Wallace Roney

La trompette et son double

Wallace Roney est ce trompettiste de jazz qui doit assumer l’écrasant fardeau d’être considéré comme l’héritier de Miles Davis.
Beaucoup seraient rentrés sous terre devant cette ombre dévorante à porter, surtout quand c’est Miles Davis lui-même qui vous ordonne de venir le doubler pour la grande célébration de Montreux de 1991 et qui vous offre sa trompette pour vous remercier.

Depuis les hommages à Miles, plus ou moins fervents, plus ou moins adéquats, se sont succédé, et Wallace Roney y a tenu sa part.
Mais encore jeune, né à Philadelphie en 1960, il veut s’affirmer pour lui-même, autrement que comme une copie hyperdouée, un clone réussi, voire le dauphin couronné, laissant à d’autres la nostalgie qui tourne en rond :
« Même si être un trompettiste de jazz, signifie quelque part faire vivre l’art de Miles, le perpétuer, je ne poursuivrai pas ma carrière en enchaînant hommages sur hommages ».
À un moment la chaude sollicitude peut devenir étouffante et trop lourde pour le vol libre.Et Wallace Roney prend son envol.

Par rapport à tous ces jeunes musiciens actuels produits en batterie, en couveuse, et tous d’une redoutable technicité mais aussi d’un ennui profond tant leur conformisme et leur manque de désir suintent, Wallace Roney apporte son originalité. Lui aussi fut un enfant prodige ayant déjà enregistré à quatorze ans avant d’entrer à la Duke Ellington High School.

D’abord et avant tout il a une histoire et des passions. Tôt immergé dans le bain de la musique de Miles Davis et surtout de Lee Morgan son idole, il se forme à la bonne et dure école du bon vieux singe sage, Art Blakey et ses Jazz Messengers. Puis il devient le pilier du groupe de Tony Williams, démon des peaux de tambour, sorte de Rimbaud de la batterie. De ce batteur de légende du plus grand quintette de l’histoire du jazz, celui de Miles des années soixante, il aura appris le goût du risque.

Ce lait du groove et de l’émotion bu à de si bonnes sources, corsé d’un zeste de Wayne Shorter vous forme un musicien captivant et original.Ses rencontres avec Geri Allen, la grande pianiste qui plus tard sera la confidente sur scène de Charles Lloyd sera déterminante, musicalement et familialement. D’autres partenaires tels que Ravi Coltrane, l’ont également façonné.
Depuis « Crunching », jusqu’à « Prototype », Wallace Roney est sur orbite prêt à enchaîner mélodies poignantes et phrases virtuoses.Modeste et courtois il sait que le jazz requiert le plus haut niveau d’exigence artistique, aussi il se concentre pleinement sur cette musique, laissant à d’autres le brillant, la mode et l’éphémère.Tout entier tourné à approfondir le son et le sens de sa trompette, il n’emprunte pas les voies de traverse du jazz urbain. Mais à l’écoute du monde, il intègre les dj, les sons électroniques tout en restant l’artisan qui travaille à s’améliorer encore et encore.
« Je me contente de contribuer à cette musique, à apporter ma singularité et essayer de faire franchir au jazz le prochain cap ».
Et si parmi tous les trompettistes de sa génération, Wallace Roney était le plus profond, le plus chatoyant ?
Wallace Roney a terminé ses années d’apprentissage, ses années de dévotion Miles, maintenant commencent les années adultes, les années Roney.

Sur sa production, "Prototype", on remarque une renaissance et le relance sur les territoires entrevus par Miles, sur de nouveaux rails, ceux du jazz contemporain.Elles nous promettent de biens beaux moments : intenses, tendus, rafraîchis aux fontaines du bop le plus pur, avec toute la liberté apprise chez le sorcier Miles.
Quand il joue sur la trompette lui ayant appartenu, quelques flammes doivent se transmettre de l’un à l’autre.

Gil Pressnitzer

Discographie

1987 Verses

1988 Intuition

1989 The Standard Bearer

1990 Seth Air

1991 According to Mr. Roney

1993 Munchin’

1993 Crunchin’

1994 Misterios

1995 The Wallace Roney Quintet

1996 Village

2000 No Room For Argument

2004 Prototype

2005 Mystikal
2007 Jazz Cd