Li Jinyuan

Les grandes terres de l’esprit

« C’est beau, c’est bon », ce sont les mots, les seuls jamais appris en français, par lesquels Li Jinyuan nous entretenait de ses émotions et de ses peintures.

Mais Dieu lui-même, juste après les travaux forcés de la création, n’en disait pas beaucoup plus et n’en pensait pas moins.

Li Jinyuan, enfant des terres du grand sud-ouest de la Chine, le Sichuan, retrouva des paysages à sa dimension en Midi-Pyrénées.

À l’invitation du Conseil Régional et Marc Censi, il arriva timide dans un monde inconnu, sans une parole autre que le mandarin.

Il nous fut donné de l’héberger, de le vêtir, de le guider aussi, en ne communiquant que par des dessins sur des bouts de papier et des battements de cœur.

Certes bien des lacs de parole étaient prisonniers, enclos sans pouvoir déferler, mais l’essentiel était là, à bout de pinceau. Li Jinyuan avait son sceau gravé dans son sourire et sa générosité. Quand une aimable interprète était présente, les mots se dégelaient en coulant en peinture drue, en tendresse sue.

Dans l’impasse des acacias du langage, il fallait la plupart du temps tout réinventer, mais mieux que cela se taire et voir les tableaux naître. Une intense concentration, quelques photos de repérage, et « d’un coup de pinceau unique », le papier de riz se zébrait de paysages où l’homme toujours avait sa place. Comme l’œil disait-il, tout petit dans le corps, mais essentiel.

Dans ces territoires de l’inexprimé se mettaient à nu des milliers d’années de tradition, de représentation patiemment polies.

Vide et plein prirent possession des paysages les plus fréquentés dans notre mémoire. Rocamadour, Montségur, les Rives du Lot, Bruniquel,,les Pyrénées. Ils revenaient à nous, neufs et réhabités.

Un regard d’un créateur chinois et le sens mystique profond de nos terres montait comme feu d’amitié en haut des collines. Car avant tout la peinture de Li Jinyuan est profondément fraternelle.

Elle vit de rencontres, de conversations avec des vignerons dans une langue inventée et écrite avec les vignes, dans ce lien avec la montagne, de son rire échange immédiat avec les autres.

Les terres arables du songe doivent être sans trêve labourées, sinon quand on tend son oreille sur le ventre des sillons, on n’entend que sa propre voix ventriloque.

En quête de terre promise, de paradis bien humain, Li Jinyuan trace à nouveau des routes de la soie qui s’entremêlent avec les chemins d e Saint-Jacques de Compostelle, marque indélébile pour lui.

Cet homme simple, d’abord ouvrier aéronautique, aura pas à pas seul gravi les degrés de l’expression picturale, avant d’être admis auprès des maîtres. Enseignant à son tour il transmet sa vision panthéiste du monde et de la puissance bienfaisante de la nature ; « Vie et Nature » fut le titre de sa première exposition, c’est aussi sa règle de vie, rejointe maintenant sa fascination pour la religion catholique qu’il coupe avec sa pensée taoïste. L’ombre de son élève, Benoit Vermander veille aussi sur lui, chandelle orante, « Veilleur de jour » en fut le fruit. Le réfectoire des Jacobins, le réceptacle, permit aux gens de découvrir en pleine fraternité cette peinture. Nous avions voulu faire se rejoindre la poésie de Saint-John Perse et les papiers de riz de Li Jinyuan, les noces furent fécondes.

Des arbres de Judée, des premières neiges, des vignes en automne sortent de ces paysages et des visages.

Dans son atelier provisoire du Centre Culturel de l’Aérospatiale, avant qu’il ne fut rasé, venaient se déposer tous les pollens glanés sur le terrain. Et le mystère de la création se faisait en pleine lumière. Des séries de photos troublantes montrent ce vertige de l’instant, elles sont visibles en ligne sur le site esprits.nomades.com.

Mais rien ne peut rendre ces quelques choses qui jamais ne meurent : l’étincelle des feux du jour sur tous les hommes ; l’orage des vignes rouges comme un goût éperdu de vivre, cette terre qui exhale des âmes familières.

Visions dont nous nous irriguons encore, les tableaux de Li Jinyuan restituent des rêves, des pluies, des amitiés. Mon petit frère poursuit ses éblouissements en couleur.

Du Sichuan il nous envoie encore ses souvenirs colorés de Midi-Pyrénées, vient parfois se tenir parmi nous à hauteur de ses images.

La venue de Li Jinyuan fut une belle aventure, Garonne et le Yangtsé roulent ensemble maintenant des eaux calmes pleines de lait et de fleurs tombées du ciel. Plus de quatre fleuves passent dans la peinture de Li Jinyuan, tous se jettent à la mer de la tendresse humaine.

Gil Pressnitzer