Claude Saguet

Hommage à Claude Saguet, poète toulousain (1936-2005)

Par Henri Heurtebise, poète, éditions Multiples

Quand je l’ai connu, il fréquentait « Le Cratère », qui était alors le lieu de poésie (avant la création de La Cave-Po par Gouzenne). C’était dans les années 1968.

En 1974, nous nous sommes lancés à Muret, tous les trois, Claude, Serge Pey et moi.

Chacun ensuite a fait son chemin, chacun a pris et maintenu sa direction, acquis sa qualité poétique.

J’entends sa voix, légère, un peu chantante, tête dressée, un peu penchée sur le côté, dire ses poèmes d’exil, ses poèmes de malheur dominé par l’écriture.

Nous étions jeunes tous les trois, nous nous voyions souvent, nous lui demandions son poème majeur d’alors : « Claude, dis-nous « La lampe

Inondée » et Claude s’exécutait. Une fois, les nerfs trop fragiles, pendant sa diction, il se mit à trembler comme les avions qui passent le mur du son. Oui, le mur du son.

Nous avons eu peur. Claude était tellement sensible Claude Saguet était un urbain. Il ne chantait pas « Le légume sanctifié » de Baudelaire. Pas de maniérisme non plus.

Pas de sensiblerie. Une vision tragique de la vie, sans pathos, sans récriminations, lui qui aurait pu en appeler à l’injustice sociale et culturelle.

Je porte en moi un cri d’usine

Un jour, pourtant, il écrivit dans Xambo ou les barbares : « Je porte en moi un cri d’usine ».

Claude Saguet, abandonné très jeune par son père - comme Rimbaud - vécut avec sa mère tout le temps qu’elle vécut, d’abord en Tunisie, puis au Maroc (de 1952 à 1964), enfin à Toulouse, 12 rue Saint Aubin. Il connut la vie de couple les quatre dernières années de sa vie.

Ouvrier à la SNIAS dans les ateliers de peinture, Claude contracta une maladie nosocomiale puis un cancer.

Luttant courageusement, la plaisanterie sans cesse à la bouche quand on lui téléphonait, il vivait effacé, connu de ses seuls amis.

Lisant beaucoup (littérature, SF, poésie), Claude Saguet comme tous les grands autodidactes, ne recevait pas seulement la culture. Il voulait donner la sienne, écrire, écrire de la manière la plus exigeante, la plus minutieuse. Combien de fois par lettre ou par téléphone, me fit-il part de ses hésitations devant un mot, une image, une strophe. Je lui dois de ne plus me confier à la facilité, d’acquérir justement cette exigence qui fait, avec l’inspiration, les meilleurs poèmes.

Dès son premier recueil, L’oeil déserté, ce cri : « Désert, désert partout ! » Et si l’on se réfère au titre, « désert » ne signifie pas seulement lieu préexistant de solitude, mais abandon récent.

Ce désert, c’est l’exil, c’est la nuit, c’est ce qui ne se comprend plus. « Je passe, droiture d’énigme », (LOD).

Plus tard, Claude sera Xambo le barbare, le non-latin l’étranger, celui qu’on ne comprend pas.

Enfin, dans L’espace de la nuit (chez Rüdiger Fischer, 1996) son chef-d’œuvre,

usé par une vie

d’attente et de tristesse.

Il ne sera plus qu’effacement, une ombre « exaspérée d’hiver » l’ombre de son ombre. Arrêtons-nous sur cet ouvrage, que j’ai lu et relu. J’avais écrit en préface (1995) :

À lire ce recueil j’ai pris conscience de la cohérence de ce monde fatal dominé par l’absence et la mort, le simulacre (les masques) de ce

monde en voie de dilution, en voie de disparition.
À la relecture, il faut aller plus loin. La nuit couvre le monde. Sur cette nuit naissent de grandes images qui oblitèrent et bouleversent le réel, qui prend alors ses racines ailleurs :

« La mer cherchant ses puits

dans la poussière des routes »

« Une racine aveugle qui se renverse

qui s’agite et qui siffle »

« Une eau qui se renverse let ne reflète rien »

« L’espace bout ».

Saguet, expressionniste !

En étroite relation, quatre mots majeurs : nuit, mur, mer, mort : la nuit « se répand sur les murs » comme une mer ; la mer, la nuit, la mort se rejoignent :

l’ombre au bout de l’ombre

égarée dans la mort.

Nous sommes bien dans « l’espace de la nuit », l’exil absolu, « l’autre côté du temps ».

Claude!

Ce 18 septembre 2005 Henri Heurtebise

(Paru dans Mots de Cocagne Automne numéro 7)

Lettre à Claude Saguet

Ce 11 octobre 2005

Mon cher Claude,

Ce ne sont pas tes poèmes qui me manquent. Tes poèmes, je les ai, je les relis, je

les donne à lire. C’est toi. C’est ton rire étouffé au téléphone. C’est cette douceur

de voix (quand tu étais en colère, abominable, cela ne durait guère, nous étions

tellement frères!) cette délicatesse.

Claude Saguet était toujours impeccable, urbain parfait, presque gentleman, mais

ton humour venait vite effacer cette façade. Tu baissais la tête et la relevais vite,

plaisantant vite et fort.

Ce côté sans défaut, je le retrouvais dans ton écriture, alignant tes mots en script,

éclairant d’une lumière de néon tes imaginations nocturnes, car tu es tin poète de

la nuit. La nuit efface la campagne, pas les rues. Tes images fantastiques pouvaient

naître, se développer dans tine poétique fiction s’autorisant le pire, que ta vie

fuyait sans cesse, que ton rire niait, que le ton presque tendre avec lequel tu disais

tes poèmes par cour laissait deviner.

« À notre mort, l’un empaillera l’autre », disais-tu, éclatant de rire.

Oui, je te ferai cette farce, mais avec toute la noblesse dont je suis capable, toi mon

petit frère avec qui j’ai eu mes 30 ans.

Henri Heurtebise

Choix de textes

Voici 2 poèmes, extraits de l’Espace de la nuit (édition En forêt) :

La nuit vient

de la mer,

du sang,

des géraniums.

Belle et cassante

devant les ombres,

la nuit dresse ses tours

pour des fièvres de soufre

Où la voix

baisse et meurt,

répétant la promesse

que l’aube va ravir

aux vitres rougeoyantes.

***

La solitude

chante dans la gorge,

et la mort ce grand vide

figé et insensible

où quelqu’un à la nuit,

danse la danse ancienne,

de celui qu’elle isole

et dont personne ne sait

que son chant tout entier

tremble et s’abandonne

au bruissement qu’accompagne

une vaine couleur.