Trilok Gurtu

Shiva à la batterie

Combien de bras faut-il vraiment à un humain pour égaler les dieux, les dépasser parfois ?
Cette question que nous pauvres êtres drossés de rochers en rochers avons pu nous poser, il en est un qu’il la trouve superflu. C’est Trilok Gurtu, car il a tous les bras des esprits frappeurs et charmeurs qui un jour se sont réunis en lui pour mettre les tambours en marche.
Assis à l’indienne, le regard de braise, il caresse ici des tubes, là des cloches ou des coquillages, puis il fait se rejoindre la terre indienne à l’occident en employant la batterie occidentale à qui il apprend les vieux secrets échappés des temples.

Rythmes brisés, comme le dit un de ses disques, non plus rythmes éparpillés et recomposés ensuite dans le creuset de la transe. Il met en résonance bien des bibelots sonores.

D’anciens chemins pris jadis dans les lianes et la poussière s’ouvrent à nouveau, celui de Banganga, celui de nos sens mis en éveil.

Jadis compagnon des expériences indiennes de John Mac Laughlin, il est seul maître à bord désormais et il reste en famille avec ses grands amis compatriotes.

Batterie, tablas, yambo, marimba, percussions diverses, tubes de sable, machines à eau, cloches, gongs… Tous les objets qui percutent, qui heurtent les tympans de volupté sonore sont à ses pieds. Et comme si cela ne suffisait point, ses mains deviennent des arbres à sons.

Il aurait pu être parqué dans le secteur des musiques du monde, mais le rythme plus violent que le Gange en crue, en fait un jazzman à part entière.

Les talas indiens (rythmes si complexes), viennent s’enlacer au beat occidental. Les temples de l’Inde ont des accents d’Afrique profonde. Les très longues phrases sinueuses indiennes qui n’ont pas de fin de temps en elles, passent dans nos sabliers actuels. Actuellement il vibre sous les ondes des lourdes pulsations africaines.

"We make bridges, not barriers, This is what the world requires”. "Nous faisons des ponts pas des barrières, car c’est que le monde a besoin". Trilok Gurtu a cet appétit des mélanges du monde. Il va vers une vision globale de la musique, du jazz au "raga-pop".

"Je ne fais pas de la musique pour être à la mode, je joue pour le public et je dois pouvoir rendre ce que j’ai enregistré. J’essaie de conserver mon son. Je fais cette musique parce que j’y crois et les gens qui travaillent avec moi n’ont pas peur du challenge". Et du challenge il y a en a quand on joue avec un tel virtuose.

Trilok Gurtu est le descendant d’une famille de hauts musiciens indiens, il est né à Bombay le 30 octobre 1951. Sa mère Shobha Gurtu qu’il faisait chanter sur ses cd était une grande chanteuse des hymnes classiques de la musique de l’Inde. Dès six ans il commence à jouer, possédé par le fleuve du rythme. En 1973, il quitte l’Inde pour l’Europe, puis il se rend quelques années plus tard aux États-Unis où il rencontre de nombreux musiciens (Barre Philips, Archie Shepp, Philip Catherine, Daniel Goyone, Michel Portal, Nguyên Lê, Pharoah Sanders…).

En 1984 il est avec Don Cherry, puis avec Jan Garbarek, L. Shankar, Zakir Hussain jusqu’en 1988. À cette époque il crée son propre groupe. Mais la révélation se fera avec le trio John McLaughlin, ce sera le projet "The Mahavishnu". Cela brillera fort jusqu’en 1992.

En 1993 il fréquente Joe Zawinul, Pat Metheny. Mais c’est son quartet "les Crazy Saints", les saints délirants qui l’occupent principalement. Ce sont ces saints qui le conduisent au plus fort de la fusion des musiques orientales et occidentales. Si chez certains cela devient une mode, pour lui entre deux modes (il vit maintenant en Allemagne), cela semble une nécessité comme les épices sur la fleur de la vie. Il s’adonne de plus en plus à des improvisations vocales qui donnent une voix double à ses solos de percussions.

Sa musique est une mystique des sons, une spiritualité :

" Tout le monde parle de Dieu. Mais si Dieu était quelqu’un, on l’aurait trouvé. Tout le monde le cherche, mais du mauvais côté. C’est comme la musique, tout le monde en parle, mais ne peut que l’écouter et la ressentir. Comme Dieu, on peut ressentir sa présence, comme le vent."

Et le vent souffle fort dans les percussions et la musique.

Il reste le grand voyageur de l’Europe à l’Asie, du jazz aux musiques traditionnelles. Toujours passager du vent, père jaloux de ses percussions qui sont son tapis volant, Trilok Gurtu devient le bruiteur du monde qui s’écoule.

Gil Pressnitzer

Discographie

Remembrance
The Beat of Love
African Fantasy
Kathak
The Glimpse
Bad Habits Die Hard
Believe
Crazy Saints
Living Magic
USFRET
Broken Rythms