Li Jinyuan
Le retour de l’oie sauvage
Li Jinyuan notre ami peintre chinois au cœur pur et à l’âme vivante, est revenu dans ses terres de l’esprit, seize ans plus tard, nous montrer ses derniers travaux.
Inspirés de ses souvenirs de séjours aussi bien dans le Lauragais, dans le Lot, les Pyrénées, qu’en Allemagne, Li Jinyuan a réalisé une exposition à l’Espace culturel Bonnefoy de Toulouse en novembre 2013, complété par quelques œuvres d’inspiration taoïste de son fils Li Juntao.
Son ami et élève Benoît Vermander a préfacé ainsi le catalogue de l’exposition, en essayant de transcrire la démarche poétique de Li Jinyuan :
L’île jonchée de poteries comme autant d’îles fragmentées parmi l’océan de l’humus, l’île se dit jarre à trésor et tremble au son de sa fêlure.Me sont d’un coup données la mer et la pluie qui la calme et trouble, me sont donnés le sang, la barque et le vent qui la fait verser, me sont donnés à neuf le calme intense et l’aventure unis dans la barque et son rythme venus déplacer le rivage.
Quelle histoire alors inventer, quelle histoire inviter plutôt à ma table et puis en mon lit, une histoire qui parle et se taise, une histoire faite d’îles, de tours de garde et de paris - des paris qui seraient tenus, des paris qui seraient perdus -, une histoire emplie de replis, mais qui se raconte d’un trait, quelle histoire enfin inviter, aimée, pourtant toute ignorée ?
Cette histoire faite d’îles et de choses promises qui se dérobent et puis surviennent sur la mer et parmi l’orage, cette histoire se contera-t-elle malgré moi, au travers de moi ?Cette histoire surviendra-t-elle, se dira-t-elle en se faisant ?Elle s’avouera partition qu’on déchiffre sur les portées, et l’interprète l’écrira dans le temps même qu’il la découvre, elle chantera, se murmurera plutôt que de se dire à voix trop posée, cette histoire surgira, tourbillonnera, sombrera dans la pulsion même des vagues dont elle aurait voulu être l’intrigue.
La partition que l’on découvre sur les portées des toiles de Li Jinyuan est toute entière vibrations fraternelles envers la nature, l’amitié, la vie qui chemine, ses débordements aussi, et la place de l’homme au sein de la nature.
Ainsi Li Jinyuan se livre-t-il en écrivant ces mots:
« Vivant, vivant au tréfonds du cœur, si admirablement vivant qu’à chaque instant le cœur vibre à tout ce qui l’entoure, s’y reflète, s’y relie, s’en rapproche et s’y unit : quel ravissement !
Merci à celle qui m’a donné le jour, merci au Ciel de m’avoir ouvert les yeux de l’âme !
Amis si chers, venez partager l’émotion d’un moment ici recueillie, et qu’à jamais nos esprits jouissent de la plénitude de cette rencontre ! »
Et Li Jinyuan est profondément vivant dans sa peinture, bâtie sur le socle de la peinture traditionnelle chinoise, mais aussi de ses chocs émotionnels reçus en découvrant Van Gogh et les fauvistes. Il aura été un des premiers peintres chinois à utiliser intensément la couleur pour traduire ses émotions.
Émotions ressenties devant la beauté de la nature, mais aussi devant ses débordements. Car il est tout un pan de la peinture de Li Jinyuan peu connu parmi nous, surtout familier à ses réinterprétations des paysages de Midi-Pyrénées au travers des théories ancestrales sur « le vide et sur le plein », et qui leur redonnent un nouveau regard tout neuf, une autre partie témoigne, avec une violence presque expressionniste, des tremblements de terre dans sa région du Sichuan, des incendies dévastateurs, du chaos, des visages presque déjà morts des lépreux qu’il a visités.
Parfois d’étranges apparitions occupent ses tableaux, des visages et des yeux inquiétants surgissent des montagnes ou des arbres, des rituels immémoriaux se déroulent.
Certes femmes yi, bergers, hommes marchant dans leur solitude, oiseaux, chevaux, yacks, villages oubliés sont toujours présents, mais une face violente et noire est donc aussi présente dans son œuvre.
C’est en nous permettant de découvrir plus d’un millier de ses tableaux, car Li Jinyuan est un artiste très fécond et très rapide, que ceci nous a été révélé et les galeries proposées sur cette page, veulent faire connaître toute la complexité du peintre, sa générosité, son élan vital, et aussi ses tourments.
De paysages oniriques, presque idylliques, en reflets fantastiques d’un monde qui parfois se réveille de son obscur et nous regarde, nous submerge, nous rappelle notre simple traversée ici-bas.
On semble passer d’un doux regard enfantin, à celui d’un visionnaire qui pressent le feu et la terre qui se soulève.
Des apparitions d’un monde obscur, mais sous-jacent traversent parfois ses visions.
Et toujours en regard la tradition millénaire d ela peinture chinoise structure sa vision, utilisant les blancs du papier, les proportions de l’hommedans la nature, et aussi la mystique taoïste de la recherche d’une sagesse, d’un accomplissement intérieur.
Il y a de la bienveillance dans ses toiles, même dans les plus noires et déchirées parla vision d’un monde qui se tord.
Mais le chant reste pur, même dans les sombres intervalles, même dans le cri.
Docilement tout vient prendre place dans ce cri :le paysage tout entier semble y contenir sans bruit,le grand vent semble s’y lover,et la minute, qui veut s’en aller,est blême et muette, comme si elle savait les choses,qui nous obligeraient à mourir,montant de lui. (Rilke).</p
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Et dans ces tempêtes qui soulèvent même les montagnes et les arbres, il est toujours un homme seul, debout qui les contient toutes.
Mais je sais proche les tempêtes et je suis agité comme la mer.Et je me déploie et tombe en moi-mêmeje m’affale et suis tout seuldans la grande tempête.(Rilke).
Ainsi nous est revenu notre très cher ami et frère, après 18 ans d’absence, et ce « retour de l’oie sauvage» est printemps en nos cœurs. Là-bas, dans le Sichuan, il y a un être qui se souvient et tremble encore du bout de son pinceau aux souvenirs communs. Le cri de cet oiseau de passage nous enjoint de regarder la beauté de ses tableaux.
Gil Pressnitzer