Alain Suied
Témoignages
Il nous a semblé nécessaire afin de rendre hommage à Alain Suied de publier deux témoignages précieux. Les voici
Témoignage de Ftouh Souhail
C’est avec peine que nous avons appris que l’auteur et poète Alain Suied s’est éteint le jeudi 24 juillet 2008 à Paris des suites d’une longue maladie, a-t-on appris aujourd’hui.
Alain Suied est né à Tunis le 17 juillet 1951 dans l’ancienne communauté juive ville que ses parents quittent en 59.
Son premier poème publié paraît en 1968 dans la revue « L’éphémère » peu après les événements de mai 68.
Son premier recueil paraît en 1970 au Mercure de France : « Le Silence ». Il traduit Dylan Thomas, Keats, Blake, Updike, Faulkner, Pound, Muir, Jarrel, Coleridge, etc.
Il est le premier – dès le début des années 70 – à défendre l’œuvre et la figure de Celan « poète juif ».Il était d’ailleurs l’auteur d’un essai sur Paul Celan (Kaddish pour Paul Celan) ainsi que de nombreuses traductions de la poésie anglaise.
Pour Alain Suied, le poème n’est pas un exercice anodin de bricoler avec des mots agréables.
C’est au-delà du langage que le poème doit tendre. Avec Suied le poème est une méditation au cœur même de la spiritualité judaïque. L’œuvre poétique d’Alain Suied est marquée aussi par le sentiment de l’absence, de la perte, de l’exil. Elle ne se limite pas pour autant à un « office des ténèbres » mais porte une immense espérance, ou un immense espoir, de réconciliation par la fraternité.
Ses ouvrages les plus connus sont parus aux Éditions Arfuyen : Le corps parle (1989), Face au mur de la Loi (1991), Ce qui écoute en nous (1993), Le premier regard (1995), Le pays perdu (1997).
Son ouvrage le plus récent est « Laisser partir » aux Éditions Arfuyen (Avril 2007) dans lequel Suied, nous invite à partager ses peurs, ses angoisses existentielles et sa confiance en ce seul sentiment qui peut et doit sauver le monde : l’amour.
Profondément marqué par la recherche des grands psychanalystes, il est aussi passionné par la musique de ce siècle (il est membre de l’Académie Charles Cros). Il est aussi lauréat des prix Nelly Sachs, Paul Verlaine de l’Académie Française et Charles Vildrac de la SGDL.
Alain Suied a incontestablement enrichi la littérature et la poésie française. Il occupait, comme malgré lui, une place à part dans le monde des lettres. Son esprit original et mordant, sa curiosité toujours en éveil, sa liberté de ton, la singularité de son écriture, à la fois précise et nonchalante, tout cela n’appartenait qu’à lui.
Le 15 Mai dernier il a participé à la Synagogue ADATH SHALOM un « Assemblée de Paix » organisé sur le thème : Réaliser une Œuvre Aux Confins des Arts et des Religions. Il a affirmé que ; « Les religions et l’art mettent en mouvement notre corps tout entier, sa capacité de concevoir aux limites de l’humain, au point de tangence avec le divin ».
Comme nous tous, Alain Suied se positionne comme un homme attaché à Israël, qu’il constate aujourd’hui encore affronté à des « régimes » barbares. Il venait de saluer sa maturité des 60 ans. Pour lui la conscience juive s’incarne aujourd’hui en ISRAËL.
C’est un véritable écrivain et poète qui nous quitte, un honnête homme et l’un des plus authentiques représentants de l’esprit humain.
C’est avec profonde émotion que je présente les plus sincères condoléances au nom de mes compatriotes en reconnaissance à ce Grand intellectuel qu’a donné la Tunisie.
Ftouh Souhail
Témoignage de Sylvie Germain
(Extrait d’une lettre de Sylvie Germain)
Je voulais précisément vous écrire aujourd’hui,..mais, ouvrant à l’instant mon ordinateur, je découvre la nouvelle du décès d’Alain Suied, qui me stupéfie, et m’attriste profondément.
Je n’ai jamais eu le plaisir de rencontrer Alain Suied, que j’avais découvert en lisant son « Kaddish pour Paul Celan », il y a déjà longtemps. Puis j’ai lu plusieurs de ses recueils (parus dans la très belle maison d’édition Arfuyen), et sa langue, étrangement légère dans sa gravité, fluide dans sa sobriété, m’a toujours touchée; je sens une vraie justesse - de ton, de timbre, de parole - dans ses poèmes. Le long et subtil ressassement de ses poèmes ’transis de fatigue et d’espoir’, selon des mots qu’il aura souvent employés. Transis de douleur, de mémoire; blessés par l’immense mémoire/douleur de l’histoire juive. Mais cette douleur, tout en avançant à visage découvert au cœur de ses poèmes, m’a toujours paru d’une haute pudeur, et éclairée par un profond souci de l’autre, des temps présents et de l’avenir. Un homme fraternel.
Un homme surtout d’une sensibilité extrême, écorchée, m’a-t-il semblé à travers les quelques mots qu’il m’a envoyés ; de loin en loin nous échangions un signe, après lecture d’un de ses poèmes. Et c’est ainsi qu’Alain Suied a pris place, pas uniquement sur un rayon de ma bibliothèque, mais aussi dans une de ces clairières qui s’ouvrent dans nos pensées, nos sentiments, en marge des espaces plus centrés, plus intimes, passionnels parfois, occupés par les proches. Place en douceur parmi les amis jamais rencontrés, mais qui comptent, et qui laissent, lorsqu’ils meurent, un vide aussi discret que durable, non effaçable.
Comment lui rendre hommage, demandez-vous ? En continuant à le lire, à ressasser à notre tour ses mots simples et nus, sa plainte pure de tout ressentiment et de toute complaisance, son appel aussi patient que pressant à notre humanité indéfiniment en danger, et en donnant poids à ses mots dans nos jours, résonance au fil du temps.
Sylvie Germain