Joseph (Iossip) Brodsky
Hommage
la mort c’est l’infini des plaines et la vie la fuite des collines.
Poète russe jusqu’au fond des os et de nationalité américaine suite à son douloureux exil en 1972, Joseph Brodsky est un enfant du renouveau dû au dégel des années après la mort de Staline. Si on se passait ses poèmes sous le manteau en URSS, il n’était pas vraiment connu en Occident. Après la publication de ses poèmes dans les années 1960, il est arrêté et condamné en 1964 à cinq ans de travaux forcés et connut les hôpitaux psychiatriques. Il n’était auparavant qu’un poète virtuel de 24 ans, il devient un phare pour sa génération.
Ce n’est que...Ce n’est qu’oiseau qui tombe d’un ciel trop lourd.
Ce n’est qu’un entrefilet dans un journal plein des tumultes des faux bruits du monde.
Ce n’est bien sûr qu’une nouvelle sans importance dans un monde sérieux et pourtant nous étions quelques-uns peut-être à nous figer plus lourds, plus tristes.
Ce dimanche 28 Janvier 1996 à New York, Joseph Brodsky venait de mourir à 55 ans, dans une terre d’exil, lui l’homme de l’impossible exil, d’une vie sans emprunt, au moment même où son amère ironie, son goût du néant faisaient place à quelque sourire de la vie.
Lui l’homme de Saint-Pétersbourg, lui le juif, lui le banni, lui le haï, lui le grand exilé ne sera donc jamais rentré dans son pays depuis son départ humiliant de 1972, mais ses paroles courent le long des rues, le long des lèvres, de bouche en bouche.
Arrêté le 18 Février 1964, accusé de parasitisme social et de fainéantise, il sera condamné à cinq ans de travaux correctifs dans une colonie pénitentiaire. La conscience du monde le sauvera de la prison mais pas du silence, et, jusqu’à une période récente, aucun de ses poèmes ne sera quasiment publié en Russie.
Jeté dehors pour « crime d’existence », il rejoint les Etats-Unis, et depuis il s’enferme dans la secrète vibration du monde. Le Prix Nobel de littérature qui lui est attribué en 1987 le sauve du désespoir mais pas du mépris.
Ce n’est qu’une bouche qui s’emplit d’ombre et de terre, pas plus utile au monde que la pluie. Et pourtant la Russie vient de perdre son dernier grand poète depuis Mandelstam, Marina Tsétaëva et Akhmatova, son dernier lien avec son âme.
Un dernier livre de poèmes de 1993-1994, qui paraîtra bien un jour en langue française, ne nous consolera pas.
la mort c’est l’infini des plaines
et la vie la fuite des collines
Ce n’est que la mort d’un poète.
Un poète pas simple en plus avec son humour corrosif, ses langues imaginaires, une voix « aigre et fausse » comme il disait cela de lui-même.
Sa parole supporte très mal la traduction française, pas assez allusive ou trop claquante parfois, pour ses mots à la fois fluides et rocailleux…
Ce n’est qu’une tristesse inexplicable, une terre un peu plus muette:
Je n’aime pas ma vie et je ne la crains pas
Je ne me battrai pas avec mon personnage
mais toutes les paroles qui flottent amour de moi
me bouleversent pour lui donner la joie.
Et même si la mémoire en robe courte rôdant par la ville, nous rappelle que Joseph Brodsky disait à ses juges : je suis poète, je suppose...
Poète il l’était, poète de l’espace et des grands vents qui soufflent sur la face du monde.
Tant que ma bouche ne sera pas emplie d’argile, elle ne pourra dire que la gratitude.
Ce n’est rien. Cela a-t-il été vraiment ?
Joseph Brodsky est maintenant de I’autre côté des mots.
Plus tard, « les seules bornes aux attentats du destin et à la vulnérabilité des corps », ses poèmes, nous reviendront peut-être et...
Comme si la vie un instant chancelante allait enfin se remettre en chemin.
Gil Pressnitzer