Claude Saguet

Tombeau pour Claude Saguet

Saguet, le basalte noir de la poésie

Quand je serai mort

Entrez dans mes poèmes

Prêtez-moi un tison

Pour mes vêtements nocturnes

La source de vos gestes

Et la plus courte flamme

Car je crains d’aborder

- Naufragé de la nuit -

La terre entr’aperçue

Où flottent des yeux tristes

Et de vagues visages

A l’infini brisés

L’homme était rude et sauvage, sa poésie sera rude et sauvage. L’un et l’autre emmêlé dans le même bloc de désespérance. Homme de feu et de couteaux, il va trancher la poésie à vif, ses ongles prenant le pouls du tragique en le déchirant.

Saguet aura traversé des épreuves de feu qui l’auront calciné. Né en Tunisie le 13 avril 1936, il passera via l’Algérie au Maroc en 1952. Sa mère, rescapée d’un foyer tôt déserté par le mari alors qu’il n’avait que huit ans, se sera réfugiée parmi sa famille. Il ne revit jamais son père. Là Claude Saguet découvrira qu’il a, à jamais, les palmiers enracinés au cœur, et un professeur, M. Amoyel, lui dévoilera le travail ardent et minutieux de l’écriture de la poésie. De 1962 à 1964 il collabore aux Amitiés Poétiques et littéraires de Casablanca. Le soleil avec lequel il entreprend des noces n’est pas encore le soleil futur noir.

Tout l’été la cigale scelle sa mort dans une olive.

Mais même le soleil se déchire et découvre alors des cratères. Les horreurs de la guerre d’Algérie, il les vivra de plein fouet, et, comme soldat assistant à l’enfer de la déshumanisation et à la torture comme banalité des jours, il en sera marqué pour toujours. Il deviendra Xambo, le barbare avec ses rêves de poignards et ses espoirs poignardés. Jamais il ne voudra parler vraiment de ces violences inhumaines, elles hoquetteront toujours en lui.

Les événements de la colonisation vont le chasser du Maroc, oasis de sa jeunesse dans une ville certes méditerranéenne, mais hostile, Marseille en 1964.

Il ne voudra pas se fondre dans le milieu d’exilés pieds-noirs et sera l’homme muet en proie à des visions et des tremblements. Un jour, il aura la vision d’une ville avec des palmiers, ce sera Toulouse et son palmier des Jacobins.

Avec sa mère, aimée passionnément, haïe passionnément, jamais délaissée, il viendra vivre dans cette étrange ville souvent close à la poésie et enclose dans l’indifférence nonchalante. Il vivra longtemps chez sa mère, dans ce huis clos infernal et passionné qui le poussera encore plus vers le silence et la révolte intérieure. Soumis à une intrusion permanente, il lui libéra l’espace de ses jours et de ses lits. Lui vivait en concubinage avec l’exil et la nuit, et ses étroits espaces d’étudiant encombrés de livres et de photos lui suffisaient pour s’envoler vers l’ailleurs.

Car la vie est en cause

Il sera ouvrier spécialisé à l’Aérospatiale jusqu’en 1994, toujours du mauvais côté du manche quand patronat et syndicat majoritaire faisaient régner l’ordre du plus fort, l’ordre des briseurs de rêves. « L’usine lieu sans mystères ni fantaisie », dont il ne pouvait s’échapper que par l’étroite fenêtre des images de la poésie. Ce travail à la chaîne « faisait de lui un galérien », et ce depuis l’âge de 16 ans. Les petits réveils dans la cruauté de l’aube dès 5h30 et les nuits sans sommeil qui crucifient la parole, Saguet connaissait cela par cœur et dans sa chair, et alors il aiguisait sa haine « des petits bourgeois ».

Dans cet univers de la production (atelier de peinture), parfois espace d’oppression et de redressement, il vivra une seconde guerre intérieure qui le portera encore plus dans le silence des faibles. Rebelle, il était, et même quand quelques bribes de poésie poussaient à la médiathèque ou au centre Culturel de l’Entreprise, il voudra rester seul, ne rien dire ni échanger. Il sera simplement marqué par la venue de l’écrivain et sculpteur Pierre Bergounioux et ses bêtes pharamineuses. Et bien sûr il était là, tapi dans son humilité, au fond de la Salle Nougaro, pour entendre Martine Caplane, Bruno Ruiz, Philippe Berthaut et d’autres sans doute.

Il dira plus tard « Je porte en moi un cri d’usine. »

Quelques amis seulement le savaient grand poète (Henri Heurtebise, Serge Pey, Marie Bauthias, Jean-Pierre Metge, Michel Baglin, Gaston Puel, Guillevic,..) et parvinrent à le publier dans leurs revues et ailleurs, et surtout à maintenir allumée la flamme de l’amitié, valeur essentielle et fondatrice pour Claude.

Ses intimes côtoyaient ses peurs et ses écritures douloureuses plus « hautes que le frisson ».

Mais la timidité, les paniques qui le consumaient, les grandes houles d’angoisse qui le saisissaient à le faire chavirer, le faisaient rester toujours en marge. Il s’était lui-même enclot dans ses contraintes, et restait cloîtré dans un faible espace que seule la lune éclairait. Il ne tutoyait que l’indicible.

Ma mémoire est une plaie à vif qui ne mérite pas mieux, pas moins, qu’un chaos d’enseignes où la nuit glisse son signet...( journal d’un poète soi-disant maudit)

Visionnaire, il l’était, non pas par sa préméditation de l’avenir « ce lieu où rien ne pousse », mais comme locataire « de l’antre du délire ». Ses quelques nouvelles qui nous sont parvenues parlent de qu’il voyait comme des flashs, le mendiant assassin, les bals. Enfin toutes ses rencontres avec l’inexprimable. Sa passion dévorante pour la science-fiction et le fantastique lui faisait vivre une vie parallèle violente et sauvage et parfois ces ombres terribles sortaient de ses miroirs, de ses nuits blanches.

La peur était son site. Et « la solitude chantait haut dans sa gorge ».

Emmuré dans le béton des jours et les bains mortifères de l’usine, il nous donnait à entendre la vie qui grince, la vie qui caquette, dans ses mots « qui blêmissent ». Mais nous savons que les hommes ne sont audibles que pleins de sable dans la bouche, quand longue est la nuit pour ceux qui tentent de ne pas mourir.

Oui si longue est la nuit et coule le sable dans les hommes sabliers. Lui, Claude Saguet, savait l’autre côté du temps.

Ceux qui lui téléphonaient, et il préférait le téléphone au courrier, se souviennent de sa voix grave, de sa voix montant des caves intimes et des profondeurs de sa déshérence. Mais aussi de ses rires très longs quand il disait des blagues bizarres ou des anecdotes quotidiennes. Et puis brusquement, au détour d’une phrase, il parlait de sa hantise permanente, la mort. Compliqué, écorché vif, sur ses grades, il s’avançait hérissé de doutes. Obsessionnel du texte fermé, il ne pouvait se résoudre au moindre déplacement de virgule, et remodelait sans cesse ses quelques mots. Et puis il était patient, 26 ans pour voir éditer « Distances » !

Maintenant, ses livres refermés nous attendons le tremblement de terre et l’ouverture de l’espace. Pourtant le ciel est toujours trop bas pour être à hauteur d’homme.>

Regarde,

je suis fait d’ombres,

blessé de villes impénétrables,

mais je m’élance dans l’heure vive

entraînant l’horizon déjà sous le soleil.

En étrange pays dans lui-même il corrigeait sans cesse ses poèmes, les réécrivant, les remodelant, les changeant de recueil en permanence, au risque de les édulcorer. Il doutait de tout et d’abord de lui, souffrant d’un complexe de classe, lui le simple « Ouvrier Spécialisé » au milieu des « cultureux ». Parfois des frères d’âme apparaissaient comme le peintre Michel Battle, ou parfois un éditeur allemand.

Puis un jour il apprit que son travail à l’usine avec des produits dangereux l’avait frappé à mort. Déjà la mort de sa mère l’avait anéanti. Sa mère qu’il avait accompagné dans sa lente descente. Elle qui déjà avait pris congé du réel en voilant tous les miroirs d’où surgissaient de cruelles apparitions. Il entrait et partageait ses cauchemars pour ne point la blesser, et lui faire un brin de conduite jusqu’au bout de la route.

Maintenant il lui fallait vivre avec sa maladie qu’il croyait, ainsi que son médecin, avoir été le résultat du travail au milieu de bains plus que dangereux et sans aucune précaution. Il tiendra deux ans, se lançant encore plus follement dans la photographie qu’il avait toujours vénérée et pratiquée, et dans une nouvelle relation amoureuse qui lui redonnerait une autre mère. L’appareil photo en bandoulière, comme un miroir le long du chemin, il photographiait tous ses amis, toute la nature enfin prise dans un seul œil, l’objectif. Lui, profondément maniaque, ne permettait de regarder ses photos qu’avec le rituel des gants blancs. Et il s’amusait ensuite à casser la réalité prise sur la pellicule par la dérision. Ainsi pendant plus de trente-cinq ans il aura poli et repoli jusqu’au trouble compulsif les mots, restant fidèle à ses poètes amis sûrs, Baudelaire, Neruda, Eluard, Saint-John Perse, Octavio Paz, René Char,...
Travailleur secret du langage, timide à l’excès, hanté par l’échec, hors des mondanités et des cénacles, il a brûlé en poésie. Il remâchait sa honte d’autodidacte, lui qui avait plus lu que la plupart des "lettrés". Pas des romans, mais des récits d’aventure, et surtout de la science-fiction. La collection Terre humaine lui servait de terreau.

Aller me suffit, j’appartiens au silence.

On sait que les poètes meurent souvent du cancer des jours, mais celui de la chair ne leur pas épargné non plus.

Et le cancer de l’intérieur, de lui-même, ce cancer de la vessie, le mit à terre, le mit en terre en septembre 2005 après des années de combat de tranchées. Il cohabitait depuis si longtemps avec le malheur qu’il ne s’en étonna guère. Ce malheur en attente derrière ses épaules. La douleur nocturne était sa berceuse intime. Saguet, sagaie de la houle de la nuit.

Saguet, houle de la nuit

Ma mort viendra de l’explosion qui nous blesse et nous brûle.

Mais sa vie n’aura-t-elle pas été qu’une grande salle d’attente. Il n’a eu de cesse que de se débarrasser des draps des choses qui l’enserraient. La ville était sa tanière étroite, avec les rues qui ne mènent nulle part qu’à soi-même. « La tête éclatée toute », il allait sans hâte, reprenant ses mots qui comme lui devaient retenir leur souffle. Les murs formaient un carré de solitude, il les longeait sans espoir.

« Claude l’insomniaque de la vie, qui arpentait chaque nuit les décombres à venir. » comme l’écrit un de ses amis qui se souvient de leurs rencontres au tout dernier étage de sa tanière du 12 de la rue Saint-Aubin. Il y recevait des lettres avec cette adresse : Claude Saguet, poète, 12 rue Saint-Aubin. Parfois, le samedi, il allait rencontrer sur leur stand ses amis poètes. Il avait ce mal soudain d’être « laissé pour compte », « de devenir celui que les soi-disant vieux amis oublient facilement dès que cela les avantage ». Cela advint bien entendu.

Claude Saguet était emmuré dans l’exil et l’absence, seule la nuit l’éclairait et alors il lâchait les chats noirs de ses mots sur les toits de la ville. Certains ne revenaient pas. Il allait à leur recherche pour les nourrir sur la place voisine, les chats le regardaient sans le reconnaître, car ce n’étaient pas les mêmes qui marchaient sur ses miroirs. La mort logeait en lui, logeait chez lui, et lui préparait la cuisine de ses poèmes.

Voilà tout est fini. Plus de patience, plus de ruses pour survivre, tout se clôt. Saguet a habité le cri. La mort lui a tendu, rendu, son visage et lui a dit que les chemins étaient tous sans issue. Comme nous tous.

La nuit, la nuit.

Appartement scellé, bouche scellée, la bouche d’ombre de l’oubli fait sa triste besogne.

« Feuille errante, secret comme une cave » est-il vraiment passé parmi nous ?

Ses amis résistent contre la fosse commune du temps et veulent parler de lui, toujours. Ils ont apporté leur témoignage et quelques collages et écrits de Claude Saguet.

Je n’ai jamais rencontré Claude Saguet. Je ne connaissais pas ses poèmes. Ses éclats rugueux ne me sont parvenus que par la lueur de ses amis et de ses mots. Cela aura suffi pour m’aveugler et vouloir célébrer « ce vagabond venu d’un temps lointain ». Il demeure toujours « une ombre qui surprend.»
Sa solitude est finie. La nôtre se dissout en le lisant.

Claude Saguet, le buisson ardent qui contenait la parole.

Maintenant, comme il l’écrit :

Nous serons loin du temps

dont germera demain,

d’une vie liée à la fatigue.

Gil Pressnitzer

Choix de textes

Saguet retouchait toujours ses poèmes même après l’édition et prenait un soin scrupuleux à la typographie. Nous avons privilégié la dernière écriture connue en indiquant la source, quand nous la connaissions. Cette publication est autorisée par Madame Josette Sanvincente qui nous a ouvert les chemins vers Claude.

à ma mère

Mon délire vient

d’un grand orage,

d’un lieu inexploré

à l’Est de l’Angoisse.

Tendresse verte aux carrefours

je le retrouve, couleur d’émeute,

en de lointains faubourgs

noyés de linges tristes.

Le soir peut faire la roue

quand j’écarte les branches,

ou vêtir de neige

la soif des oiseaux,

il assiège mes oreilles

plein de détonations.

En vain la mer efface

le bleu sourd du brouillard,

et griffe de ses sources

les filets de la pluie,

il balise d’injures

la nuit qui me ressemble.

Mon délire vient

de mille chaînes
coulées dans le regard

où tout se contredit.

(Terre de fièvres éditions Tribu juin 1984)

Un désir de beau temps

Parti nu vers le fleuve,

différencie le jour

de ce côté du ciel.

L’heure se teinte de bleu

pour fêter le soleil ;

d’un bleu qui balbutie

sur les chemins d’octobre.

Le plomb des routes

en cascade jusqu’à nous ;

la vrille des cigales

dans l’ornière du rebus.

Un vent triste parfois

investit l’horizon,

éteint ce bruit de fête

dans l’espace du soir,

mais chaque énigme a sa lumière.

Le sud est une fleur

avec des allumettes,

une tour de paroles

aux accents de fontaine.

Sa terre dans nos poings

est une torche rallumée.

(Extraits de L’espace de la nuit)

Je brûle du cri

profond de l’aube

qui se lève et appelle,

illustrée d’incendies,

quand le fleuve désert

occupe le silence.

Étant morte jadis

contre cette lumière

façonnée dans l’argile

d’un ciel inconnu ;

J’accueille par la brèche

humide de minuit

le mouvement des mots

venus du souvenir

Pour appeler encore

et boire, à l’eau qui passe,

le visage sans ombre

défait au moindre souffle.

(Distances éditions l’Ancrier 1993)

Peut-être

n’est-il pas suffisant

de frapper d’échos neufs

les choses retrouvées

Résumé du silence

ou musique du vide,

elles deviennent autre part

cette lenteur des années

qui regardent passer notre ombre,

usée par une vie

d’attente et de tristesse.

Je travaille sourdement

épris du son des mots.

Un coursier d’ombre oscille

démantelé au loin...

et des villes me parcourent,

fidèles comme une peine,

traversées de voitures

et de murs brusquement.

Minuit traîne sa poussière,

ses arêtes, ses voûtes;

en silence les eaux

insaisissables et brèves.

Et tandis que la rue

resserre ses limites

que la nuit nous expulse

dans un temps immobile,

le travaille sourdement

à brûler la distance,

épris du son des mots

au faîte de l’instant.

à Michel Cosem

Toute la terre

dans un éclat de siècles,

de racines mises à nu

et serrées dans l’amour,

à grands pas
s’approche du poète.

Et les murs,

le rempart qui sommeille

abattu sur lui-même,

tous

mêlés d’oiseaux, de patience

ou de larmes,

la poitrine rouge

à cause des peines,

tournent leurs yeux de pluie

du côté de son coeur.

(Encres Vives « Étincelles d’ombre » Michel Cosem numéro 154 1992)

Audace

L’escalier tourne autour des heures

closes comme des noisettes.

Des formes se dégagent de l’ombre,

s’alternent, noires ou dorées.

La ville conjugue son ère stridente.

Un pas de plus

et je te trouve dans ce langage

tenant le matin comme une neige,

la parole blessée dans sa course,

une lumière qui se heurte

à la houle des bruits.

Un pas de plus et je te nomme

dans la paix de la flamme

mouillée au froid du jour.

(XAMBO éditions Multiples 1980)

Débris

Je porte en moi un cri d’usine

(et s’altère le sens du jour.)

Des trombes minutieuses,

l’égal d’une déroute.

Je porte aussi

un soleil vide,

les éperons du vent,

l’horizon du voyage.

Un nom, une ombre,

des voix froides,

Toute vie détruite à l’instant

Et qui savoure la mort

sur ma langue.

(XAMBO éditions Multiples 1980)

Barbares

Nos routes sont pavées d’audace,

Nos armes éprises de foudre

et nos tambours voilés, rendus fous de ténèbres,

reflètent la terreur qui résulte des cris.

Le soir, saison perdue,

je reviens à mes loups affamés de distances.

Et de la tour aveugle sauvagement construite,

je salue leur adresse à fracasser les formes.

Ma face est d’étranger, ma voix brute de lumière

(XAMBO éditions Multiples 1980)

XAMBO

Les fouets brûlaient mes paroles

et des bruits mystérieux découpaient l’ombre pâle

où chaque mot s’inscrit en plainte de carène.

Ces mots m’intentaient aux méandres,

étranglaient de lumière mes syllabes tranquilles,

forgeaient dans l’or des pailles une clé indéchiffrable.

Je me levais en foule, je les passais en foule

par cette langue oubliée que retracent les frondes.

O vérité des signes

Tous les mots sont des chiens qui se couchent à ma voix.

(XAMBO éditions Multiples 1980)

Détour

Barbare,

je marche pieds nus

sur la braise.

Je provoque le moment,

la forme et la voix,

Et je nie jusqu’à l’abolir

ce lieu aigu qui m’égratigne

Pour écrire le voyage

infligé par le feu.

Mort

Nous serons loin du temps

dont germera demain,

d’une vie liée à la fatigue.

Et notre sang nous sera remis

- à minuit nu

et vers le sud

-

pour arracher des sons

à la terre de nos pas.

***

Pressés d’exil,

nous gagnerons les terres

plus déchirées que cendre.

Là,

nous attendrons que l’aube

soulève nos paupières.

Si c’est une roue dentée,

nous allumerons les feux

des temps de sécheresse.

Alors je me tournerai vers vous : nu tout nu et pareil

à la vague dont l’eau m’était promise et qu’un

souffle résume.

Puis poussés au désert par le rythme

des courbes, nous prendrons le temps comme il vient

.Avons perdu la trace du soleil.

Mais l’or nous est facile

et douce la loi du clan

amoureux de sa force.

En quête de cris brûlants

nous parcourons les routes,

nos corps d’avalanche

se moquent des serrures.

Caressée d’ombres informes

la peur est notre site

à Serge PEY

Terre, vaste cri,

j’ai creusé toutes les prophéties,

écumé toutes les légendes

et ce chant inaudible doucement retrouvé,

je m’éloigne en gerçures du port de mes attaches.

Finie la hache de sel vrillée dans le soleil,

la blessure clignotante hurlée comme un défi.

Ici je me termine.

Et parce que mon nom est plus tranchant qu’une

vague

me voilà, dessin d’autres flammes,

décrété hors-la-loi partout où je te chante, ô terre vaste cri.

Instant

Maintenant que le rêve

coule

avec la nuit,

que la mer est plus douce

emportée dans leurs yeux,

un silence s’installe

qui se peuple sans fin

de visages oubliés

qui ne veulent pas finir

et qui reviennent chargés d’ombre

suivis d’un corps inséparable.

Distances

Amenez-moi la femme qui a connu la foudre

élevée feuille par feuille dans le printemps des villes : elle joue à l’ange sous

la pluie.

Amenez-moi la veuve au sourire effondré,

amenez-moi la fille difficile à rejoindre.

Et que je n’entende plus - une fois rentré

dans l’ombre - la plainte confuse des deltas,

mais cette joie terrible qui monte des labours pour saluer l’orage.

Je n’ai pas vingt ans.

Mon ombre portée par les

murs, je me retrouve à l’angle de ton souffle,

dans le scintillement de ta peau.

Je t’ai serrée si fort certains soirs sous l’orage,

croyant d’un geste changer les jours en fête ;

si fort dans ma voix qui saigne à crier, qu’une porte

s’est entrouverte de moi seul visible.

C’en est fini de la rouille et des fauves, de ces

mirages d’exil aux pupilles de sanglots, de cet éclat

d’acier vers quoi tendent mes rêves.

Bien sûr, le temps n’est plus où l’on brisait ses

chaînes à force de caresses.

À présent la mer se défigure, le vent se défigure,

même la lumière se transforme en rictus.

En ce pays de houle où se démet l’écharde ; où le

galop des souches inquiète les bourgeons, tu recomposes le chant qui fleurissait l’enfance, tu

apaises le cri courbé sur le présent, et forte du

secret qui libère des prisons, tu traverses l’eau

profonde de mes yeux naufragés.

***

à Paul Leberger

Les portes se fermaient sur des ombres ;

ivres et contradictoires des fleuves

se croisaient.

Parvenu à ce lieu de l’exil,

il fallait dire aussi

la plante rouge des langues

et les jardins propices ;

les bouquets de couteaux,

les parfums qui chavirent,

les forêts où les arbres

ont des feuillages d’yeux.

Puis les mots perdaient leurs couleurs,

nous parlaient d’astres morts,

de royaumes perdus.

Et nous cédions à ce halo de vent

couché nu dans une vitre ;

à cet éclat sans nom qui survivait

en nous

d’un soleil oublié.

(éditions multiples 1974)

à Josette.

J’ai vingt ans. Le soleil me couronne. Le soleil

prend racine dans les rues de mon crâne.

Il m’explose, m’éparpille,

m’enlise, me fissure.

De loin, tu diriges mes pas. Tu oublies mes mains

nues, leur plainte de paysage englouti par le feu.

À cette ; heure de l’été où la lumière palpite, où

tu n’en finis plus de te faire tige, j’ai vingt

ans

et je chante un monde éblouissant.

II

Je n’ai pas vingt ans. Mon ombre portée par les

murs je me retrouve à l’angle de ton souffle,

dans le scintillement de ta peau.

Je t’ai serrée si fort certains soirs sous l’orage

- croyant d’un geste changer les jours en fête - si

fort dans ma voix qui saigne à crier, qu’une porte

s’est entrouverte de moi seul visible.

C’en est fini de la rouille et des fauves, de ces

mirages d’exil aux pupilles de sanglots, de cet

éclat d’acier vers quoi tendent mes rêves.

Bien sûr, le temps n’est plus où l’on brisait ses

chaînes à force de caresses!

À présent la mer se défigure, le vent se défigure,

même la lumière se transforme en rictus.

En ce pays de houle où se démet l’écharde, où le

galop des souches inquiète les bourgeons, tu recomposes le chant qui fleurissait l’enfance, tu

apaises le cri courbé sur le présent, et forte du

secret qui libère des prisons, tu traverses l’eau

profonde de mes yeux naufragés.

(éditions Poésie Toute Christian Saint-Paul 1980, d’abord publié dans Distances à l’Ancrier 1993)

****

Il y aura d’autres voix, quelqu’un, une pluie

légère comme un souffle, comme une ombre de

lune, une haleine caressante. La douleur sera

ronde, ardente ou plaintive.

Il y aura d’autres voix, d’autres fruits dans les

branches. Un de tes noms sous le ciel de l’été, un

poids de mer dure ou très douce.

Il y aura d’autres voix, des mots et des regards

Les fenêtres sauront le parfum de la pierre, d

choses insensibles qu’on évoque sans cesse sur le

pas des maisons d’un âge très ancien.

(Distances éditions l’Ancrier 1993)

***

Belle, pour quel désert suis-je promis, pour quel autre

désert s’il faut, à chaque instant, retrouver sa solitude dans tous les yeux qui passent ?

Lorsque les routes se dédoublent et s’amoncellent les

fleuves ; lorsque lentement, dans le matin, s’élève

l’haleine rouge des heures, je voudrais m’ouvrir comme une parole privée d’air depuis longtemps.

La mer, de tous ces plis, m’apporte des chants sans

mémoire qui vont, avec l’entêtement obscur de l’oiseau, pour retrouver un goût de terre et d’orage.

Désert, désert partout ! dans les cercles criants de

la sève, dans l’arbre qui se tord pour ne plus exister

Et j’ai peine à croire à notre langage immobile sous

les pierres, à ce reflet dans le miroir brisé à l’aube

des cascades.

(l’œil déserté version 2 éditions dé bleu 1980)

La nuit m’apporte

un poème d’eau fraîche.

La nuit venue du fond

de ton corps mutilé

je peux la prendre dans mes bras ;

je peux

l’avaler toute jusqu’au premier rayon.

La nuit venue du fond

de ton corps flagellé

est-elle femme

ou rose noire ?

J’ai fermé portes et fenêtres.

Est-elle femme,

est-elle écho

la nuit venue du fond

de ton corps décharné ?

Je veux en elle

trouver un visage, de quoi me remettre à vivre.

La nuit couvre la plaine

de son lierre fantôme

et j’imagine un corps vivant.

La nuit comme une forêt morte

sur un chemin hanté de plaintives lueurs.

(l’œil déserté version 2 éditions dé bleu1980)

Je viens du monde encore sans nom

qui donne naissance au poème

Regarde,

je n’ai plus ni voix ni visage :

seule une rumeur d’oiseaux

sur laquelle tu te penches.

Je voudrais être un pont

entre cette vie et l’autre ;

ou ce chien sans couleur

qui joue avec mes rêves

au premier cri de l’aube

Regarde,

je suis fait d’ombres,

blessé de villes impénétrables,

mais je m’élance dans l’heure vive

entraînant l’horizon déjà sous le soleil.

(l’œil déserté version 2 éditions dé bleu 1980)

Les morts ne rêvent pas,

n’ont pas droit au sommeil.

Ils tournent sur eux-mêmes

encadrés de momies

ou défoncés d’églises

et de taureaux furieux.

Pour eux,

les fontaines fument

et les mots s’accompagnent

d’objets abandonnés.

Les morts ne s’arrêtent pas,

ils n’écoutent pas aux portes,

mais passent gravement

derrière chaque chose

pour retrouver le bleu

tassé dans les recoins.

Le vent s’angoisse de leurs gestes,

vibre plus bas sous la rumeur,

son ombre s’effrite noire

entre leurs lèvres sèches.

(Le bruit les blesse,

le feu les froisse

leur voix toujours glacée

déchire le silence

première version 1980)

Les morts ne dorment pas,
la nuit les rend malades,

ils jouent à l’inconnu

sans espoir d’océan.

(Terre de fièvres éditions Tribu juin 1984)

Va et ouvre la porte:

dehors il y a peut-être

un arbre ou une forêt,

un tablier de brume

ou une ville magique.

Il y a peut-être une rue

qui brûle sous la mer,

ou un gisant de neige

sur la peau du chemin.

S’il pleut dans le soleil,

la fleur de la torche

donnera enfin des graines.

Et même si sur les murs

flotte un visage perdu,

et même si les sourires

vomissent encore des dents,

Va et ouvre la porte:

tes mains feront le jour

dans l’herbe.

(Terre de fièvres éditions Tribu juin 1984)

Il n’y a pas de chemin

dans l’ombre où je me risque,

mais toujours le silence,

une ombre dans son ombre,

et cette frange égarée

des arbres, des nuages.

Il n’y a pas de chemin:

l’herbe seulement bouge

et le vent harassé

qui cherche une fenêtre,

la vivante chaleur

des maisons entassées

où l’aube entrera

de sa clarté tranquille,

L’idée d’une terre lointaine

lui servant de décor.

(Terre de fièvres éditions Tribu juin 1984)

Il est une ombre qui surprend

et qui jusqu’à nos yeux

fait monter sa tristesse.

Langue proche du soleil,

elle rappelle, bâillonnée de gestes,

la longue rumeur des hommes

qui s’usent dans l’exil

d’une ville plus sourde.

Sa nuit veut des hirondelles vertes

un nom, toujours le même,

pour échapper au froid.

n est une ombre qui surprend,

et que chaque matin

la lumière rejette

sur une terre sans espace

ayant la même soif.

(Terre de fièvres éditions Tribu juin 1984)

Car ici la vie est en cause.

Et la femme qui avait mille noms de fontaine,

qui lisait l’avenir dans les plis de ma soif.

Je lui parlais d’une voix tranquille,

la chantais dans la nuit dorée de ses

mensonges.

« Je suis la terre marquée de blessures

profondes,

la ville grêlée d’affiches aux couleurs

furieuses. »

Je ne chanterai pas la ville,

mais je dirai son autre nom

(Terres de fièvre éditions Tribu1984)

Ce lieu où rien ne pousse

c’est l’antre du délire,

l’œil sans fond du vertige,

un monde où les machines

se prennent pour l’espace,

où le béton, pareil au froid,

traduit la peur du jour à suivre.

La lumière grince, les mots blêmissent :

on les parcourt assourdis de menaces,

on s’épuise à laisser une empreinte durable ;

on la devine, à portée de matin,

figée par l’inquiétude au creux d’une blessure.

Douleur à contenir, douleur marbrée de traces

arides inexprimables.

Cependant on retrouve le geste décisif,

le nom des choses proches des routes

qu’un adieu multiplie et qu’un refrain

étoile à perte d’écho.

(Terre de fièvres éditions Tribu juin 1984)

Nos lèvres encore

diront le jour,

le poids de l’heure,

notre impatience...

Les arbres,

au loin,

resteront calmes

ou paraîtront plus sombres

s’ils cachent des fruits.

L’eau du fleuve,

elle aussi,

aura bu ses rivages.

Et la pluie ruissellera

de tout ce qui brûlait

quand s’ouvrira la porte

qui reflète les choses -

sur la rue étonnée

d’avoir perdu son nom.

( Les racines du feu, Franche Lippée, 1993)

Nuit

sur mes années d’homme,

sur mes mains embrumées

d’étranges majuscules.

Nuit

sur mes pas,

dans ma poitrine,
mais aussi

un bruit d’ailes,

de chute entre les doigts

soudain enracinés.

Nuit inquiète
sous l’averse,

sur les routes

réduites à la crainte

où seuls

passent les arbres.

(L’espace de la nuit Le passe-Mots 1996)

La nuit qui s’introduit

dans notre solitude

se répand sur les murs

au milieu de l’hiver.

Un scintillement torture

le secret de ses eaux,

submerge son refuge

de sources impossibles.

La nuit, toute la nuit
murmure face à la mer.

Sa bouche, à peine visible,

s’anime sous le vent

et son ombre impalpable,

pourpre contre ma tempe,

révèle un paysage

plus âpre chaque fois.

(L’espace de la nuit Le passe-Mots 1996)

Du matin

jusqu’au soir,

l’espace bout

et se peuple

de portes brusques,

d’ailes rapides.

Aucun arbre ne se dresse

pour recevoir la pluie,

aucune ombre,

à l’aube,

se détache du chemin

où se tiennent droites

les armes,

oubliées par la mer.

Nu chaque jour

passe le vent.

(L’espace de la nuit Le passe-Mots 1996)

Il neige.

des noms de tours

ou d’anges

s’enrobent d’un silence

prodigieusement blanc.

On a poussé la porte stérile de l’hiver,

interprété le signe

attristé des étoiles,

et cloué d’étincelles

la lumière indécise

qui coule de la nuit

submergée de lenteur.

Il neige sur la ville

durcie à rendre sourd;

il neige sur la lampe

éteinte à la fenêtre,

et son espace obscur

est un autre désert

que des chemins traversent

brûlés de tout mon sang.

(L’espace de la nuit Le passe-Mots 1996)

à Jean-Pierre Metge

Il n’aura pas de chant,

encore moins de musique.

Une voix d’homme assourdie

posera des questions,

ouvrira un passage

dans les années d’enfance.

Et ce bruit de paroles

aiguisées de hantises,

cette poussière d’échos

sur le tranchant des lèvres

traversera les bleus

de la maison secrète

triste comme ces lumières

appuyées sur la nuit

et qui ne savent pas,

une fois tuées les ombres,

l’espace à déchiffrer

pour mieux être nous-mêmes.

(L’espace de la nuit Le passe-Mots 1996)

Manuscrits de Claude Saguet

Bibliographie

Premier texte paru, le poème en prose "L’ombre" Encres Vives 1969

L’œil déserté, Centre National d’art français, 1971,

puis au Dé Bleu1980, édition revue et corrigée

Choix de poèmes, Multiples n°12, 1974

Choix de poèmes, Editions Succion 1975

Xambo ou les barbares, Multiples n°32-33, 1980

Choix de poèmes,Texture, 1980

Terre de fièvre, Tribu, 1984

Le Sud, suivi de Oiseaux, Multiples, 1991, collectif Fondamente

Distances, L’Ancrier éditeur 1993, prix de l’Encrier 1992

Poèmes dans Escalasud numéro 2- 1990-1992

Les racines du feu, Franche Lippée, 1993

Profils, A chemise ouverte, 1994

L’espace de la nuit, éditions trilingues chez Rüdiger Fischer, éditions en Forêt, 1996, tiré à 2000 exemplaires

Panorama 2001 par Jean-Pierre Metge