Yann Tiersen

Le carillonneur des rêves

Or donc il n’aura pas succombé à l’indigestion de chocolat Poulain et de tonnes de bons sentiments, et il continue à faire tourner son orgue de barbarie, humblement de fontaine en fontaine.
« Musique de rosée », musique des boîtes à musique des rêves, la musique-univers de Yann Tiersen est "une aventure du banal », un colimaçon de la poésie.

Ces douces petites musiques entêtantes, il les distille papillonnant d’un instrument à l’autre. Chevauchant les chevaux de bois de l’enfance des sons, il avance lunaire et pierrot souriant vers nos enfances rassemblées.
On fait cercle, on rêve, on s’enivre de rosée. Il n’est pas sur scène mais à l’orée d’une clairière sous la lune, les lapins qu’ils tirent de son chapeau sont vivants et, à la fin de l’aubade, ils rejoindront leurs fourrés se redisant les autres soirs ce qu’ils ont entendu.

Il parle d’un monde fragile du pays imaginaire. Sa musique est faite du souffle du vent, de bruits doux de rivières, de petites vies musicales à peine effleurées. Peter Pan dirigeant un orchestre de brins d’herbe et d’allusions de rosée, il vous prend par le bras pour flâner dans la rue des cascades.

L’oreille collée aux toiles d’araignée de l’aube, il sait faire se lever les images du jour, les reflets de la nuit.
Tendres suggestions de « doulce mémoire », sa musique minimaliste butine du piano d’enfant au mélodica, au violon à l’accordéon, aux clochettes. Un murmure de poésie flotte dans les virevoltes de l’équilibriste entre claviers et cordes, de la machine à écrire aux marmites.

Il était donc une fois, un monde enchanté, couleur sépia avec aussi des ballons rouges partant vers un ciel pastel, et nous aurions pu passer à côté, pire l’écraser.
Il fallait prêter l’oreille au peuple des sons ténus, ils vivent eux aussi dans l’herbe des rêves.

Cette musique minuscule, il l’écrit en accord avec l’harmonie de l’air, où il pose ses notes en bulles. Insistante, répétitive, lancinante, simplette, sa musique coule de mille sources. Et les gouttelettes de l’émotion refont source en nous.
Il se moque de la pesanteur des choses, bulles de savon irisées ses musiques se posent à l’envers des choses.
Les lois de la pesanteur sont ignorées et la pomme de Newton, remonte rougissante sur l’arbre, se maudissant de ne pas avoir appris à voler !
Ce natif de Brest, pudique et secret, a su pourtant s’imposer aux Transmusicales.
Avec l’inconscience de sa jeunesse il renoue avec les gymnopédies de la mémoire. Mais là où Satie était sarcasme ou tristesse, Yann Tiersen est cascade et pureté !

Comme des souris grises, les mélodies de Yann Tiersen courent dans nos têtes, comptines d’enfances imaginaires, aux doigts violets d’encre et de groseilles.
Seul, pathétiquement seul sur scène, il est un funambule céleste qui jongle avec les sons, et les bulles sonores de nos rêves endormis. Il va d’un instrument à l’autre, mais la magie demeure toujours tendue dans le miroir de l’onirique.
Yann vous prend doucement par le bout des rêves et comme un joueur de flûte qui va noyer le troupeau de vos douleurs il nous entraîne vers le fleuve. Là sont cachés nos vieux jouets, nos rengaines, nos petites joies, nos grosses larmes, nos lambeaux de musique.
Ce fleuve est en chacun de nous. Des gouttes de pluie tombent de sa musique, un accordéon se cache dans les arbres et se déguise en merle.
Yann Tiersen tient guinguette dans votre âme d’enfant, venez, suivez – le dans cette petite éternité sans paroles, avec juste un petit air lancinant comme un sac de billes qui résonne encore et depuis si longtemps à nos oreilles.

Gil Pressnitzer

Textes de Yann Tiersen

La Terrasse :

Un après-midi là, dans la rue du jourdain,

on peut dire qu’on était bien,

assis à la terrasse du café d’en face

on voyait notre appartement.

Je ne sais plus si nous nous étions tus

ou si nous parlions tout bas là au café d’en bas,

mais je revois très bien la table et tes mains,

le thé, le café et le sucre à côté.

Puis d’un coup c’est parti, tout s’est effondré,

on n’a pas bien compris, tout a continué,

tandis qu’entre nous s’en allait l’équilibre,

plus jamais tranquilles, nous tombions du fil.

Cet après-midi là, dans la rue du jourdain,

en fait tout n’allait pas si bien,

assis à la terrasse du café d’en face

on voyait notre appartement,

si triste finalement avec nous dedans

Les Bras de Mer :

De l’endroit où je suis

On voit les bras de mer,

Qui s’allongent puis renoncent

A mordre dans la terre...

Dans le lit, tard, nous sommes là,

Nous recommençons tout,

J’ai du mal à y croire,

Je vois des bras de mer...

Qui s’allongent...qui s’allongent...

Je vois des bras de mer...

Qui s’allongent...qui s’allongent...

Et qui mordent la terre...

Et la séparent enfin.

Les Grandes Marées :

Laissons ça aux marées de septembre et voyons après coup

Voyons ce qui reste

La trace des années fières, les matins qui s’étirent

Dans l’appartement clair la lumière du dehors

La descente dans la foule, réveillée de la ville

La tête haute, le regard souriant pour une fois

Le rire du buraliste devant nos mines radieuses

Le retour, l’escalier, la cuisine et la chambre

Puis l’envie de partir et les nuits, détachés

Les sabordages en règle et l’haleine trop chargée

Puis la peur de savoir que l’on est responsable

De l’enlisement des lieux, ton visage un peu pâle

Les journées qui s’endorment et puis le manque d’essence

Pour oser dépasser les trahisons d’hier

Laissons ça aux marées de septembre et voyons après coup

Voyons ce qui reste

Et voyons après coup

Voyons ce qu’il en reste

Tout est Calme :

Encore une nuit où tout est calme, pas un bruit, rien

A part vos souffles réguliers, à côté

Encore une nuit sans sommeil, sans raison, juste

Une flopée de choses un peu floues tout autour

Alors on sent très bien le bout du lit et les murs

Se resserrer, se refermer sur on ne sait trop quoi

Alors on sent très bien nos mains se crisper et se tendre

Se diriger, se refermer sur on ne sait trop qui

Suit un lendemain sans histoire, comme tous les autres

On regarde par la baie vitrée alentour

Pas de surprise la mer est calme

On avait tort d’espérer voir un coup de vent se lever

Alors on sent très bien le bout des choses se fendre

Puis s’effriter, puis s’écrouler sur on ne sait trop quoi

Alors on sent très bien nos corps se crisper et se tendre

Se rapprocher puis s’effondrer sur on ne sait trop qui

L’après-midi se passe sans heurt, sans incident

Aucun risque de voir l’orage éclater

Alors on sent très bien la fin de tout approcher

Se déployer puis effacer on ne sait plus trop quoi

Alors on sent très bien nos corps se crisper et se tendre

Se détacher, se diriger vers on ne sait trop où

Discographie

D’abord son site personnel: http://www.yanntiersen.com/

1995 : La Valse des monstres

1996 : Rue des cascades

1998 : Le Phare

2001 : L’Absente

2001 : Le Fabuleux Destin d’Amélie Poulain (bande originale du film)

2004 : Yann Tiersen & Shannon Wright (en collaboration avec Shannon Wright)

2005 : Les Retrouvailles

2008 : Tabarly (bande originale du film)

2009: On tour