Gil Pressnitzer

Passeur de rêves

 

On n’écrit que pour irriguer une autre âme

Parler de soi est incorfortable et dérangeant. Aucun miroir ne saisit les brumes et les fumées, les joies et les doutes, qui montent de chacun. Surtout quand ce miroir est tenu à bout de bras, sans le recul du temps et cerné par sa propre finitude.

Toute approche personnelle semble préposthume ou narcissique, surtout pour quelqu’un qui toujours aura été écartelé entre ces deux affirmations péremptoires d’Henri Michaux et de René Char :

Qui laisse une trace laisse une plaie.

Un poète doit laisser des traces de son passage, non des preuves. Seules les traces font rêver.

Toutes les deux aussi justes, toutes les deux dans notre incomplétude.

Le lecteur saura débusquer quelques traces au travers du taillis des mots. Mais à quoi bon poser ses propres poteaux indicateurs, surtout érigés par notre propre main.

Laissons donc à quelques amis le soin d’une approche, telle qu’ils la pressentirent

Passeur toujours

Gil Pressnitzer est né à Marseille suite aux accidents heurtés de l’histoire. Après une enfance d’enfant caché pendant la fin de la guerre, dans le cœur granitique emmêlé de fougères du Limousin, il fut précipité dans le ventre brûlant de la ville, Marseille la fascinante et la repoussante. Il y trouve sa véritable famille d’adoption et de respiration : poésie et musique !

À Marseille il mènera une double vie, entre ses études d’ingénieur et la littérature. Il continue à partir de 1967 à Toulouse où il est ingénieur à l’Aérospatiale, entreprise dont on connaît l’empreinte déterminante sur la ville rose. Et il s’implique dans la vie culturelle : il rencontre Christian Schmidt et Xavier Darasse et participe à la programmation du Centre culturel Croix-Baragnon puis, en 1976, il devient Président du Centre culturel de l’Arérospatiale.

Géré par l’un des plus importants comités d’entreprises en France, ce lieu va alors devenir un phare chaleureux dans la ville, lieu de rencontres et de partages pour tous ses citoyens. L’entreprise s’ouvre à la cité ; elle s’inscrit dans l’histoire et la géographie de son temps et cela même constitue une aventure exceptionnelle.

Le lieu regoupe une salle de concert, baptisée un peu plus tard Salle Nougaro, un Centre Culturel et une médiathèque. Jazz, musique du monde, chanson française : la programmation de la Salle Nougaro allie exigence, authenticité, intensité. Soutenue par le Centre Culturel et ses larges cimaises, complétée aussi par la médiathèque avec toujours le parti pris et l’engagement de celui qui vous incitait avant tout à l’ouverture et éveillait l’attentive curiosité de ceux qui ont bien voulu pousser la porte.

 

« Gil Pressnitzer nous a donné à découvrir des artistes de tous les pays, des musiques de toutes les couleurs, pour notre plus grand bonheur. Je lui dois quelques rencontres inoubliables comme Angélique Ionatos ou Gilbert Lafaille, comme Gloria Uribe, cette plasticienne colombienne aux doigts de rêve qui est devenue mon amie et m’a donné quelques paysages intérieurs de toute beauté » témoigne Elric Fabre-Maigné, « À l’heure où l’on assiste à un repli sur soi des politiques culturelles étatiques, où l’on voudrait réduire les arts et les artistes à de simples marchandises de divertissement, cet ingénieur reste un semeur et un passeur de notes bleues et de lignes claires ».

Toujours soucieux de partage culturel, curieux insatiable, il s’impliqua également dans le spectacle vivant aux côtés des programmateurs du festival Jazz sur son 31, du festival Garonne, de l’Orchestre de chambre national de Toulouse… L’intégrale des quatuors de Beethoven, de Bartok et de Chostakovitch avec Odyssud et les Grands interprètes restent encore des événements uniques. Puis il devient conseiller auprès de la Région Midi-Pyrénées pour les festivals et les musiques au début des années 2000.

A propos de Notes de passage, notes de partage

En 2001, Gil Pressnitzer a voulu se souvenir et partager ses aventures. Il écrit Notes de passage, Notes de partage, et se consacre désormais à l’écriture, à la radio et au site internet espritsnomades.com, site culturel et associatif.

Sur un site ami, Texture, Michel Baglin, journaliste et poète, présente ce livre d’heures.

« Gil Pressnitzer y raconte les 30 années années-bonheur durant lesquelles il a dirigé la Salle Nougaro. Trente ans de musique en région et à Toulouse, c’est un voyage, la belle traversée à laquelle Gil Pressnitzer convie ses lecteurs dans ce livre où il retient, de tous ces passages d’artistes qu’il a orchestrés, et ce qui rend ces moments inoubliables et précieux : le partage. Une intimité que nouent les paroles et les musiques qui passent la rampe pour l’échange. Cent portraits-miroirs d’artistes, chanteurs, musiciens, écrivains divers mais toujours un peu poètes, composent son livre.

On retrouve la programmation de la Salle Nougaro au fil de ces pages qui ne manqueront pas d’éveiller maints souvenirs pour les Toulousains, une richesse époustouflante, qu’il s’agisse de jazz, des musiques du monde, de la chanson à texte, de la musique classique. Et les noms, même jetés dans le désordre ici, suffisent à dessiner une exigence, des lignes de force : Cesaria Evora, Dianne Reeves, Brad Mahldau, Anouar Brahem, Ornette Coleman, Jeanne Lee, Elvin ones, Roy Haynes, Jan Garbarek, Gonzalo Rubalcaba, Ahmad Jamal, Juliette, Brigitte Fontaine, Gilles Vigneault, Julos Beaucarne, Jacques Bertin, Richard Desjardins, Eric Lareine, Sapho, Rufus, Michel Portal, Arthur H, Léotard, Bénin, L. Subramaniam, Gianmaria Testa, Angélique Ionatos, Lhasa, Bratsch, Enrique Morente, Agujeras, l’ami Lluis Llach, et tant d’autres. Ils y ont en effet trouvé une portée pour partager leurs émotions, musicales ou poétiques et souvent mêlées. Ils jalonnent cette belle aventure de notes, de poèmes, de chorus, de textes forts et de cette saudade intime chère à Cesaria Evora ».

Nougaro écrivait aussi le 5 septembre 2003 : « Sur cette scène secrète, modeste, tu as fait débarquer, spatialement, sur le temps exact, le monde entier, celui qui ne parle qu’une langue, une seule langue, celle de son âme. Manège universel où tous les enfants que nous sommes retrouvent une ronde neuve. Si un ami est un miroir, je t’admire, cher Gil, ô Toulouse ».

Mais laissons encore parler Michel Baglin : « Dans son livre la chanson, cet art mineur, mineur de fond, tient donc la première place, mais aussi le jazz, et Gil Pressnitzer y ajoute des pages fraternelles en hommages à des écrivains aimés, Bergounioux, Celan, Pirotte, Michon.

Ces Notes ne livrent guère d’anecdotes, ce n’est pas son propos. Il dit vouloir « faire revivre un livre d’heures, non par des souvenirs englués dans la nostalgie, mais par des tableaux encore vivants qui puissent parler de ces riches soirées ou expositions ». Et c’est en écrivain, avec des phrases qui résonnent longtemps par leur justesse, que cet amoureux de la musique et des mots cerne l’émotion singulière que chaque artiste a laissé en nous. Bien plus qu’un recueil de souvenirs, ce livre est une célébration de l’amitié qui se fortifie à travers les ferveurs partagées. Celles de femmes et d’hommes qui ont trouvé dans les musiques et les mots une patrie fraternelle ».

Fleuves, draps, greniers et fougères

Ce passeur est aussi un grand passionné de littérature comme en témoigne son magnifique site Esprits nomades, et il est aussi poète, comme le prouvent ses recueils, La Traversée du vivre ou La huitième écorce. « Entrer dans le cercle de l’arbre… » de la première écorce à la huitième écorce… dans l’écorce où doigt et âme se laissent prendre », c’est ce qu’il propose avec ce recueil.

« L’arbre, symbole de ce qui unit les profondeurs à l’aérien, et son écorce qui protège et enferme, sont à la fois intercesseurs et écrans, frontières et passages, appel du monde et exclusion, franchissement des cercles comme une initiation» indique Michel Baglin, « Vers la lumière mais aussi vers sa propre part d’obscurité, quand mort et miroir ont le même espace. Avec des mots tus qui suffoquent en moi et ne trouvent pas la sortie. Avec le double appel du dehors et du dedans, de la mémoire et du jour : J’entasse dans la huitième écorce / en plein mitan / tous les noms de mes morts / bien rangés /au frais / de l’oubli à venir / l’écorce jette un cri / la haine de la nostalgie».

 

Marqué très tôt par la poésie, celle de Milosz, celle de Rilke, de Cadou ou de Reverdy, Gil Pressnitzer croit encore que La beauté changera le monde. Et il nous livre quelques gouttes d’eau, de l’origine ou monde, de la douleur bercée et de l’écorchement de la rencontre. Poésie de l’initiation, du passage des ruisseaux à la poursuite des échelles, de la vie à la vie, du devenir des larmes et des pierres, des frontières de la douleur et des feux dans la nuit. Fleuves, draps, greniers et fougères. En toute humanité : Je ne voudrais pas écrire actuellement car on saigne par trop et j’ai besoin que s’apaise le tumulte, je voudrais être vain, muet et seulement regard. Mais je suis à la fois l’enfant muet et ce frère des pauvres hommes avec qui il faut partager et feu et pain.

Lectrice attentive, Nathalie Riera écrit dans son blog : « Les blessures de l’écorce sont fréquentes. Dans La huitième écorce de Gil Pressnitzer, il est question de dire que nous ne vivons pas que de nos blessures mais aussi de nos échappées hors des blessures. Dire aussi ce trop de nuit pour dire nos blessures, ce pas assez de jour, des mots qui vous prennent la gorge, des mots tus qui suffoquent en moi et ne trouvent pas la sortie (…) attention s’ils ressortent sauvages ils maudiraient les herbes. Mais autant d’échappées qui consistent à nous défaire de quelle écorce ? et de combien de peaux mortes ? »

(…)

« Nos vies à ne pas être en dehors de l’écorce, à vouloir (ou aspirer) sortir de l’écorce. Pour quel savoir ? Pour quelle vérité ? »

Ah sortir de l’écorce
pour enfin savoir
comment les feuilles tremblent
d’être simplement dans l’air.

Histoire d’être attentif à l’air, simplement, ou à un chien qui passe, histoire de faire face au néant qui accourt les bras ballants.

Denise Marty

Bibliographie

Notes de passages, notes de partage, Éditions Les 2 Encres
La Traversée du Vivre, poèmes
La huitième écorce, poèmes, Éditions Trident Neuf de Marie Bauthias
Procuration : la vie, roman
Nouvelles pour en finir avec le jour