André Marfaing

Le noir ou la lumière aux aguets

« La lumière me touche plus que la couleur ».

Que reste-t-il de l‘empreinte d’André Marfaing sur sa ville natale, Toulouse ?
Une impasse à son nom, perdue entre l’anonymat des rues, un tableau aux Abattoirs obtenu par le biais de la Fondation Cordier. Mais ce tableau illumine à lui seul tout le lieu qui souvent ne semble qu’un bateau ivre voguant au gré des modes et du vent de la branchitude.
On ne semble pas pardonner en province la montée à Paris que l’on assimile toujours à la trahison de ses racines, alors que pour Marfaing, il fallait trouver des vents plus forts et plus porteurs.

Pourtant André Marfaing n’est pas un peintre maudit, il a connu la consécration (Biennale de Venise en 1962, nombreuses expositions internationales, galeries renommées). Mais comme sa peinture au bord du silence, Marfaing n’aura jamais faitde vagues. Il était contemplation.

Marfaing fut un homme taiseux, tout entier absorbé dans son grand combat cosmogonique contre la lumière. Lui ne s’explique presque jamais sur sa peinture, aucun discours théorique ne sert de béquille à son oeuvre, il dit simplement ceci:

"Les impressionnistes disaient que le noir n’existe pas dans la nature
et ils le bannissaient de leur palette.
Pour cette même raison, je l’emploie à peu près exclusivement…
Les impressionnistes cherchaient à rendre la lumière du plein air.
Je cherche à construire un monde sans référence avec la nature extérieure et j’emploie pour cela d’autres moyens.
Le noir et le blanc me semblent avoir le caractère de simplicité, d’absolu et de rigueur qui me convient… "
A. M. décembre 1974.

Son œuvre au noir est bien moins connue que celle de Pierre Soulages, dont la rencontre en 1952 fut cruciale ainsi que celle moins évidente du mystique Alfred Manessier, et elle tient debout devant ces maîtres.

Il dit avoir subi l’irrésistible attraction du noir par sa fréquentation assidue des musées, par sa découverte de ses contemporains seulement au moyen de reproductions en noir et blanc dans les revues. Sa pratique du fusain, de la lithographie, son amour pour l’art roman et ses sculptures qui mangent l’espace, tout cela aussi le faisait déjà amant de cette épiphanie de l’ombre et de la lumière qu’il réalisera dans sa peinture abstraite.

Une brève notice ne dit que cela:

« André Marfaing, né à Toulouse en 1925, s’est installé à Paris depuis 1949 et a participé dès 1950 au 1er Salon des jeunes peintres. Il a poursuivi en parallèle une carrière de graveur, avec une prédilection pour l’eau-forte, mais aussi les collages et lavis. Il vivait souvent à Saint-Jean-de-Luz. Il est décédé en juillet 1987.»

Pourtant ses lithographies, ses illustrations de livres de poèmes auraient dû suffire à le rendre toujours présent parmi nous. Il est un astre noir échappant à toute école, à toute catégorie et il semble tourner autour de nous comme cette lune noire d’ailleurs.
Ce qui touche encore si longtemps après un regard d’aujourd’hui, c’est cette lutte insensée et magnifique d’un homme contre le noir et le blanc, ses deux pôles de vie.

Il se penche au bord du gouffre du monde, de là il voit la lave en fusion de la terre. Elle est noire comme la douleur, blanche comme l’absence. Le noir et le blanc ont pris possession de sa toile. Ils campent aux lisières des choses terrestres dans l’embrasement de leur densité.
Parfois, mais rarement une touche de couleur, un bleu, un rouge ose apparaître au milieu du tableau. Trace fugace d’un monde parallèle, écho assourdi d’un ailleurs si lointain.

André Marfaing marche lentement dans un univers de la non-couleur, de l’absolue pureté. Loin du chaos des couleurs, dans la nudité sereine de la palpitation intime, au plus près du mariage entre la neige et le charbon.
Dans ce monde sans dieux bariolés, Marfaing édifie son silence. Loin du néant, proche d’un chaos intime maîtrisé.
Et toute cette floraison de milliers de gris qui sourdent de ce choc primordial !
Les formes sont devenues des épures qui passent, doux fantômes nous parlant d’éternité et de retrouvailles avec nous-mêmes.
Cette apparente simplicité des toiles de Marfaing est celle conquise sur les rumeurs du monde.

Ces grandes étendues de noir, ces plages de silence sont sa lutte avec l’ange de la pureté. Toutes, ou presque, des toiles de Marfaing s’appellent « Peinture ». Par là il signifie qu’il peint l’essentiel et tout est peinture dans ce cheminement vers toujours plus de pureté.

« Le but de ma peinture n’est pas de solutionner des problèmes, mais de créer un monde complet et poétique ».

Marfaing aborde ce secret du monde avec un lyrisme de statuaire, celui des humbles bâtisseurs d’étranges statues tournées vers une adoration des ténèbres du jadis. Par un dépouillement des attributs du peintre (gestuelle, énergie, chaos émancipateur,...), il demeure un artisan des frontières du vide. Ce cheminement vers le presque rien il l’opère étrangement. Il règne une grande compacité dans ses oeuvres, la matière est présente et dense là où l’on peut attendre l’évanouissement de tout lien. Ce n’est pas une dissolution des formes, mais des terres qui se figent et qui nous renvoient à des origines d’avant la vie.

Il écoute l’éternel dialogue entre le blanc et le noir, entre l’ombre et la lumière. Il traque les limites de l’inconnu sans jamais basculer dans le vide ou l’absence.
Marfaing nous présente l’épure véritable du réel. Cette lumière fossile faite d’épures du noir et du blanc a dû exister avant même qu’ils ne soient apparus sur la toile. Le tableau de Marfaing semble incréé, existant bien avant nous, avant sans doute la séparation du ciel et de la terre.
L’inquiétude ou le désespoir ne sourdent pas de ses peintures, plutôt une étrange sérénité, une vibration de l’intérieur.
Laves refroidies d’un désastre obscur, témoignages sans aucun abandon d’un autre monde possible, les toiles d’André Marfaing sont des pierres posées, tournées vers d’autres galaxies.

Gil Pressnitzer