Tim Buckley

Navigateur d’étoiles

Dans cette histoire prédigérée et menteuse qui fait le rock ou plutôt ses légendes que l’on prend pour sa réalité, il nous reste encore ce balancement irréductible qui demeure en nous pour rendre au-delà de l’impur une petite niche au pur.

Tous ces quelques frères partis sacrifiés au champ de l’oubli il faut que leur chant ne soit pas bu par la terre. Parmi ces archanges déchus, ces cavaliers d’une drôle d’apocalypse même pas joyeuse certes il y a Jimi Hendrix, Jim Morrisson, Janis Joplin, mais aussi le quatrième des chevaliers de l’apocalypse : Tim Buckley, lui aussi foudroyé un certain 29 juin 1975, à 9 h 42 d’une overdose d’héroïne et de morphine, d’éthanol aussi, mais surtout d’un trop plein d’angoisse ou d’expérimentation sur lui-même. Il savait parfaitement qu’il n’atteindrait jamais la trentaine "I’ll die before I’m 30," I had told Jennifer three years before".Thirty years old and not dead. My God. Ce qui veut dire "je mourrai avant trente ans, je l’ai déjà dit à ma femme Jennifer il y a trois ans", et "Quoi avoir trente ans et ne pas être déjà mort !". C’était le 8 octobre 1968.

Mais Tim n’est reconnu par aucun culte, peu de mémoire ne se souvient presque de lui. On l’a pris longtemps pour un acrobate de la voix faisant les sauts périlleux entre le grave et le suraigu, mais pas pour un chanteur immense, ce qu’il était. II est en effet insaisissable, perdu dans l’ailleurs, trop loin dans l’espace et l’irréel. Il est l’image solaire de la Californie des années soixante, et sa mort tragique à 28 ans a recouvert d’une mousse d’invisible sa trajectoire plus proche des étoiles noires que du soleil.

Lui le beau gosse des années hippies, le troubadour d’une génération ne surfait que sur les étoiles et ne plongeait que dans les drogues. Ses cendres ont été dispersées dans la mer qu’il aimait tant, un an après et l’océan a accepté l’offrande. Il était né à Valentin’s Day dans l’état de Washington en 1947. Son psychédélisme baroque était trop loin dans le ciel pour ses contemporains. Ses envolées dans le cristal des hauteurs ne pouvaient être suivies. Ces vols d’alouette dans le ciel de la voie sont ce qui saisit en premier dans l’écoute de Tim Buckley. Cette tessiture qui s’enroule aux étoiles est une magie sonore, la tristesse et la joie sont perchées tout en haut. La grâce émanait de sa voix, voix unique parmi les rockers blancs, voix de vertige, voix des cimes enneigées.

Son fils Jeff Buckley qui haïssait tant son père qu’il n’avait presque pas connu, sera plus célèbre et mourra jeune lui aussi noyé de ses poids de remords, et de ses lourdes chaussures, qui l’auront entraîné par le fond aussi bien que le fantôme de son père.

Ce visage douloureux de berger ou d’apôtre nous regarde encore avec sa douceur cernée de silence, sa fragilité assiégée par le sang qui passe.
Lui nous a dit "Bye Bye, baby" (ce furent ses dernières paroles) à 28 ans mais en nous il continue de chanter goutte à goutte. Son passage terrestre est attesté par 9 disques de 1966 à 1974 et quelques témoignages : "J’étais à côté sur scène l’écoutant fasciné : la compassion, l’espoir, la tendresse, la désespérance, l’angoisse, le désenchantement, l’amour et la puissance. Tout cela surgissait de sa voix et j’en avais froid dans le dos en l’accompagnant ».

Ainsi Tim avait marqué avec sa voix d’au-delà, sa voix qui était un drôle de vent s’élevant comme une alouette dans l’aigu quand il passait sur les tuiles de la vie. Cette voix couvrant plus de cinq octaves du baryton au haute-contre, était d’une clarté de silex. Lui le navigateur d’étoiles qui chantait sombre, tendu et exigeant, il pouvait sembler n’avoir pas existé et puis soudain reviennent poussés par la mer oublieuse deux témoignages en public jamais encore publiés :"Dream Letter" concert du 10 juillet 1968 (Tim a 21 ans !) à Londres et "Live at the Troubadour "concert du 3 et 4 septembre à Los Angeles.

Depuis l’histoire du rock est à refaire ! Ces bouteilles à la mer, inconnues, inespérées, changent tout : c’est la mer retrouvée et qui tremble encore. Tim, trouvère de la beauté qui souffre, chante un mélange de "suppliques angoissées et de plaintes candides".
Et c’est bien candeur, fraîcheur mais aussi tension et brûlure qui reste en nous presque trente ans plus tard.

Le chant-halo de Tim Buckley passe entre la porte des mots. Pas de drame instantané chez lui, cela saigne un peu, sans plus, mais par ce ruissellement toute notre partance s’engouffre, car le bout du monde doit être au bout de la voix de Tim.
"Aucun mot ne pourra jamais rendre le génie de Tim, car ce californien fut et restera l’écrivain de chansons le plus lyrique de son temps" (Le Monde de la Musique). En effet Tim est une immense respiration lyrique, une offense lyrique au béton des jours. Son parcours du folk au blues avec une influence forte de l’improvisation du jazz, le tout dans un parfum rock, donne une œuvre unique, équivalente selon certains à Coltrane pour le jazz. Tim était fasciné par Bill Evans et surtout Miles Davis et les voies du jazz et du rock psychédéliques se joignaient en ce temps. Le rythm’ and blues l’influencera aussi mais aussi Luciano Bério et les arabesques de la voix de sa femme Cathy Berberian. D’ailleurs on lui fera payer ses audaces et il sera jeté de sa compagnie de disques, ce qui le conduira dans le puits sans fin de la dépression et de la ruine. Pour s’en sortir il reviendra vers le bon gros rock qui tâche. Ainsi il vivra dans une schizophrénie profonde mais contrôlée, écartelé entre ses musiques imposées et sa vraie vie intérieure. Sa voix de visionnaire était ailleurs et il ne pouvait la faire partager. Sa musique folk qui sonnait en lui, il devait la faire taire. Il ne pouvait boucler sa boucle. Il en tira toutes les conséquences. Quand il mourut d’overdose couvert de dettes, seuls lui restaient sa guitare et un amplificateur.

Funambule puis somnambule Tim nous parle avec sa voix qui est une marée, il crie après les oiseaux et chante pour les sirènes. Navigateur d’étoiles, il est crucial et essentiel, sa voix et lui habitent des lieux innommables. Ainsi dans une chanson "Hallucinations" il devient plus vieux que l’amour. Dans le grand souffle de ses chansons, passant de l’intimisme à la transe, Tim Buckley aura été comme le jour, innocent. Il planait dans d’autres planètes, sa voix servait de voile aux vents solaires. La gamme des musiques célestes passait dans sa voix. Tim Buckley est l’ange des mélopées, sa voix plane plus haut que les anges, son corps se noie dans les hallucinations.

Deux disques donc comme des vins précieux pour redécouvrir Tim Buckley avant sa chute afin que le dérapage de sa voix vous entraîne au loin, sans retour. Il vaut mieux éviter ses derniers disques imposés pour survivre.

Live At The Troubadour 1969 (Demon EDCD 400) mars 1994
(Strange Feelin’ / Venice Mating Call / I Don’t Need It To Rain / I Had A Talk With My Woman / Gypsy Woman / Blue Melody / Chase The Blues Away / Driftin’ / Nobody Walkin’)

Dream Letter – Live In London 1968 (Demon D FIEND 200) juin 1990
(Buzzin’ Fly / Phantasmagoria In Two / Morning Glory / Dolphins / I’ve Been Out Walking / The Earth Is Broken / Who Do You Love / Pleasant Street-You Keep Me Hanging On / Love From Room 109-Strange Feelin’ / Carnival Song-Hi Lily, Hi Lo / Hallucinations / Troubadour / Dream Letter-Happy Time / Wayfaring Stranger-You Got Me Runnin’ / Once I Was)

Gil Pressnitzer

Choix de textes

Troubadour
As she walks near me my blood feels the chance
All spinning and swirling it yearns for the dance
To become part of me poor one to take part of her
Don’t say that tomorrow will bring me her love
Don’t let me wait for words undestined from above
Let me laugh through her fingers and smile through her hair
Let me love the one I see for I know that she’s there
For tomorrow and today aren’t here anymore
Lalalalala
Sing songs for pennies tip my hat couldn’t get many
All around the city are the troubadours
Lalalalala
Sing songs for pennies tip my hat couldn’t get many
All around the city see the troubadours
Singing songs sadly sing songs so lonely
All around the city see the troubadours
As she steps near me my blood feels the chance
All spinning and whirling it yearns for the dance
To take part of her fair one
To know part of her

troubadour

quand elle marche près de moi mon sang connaît sa chance
tout se qui se tisse et tout ce qui tournoie est compassion pour la danse
pour devenir une partie de moi, pauvre de moi, pour devenir une part d’elle
ne dites pas que demain m’apportera son amour
Ne me laissez pas attendre pour des mots d’en-haut qui ne me sont pas destinés
Laissez-moi rire entre ses doigts et sourire entre ses cheveux
Laissez-moi aimer n’importe laquelle que je vois en croyant qu’ elle est là
Et que demain est aujourd’hui ne sont plus ici
Lalalalala
Chante des chansons pour une poignée jetée de pièces et mon chapeau ne peut pas en recueillir beaucoup
tout autour de la cité voie les troubadours
chantant des chansons tristement chantant des chansons si seuls
quand elle défile près de moi mon sang connait sa chance
tout se qui se tisse et tout ce qui tournoie est compassion pour la danse
pour devenir une part lumineuse d’elle
pour connaître la part d’elle

Hallucinations( Larry Beckett )

I saw you walking
Only yesterday
When I ran to catch you
You disappeared
And the street was gray
The candle died
Now you are gone
For the flame was too bright
Now you are gone
I heard you laughing
With your laugh of gold
When I called out to you
Silence returned
And the air was cold
The castle fell
Now you are gone
No more rings the bell
Now you are gone
I found a letter
On the day it rained
When I tore it open
There in my hands
Only ash remained
The castle fell
Now you are gone
No more rings the bell
Now you are gone
I felt you breathing
As I fell asleep
When I reached out to touch you
No one was there
And the night was deep
The candle died
Now you are gone
For the flame was too bright
Now you are gone
I saw you walking
Only yesterday
When I ran to catch you
You disappeared
And the street was gray
The castle fell
Now you are gone
No more rings the bell
Now you are gone

Hallucinations

Je t’ai vu marchant
c’était juste hier
quand ja’i couru pour te rattraper
tu avais disparue
et la rue était grise
les bougies mouraient
Maintenant tu es partie
car la flamme était trop forte
Maintenant tu es partie
j’entends ton rire
avec ton rire d’or
quand je t’ai appelé
le silence m’a répondu
et l’air était froid
le chateau s’est écroulé
Maintenant tu es partie
la cloche ne sonnera plus
Maintenant tu es partie
j’ai trouvé une lettre
le jour où il pleuvait
quand j’ai osé l’ouvrir
dans mes mains
seulement des cendres sont restés
le chateau s’est écroulé
Maintenant tu es partie
la cloche ne sonnera plus
Maintenant tu es partie
je sens ta respiration
quand je me suis écroulé dans le sommeil
quand enfin j’ai pu te saisir
il n’y avait personne
et la nuit était profonde
les bougies mouraient
Maintenant tu es partie
car la flamme était trop forte
Maintenant tu es partie
Je t’ai vu marchant
c’était juste hier
quand j’ai couru pour te rattraper
tu avais disparue
et la rue était grise
le chateau s’est écroulé
Maintenant tu es partie
la cloche ne sonnera plus
Maintenant tu es partie

Dolphins

Sometimes I think about Saturday’s child
And all about the times when we were running wild
I’ve been out searching for the dolphins in the sea
Ah, but sometimes I wonder, do you ever think of me
This old world will never change the way it’s been
And all the ways of war won’t change it back again
I’ve been out searchin’ for the dolphin in the sea
Ah, but sometimes I wonder, do you ever think of me
This old world will never change

dauphins

parfois je pense à l’enfant du dimanche
et à tout ce temps où nous courrions libre
j’étais sorti pour chercher des dauphins dans la mer
ah, mais je m’étonne parfois, si tu ne penses jamais à moi
ce vieux monde ne changera jamais sa manière d’être
et les chemins de la guerre jamais ne le changeront pas
j’étais sorti pour chercher des dauphins dans la mer
ah, mais je m’étonne parfois, si tu ne penses jamais à moi
ce vieux monde ne changera jamais

The River

I live by the river
And I hide my house away
Then just like the river
I can change my ways
Oh, if you come to love me
You would stay forever
Inside my heart
Inside my dreams
And time will fade
In time we’ll love
In the street we walk as beggars
In the alley faithless kings
Ah, but it’s the truth of life
That chains us in between
Those lost moments we steal
To keep our love alive
And our prize so tired after all the pain
And time will fade
In time we’ll love

Rivière

je vis prés de la rivière
et je cache ma maison au loin
Car comme la rivière
je peux changer mon cours
et si tu viens pour m’aimer
tu pourras rester pour toujours
à l’intérieur de mon coeur
à l’intérieur de mes rêves
et le temps s’ évanouira
nous nous aimerons dans le temps
dans la rue nous marchons comme des mendiants
dans les allées des rois sans foi
ah, mais c’est la vérité de la vie
qui nous enchaînent
nous volons ces mouvements perdus
pour maintenir en vie notre amour
et notre butin est si las aprés tant de peine
et le temps s’évanouira
nous nous aimerons dans le temps

Wayfaring stranger (I)

I am a poor wayfaring stranger
Lord a travelling through this world of woe
And I find sickness toil and danger
Lord everywhere everywhere I go
I’m going there to see my brother
I’m going there no more to roam
I’m going there, ah it’s just over Jordan
I’m going there to my new home
One of these mornings and it won’t be long
Woa, men will rise and stand side by side
And hand in hand they’re bound for glory
Their foes will fall on freedom’s side
I’m going there Lord to find my brother
I’m going there, no more to roam
Oh, I’m going there, it’s just over Jordan
I’m going there no more to roam

Wayfaring stranger (II)

I am a poor wayfaring stranger
Travelling through this world of woes
Lord and I find sickness sickness, oh toil and trouble oh
Everywhere everywhere everywhere I see
Lord I’m going there to find to find my brother
They told me that he’ll be waiting there
I’m going there Lord it’s just over Jordan
Oh I’m going there to my new home
My new home

l’étranger qui voyage (1)

je suis un pauvre étranger qui voyage
à la grâce du seigneur dans ce monde de détresse
et je ne rencontre que maladie en labeur que danger
je m’en vais là-bas voir mon frère
je m’en vais là-bas pour ne plus pour errer
je m’en vais là-bas, c’est juste au-dessus du Jourdain
je m’en vais là-bas vers ma nouvelle maison
un de ces matins et cela ne saurait tarder, Woa
les hommes se lèveront et seront côte à côte
et main dans la main ils feront chaîne pour la gloire
leurs ennemis tomberont du côté de la liberté
je m’en vais là-bas seigneur pour trouver mon frère
je m’en vais là-bas pour ne plus pour errer
Oh, je m’en vais là-bas, c’est juste au-dessus du Jourdain
je m’en vais là-bas pour ne plus pour errer
.

l’étranger qui voyage (2)

je suis un pauvre étranger qui voyage
dans ce monde de détresse, o seigneur
et je ne rencontre que maladie en labeur que danger
partout partout partout où je regarde
je m’en vais là-bas seigneur pour trouver mon frère
ils m’ont dit qu’il m’attendait là-bas
je m’en vais là-bas, c’est juste au-dessus du Jourdain
je m’en vais là-bas vers ma nouvelle maison
ma nouvelle maison

Discographie sommaire

Once I was (1968, 1974)
Return of the Starsailor - Previously unissued live recordings 1967-75 (1967, 1974, 1975)
Blue Obsession (1975)
Look At The Fool (Discreet DS 2201) novembre 1974
Sefronia (Discreet MS 2157) mai 1974
Honeyman (Edsel EDCD 450) septembre 1995 live de 1973
Greetings From L.A. (Warner Bros. BS 2631) octobre 1972
Tim Buckley (Elektra EKS 4004) décembre 1966
Goodbye And Hello (Elektra EKS 318) décembre 1967
The Peel Sessions (Strange Fruit SFPS 082) aout 1991
Blue Afternoon (Straight STS 1060) février1970
Lorca (Elektra 74074) octobre 1970
Starsailor (Straight STS 1064) juin1971
Morning glory (1968, 1974
The Copenhaguen tapes (1968)
The dream belongs to me, (1968, 1973)