", "Blue Camel", "The Sultan Picnic", "Tarab" autant de caravanes arrivées jusqu’à nous à travers déserts et oasis, chargées de moires et d’étoffes, de mirages et de songes.

Toutes les compositions sont écrites par Rabih Abou-Khalil qui fait se croiser les sels de mille peuples : échos des percussions de l’Inde, chant strident du nay, phrasés de Kenny Wheeler ou Charlie Mariano d’une intemporelle Amérique, tous ces sons sont des soieries déposées à nos pieds.

La magie du jazz réside pour lui "dans les interstices de la musique du monde où le jazz est une trace". Lui l’enfant de Beyrouth, vivant à Munich, sait le poids de l’exil et la joie inépuisable des rencontres. Lui, le Libanais, il recrée une Andalousie ancienne, un âge d’or dans la musique.

Il a su nous faire comprendre l’étonnante relation entre tous ces domaines musicaux longtemps séparés. Homme de culture croisée, musiques plurielles, il représente le passeur de la Méditerranée à gué.
Rabih Abou-Khalil est plus que de la Méditerranée qui coule en lui, il est tout l’Orient qui vient vers nous. Sa musique ne mesure pas le temps, mais il fait du "temps une rivière au bord de laquelle s’asseoir". Elle n’est pas bornée, mais faite de rencontres improbables de sons qui tendent vers l’intemporel.

Souvenirs d’hier et de demain d’un Orient rêvé et surtout contemplé, les compositions de Rabih Abou-Khalil ont un pouvoir d’amour et de réconciliation Orient-Occident, dans une éternité immobile et enfin apaisée.
"Notre livre est à son sommet, et ne sera plus écrit car il devient prophétie qui grandit et grandit " (Adonis). Ainsi va la musique de Rabih Abou-Khalil, qui fait de l’ornement une vérité, de la calligraphie sonore un envoûtement.Ses ballades vont vers l’oasis, et de son oud montent les fleurs mauves. Étrange et familière, sa musique procède de la fascination. Nullement exotique, elle parle des racines de l’Orient dans l’Occident. Le silence n’est pas maître à bord, il s’agit plutôt du bruit chamarré des caravanes qui se mettent en marche.

Puisée chez les vieux maîtres, la musique de Rabih Abou-Khalil s’élance avec sa sensibilité de source au fond des déserts, aux confins du jazz qui refleurit.
Au-delà des conventions c’est plus que du jazz, c’est le jazz pluriel et fraternel, venant de loin comme un puits où enfin boire et toujours vent de sable d’une énergie spirituelle. Il apporte après une longue route de soie le sel de sa musique.

Rabih Abou-Khalil est un sourcier : regardons les étoiles chavirer dans sa musique ondoyante et pourpre.

C’est là qu’a dû naître le vent avant de rencontrer la mer Méditerranée.

Gil Pressnitzer