Marina Tsvétaéva

Marina, Marina, ma sœur la vie

Il n’a pas retenti de voix plus passionnée que la sienne.

(Joseph Brodsky).

Marina petite souris grise du malheur où cours-tu si vite dans la nuit et le jour gris ? Tu as laissé tes ustensiles de femme de ménage dans cette sorte de prison pour femmes en ce triste pays Tatare, et tu cours, et tu sais où tu cours. Et tu sais pourquoi tu cours. Tu trébuches, tu pleures. Tu pleurais facilement, dans la peine, et dans le plaisir. Tes larmes te font parfois perdre le court chemin, pour rejoindre l’endroit où tu vas te pendre. Trop, c’est trop, tu n’en peux plus. « Salopard de Staline, salauds de rouges » aurais-tu pu maugréer : ils t’auront menti, ils t’auront tout pris.

Mais ils n’auront pas tout. Dans un coin, tu as creusé un trou, non pas ta tombe, l’air sera juste assez vaste pour cela, mais la cachette de tes amours et de tes espérances. Pourvu que quelqu’un trouve ton butin d’écureuil de la mort, ta provision d’éternité pour tous les hivers encore à venir sur terre. Là, mélangé à cette terre noire un petit sac, et dans ce sac des lettres d’amours brûlantes qui feront fondre la glace qui arrive. Des lettres de ton amant que tu n’auras jamais rencontré. De cet homme, presque agonisant sa dernière année de vie, et et que ta flamme a poussé à croire encore à l’amour et à l’écriture, à survivre encore un peu.

Cet homme c’était Rilke, et votre correspondance fait depuis reculer l’indifférence du monde.

Il disait ainsi:

ÉLÉGIE À MARINA TSVÉTAÏEVA (poème de Rilke pour Marina)

Marina, toutes ces pertes dans le grand tout, toutes ces chutes d’étoiles

Nous pouvons partout nous jeter, quelle que soit l’étoile,

nous ne pouvons l’accroître !

Dans le grand tout les comptes sont fermés.

Ainsi qui tombe ne diminue pas le chiffre sacré.

Toute chute qui renonce choit dans l’origine et, là, guérit.

Tout ne serait donc que jeu, métamorphose du semblable, transfert

Jamais un nom nulle part, le moindre gain pour soi-même

Nous vagues Marina, et mer nous sommes !

Nous profondeurs, et ciel nous sommes !

Nous terre, Marina, et printemps mille fois,

ces alouettes lancées dans l’invisible par l’irruption du chant

Nous l’entonnons avec joie, et déjà il nous a dépassés

et soudain notre pesanteur rabat le chant en plainte...

Rien n’est à nous. À peine si nous posons notre main autour

du cou des fleurs non cueillies.

Ah déjà si loin emportés, Marina, si ailleurs, même sous la plus fervente raison.

Faiseurs de signes, rien de plus.

Cette tache légère, quand l’un de nous ne le supporte plus et se décide à prendre, se venge et tue.

Qu’elle ait pouvoir de mort, en effet, nous l’avions tous compris à voir, sa retenue, sa tendresse

et la force étrange qui fait de nous vivants des survivants...

Les amants ne devraient, Marina, ne doivent pas en savoir trop sur leur déclin. Ils doivent être neufs.

Leur tombe seule est vieille, leur tombe seule se souvient, s’obscurcissant sous l’arbre qui pleure, se souvient du « à jamais ».

Leur tombe seule se brise ;...

nous sommes devenus pleins comme le disque de la lune.

Même à la phase décroissante, ou aux semaines du changement,

nul qui puisse nous rendre à la plénitude, sinon nos pas solitaires, au-dessus du paysage sans sommeil

(traduction personnelle)

Indices terrestres

Marina, Marina, petite souris grise tu cours aller te pendre, toi qui toute ta vie avais envoyé les conventions aller se faire pendre.

Tes amours incandescentes allaient aussi bien au mari, qu’aux amants, qu’aux amantes. Tu aimais la provocation et en pleine Russie révolutionnaire tu écrivais des poèmes à la gloire de l’armée Blanche (Camp des cygnes à la gloire de l’Armée blanche), en plein exil tu refusais de te mêler à la cohorte des Russes blancs de Paris ou de Prague. Libre, scandaleusement libre, tu riais à la face du monde. Mais le monde s’est vengé.

Misère et indifférence semaient en chemin ton quotidien. Tu écrivais en prose pour gagner les quelques pièces que la poésie ne rapporterait jamais. Les Drames se dressaient en talus de mort autour de toi : Mandelstam est mort, Alexandre Blok est mort, Pasternak qui t’avait suppliée de revenir est devenu l’un des poètes officiels de Staline, avant plus tard de devenir lui aussi un paria.

Tous se détournent de toi. Toi qui avais peur la nuit, peur de l’abandon et du désamour, te voici dans le lit glacé du néant si proche.

Tu cours et tu te rappelles à peine le nom de ce bled, Yelabuga, au bout des steppes du monde, là où aucun amour ne pousse. Dix jours seulement que tu es dans ce fossé du monde, dix jours que tu fais les ménages, dix jours d’humiliation qui s’ajoutent aux misères de l’exil, à l’horreur du retour en Russie.

Tu as faim, tu n’as pas un sou, ton mari Efron Sérioja, a changé de camp une fois encore, il soutient les Soviétiques maintenant, agent double, lui qui fut un mari double. Il sera exécuté par ses nouveaux amis soviétiques en octobre 1944, qui l’ont arrêté dès 1939. Ta sœur Anastasia est arrêtée, tu ne la reverras plus jamais.

Ton fils Georgy, que tu aimais presque incestueusement, comme tous tes hommes, que tu appelais tendrement Mour, t’engueule parce que tu ne peux rien lui acheter. Il mourra au front en juillet 1944 en Lettonie. Ilina, ta seconde fille est morte de faim en 1920 à trois ans, dans tes bras, elle, la si mal-aimée de toi. Alya, la première, s’est rebellée contre toi, te renie et chante les vertus de l’ordre concentrationnaire stalinien dans laquelle elle s’est jetée en 1937, te laissant seule.

Son fiancé vous surveille. Et elle sera envoyée au bagne stalinien à vingt-sept ans et n’en sortira vivante qu’à quarante-trois ans!

Alya, elle par qui tu seras à nouveau vivante parmi nous. Qui aura rassemblé les bribes éparses de ton corps poétique, tes archives dispersées à la face du globe, Alya ton Antigone. En 1965 paraîtra ton premier volume de poèmes. 1965! Alya qui s’appelait Ariane.

Pauvre, pauvre, tu es Marina, mais toi tu as été riche de la peau des autres et de mots à toi. Pauvre Marina, ils t’ont vite dépendue pour cacher à jamais ton corps dans la fosse commune du temps. On ne saura jamais où il repose, les doigts tendus vers un deuxième morceau de pain à partager avec l’humanité. Ils ont interdit tes poèmes, ils ont maudit ton présent, ils ont maudit ta mémoire. Ils sont bien plus morts que toi.

Toutes ces vies gâchées! Cette solitude sans pain ni amitié.

Ce jour-là, le 31 août 1941, il ne te restait que quelques sous pour acheter seulement un pain. Trop, trop pour toi cette honte, toi la fière et l’indomptée. Et à quarante-neuf ans tu as laissé ton corps flotter au bout d’une corde. Cette corde que tu avais volée, que tu avais serrée contre toi dans ce drôle d’été tatare, que tu avais fait, presque religieusement au travers de tes larmes, passer dans la branche d’arbre pour tenter de l’accrocher.

Faire un nœud, surtout faire un large nœud où passer cette pauvre, pauvre tête. Non pas un nœud, mais une fenêtre. Des oiseaux chantent, ils s’arrêtent soudain, les bouleaux bougent sous le vent, ils tremblent pour toi en fait.

Tu es si petite, l’arbre est si grand, si haut. Encore et encore, il faut qu’elle s’accroche cette corde pour toi qui n’as pas accroché ta vie. Enfin, elle tient. Tu es presque contente, comme si tu venais de gagner ton dernier tour de manège. Pas le temps de battre des mains, sinon tu accepterais de te traîner encore dans cette vie où l’on rampe, où l’on est mendiante. Tu prends ton souffle pour le dernier souffle, tu ne pleures plus, une joie sauvage monte en toi.

Enfin, et Mour qui attend pour te réclamer encore des habits neufs.

Il ne te comprend pas, tu es seule, le mari est dans les mâchoires de la police secrète, celle qui t’accable maintenant te pressant de dénoncer les émigrés russes, les amis sont partis sous terre, ou sous la honte.

Akhmatova, la chère Akhmatova tente de survivre et pense à des requiems à venir.

Tu es seule, dans ton dernier exil, mais dans un pays où personne ne peut te poursuivre.

Pardon pour les autres, mais pour toi cela suffit. Plus d’amour sur cette terre de malheur, les corps soyeux de tes amantes (ah Sophia !), de tes amants se sont envolés. Un silence encore, des bribes de mots de poèmes que tu n’écriras pas, une pensée encore: est-ce que quelqu’un trouvera mon paquet, pas mon corps, mais mon paquet avec les lettres?

Il fera beau aujourd’hui. Et puis ce saut dans le vide, sans appui mais tu n’en avais plus. Vertige du papillon, soubresaut de l’hirondelle aux ailes brisées, tu te balances enfin dans l’air léger, enfin ton petit corps fait sa balançoire, tu redeviens l’enfant, la petite fille des jardins publics, tu te balances, Marina, tu te balances Marina. Même pas mal, même pas mal. Si les amis pouvaient me voir, si les amis pouvaient me pousser un peu. Aucun oiseau n’ose se poser sur toi. Il fera vraiment beau aujourd’hui, vraiment. C’est dimanche, les cloches vont sonner, tu as à peine quarante-huit ans.

Elle s’est réfugiée dans la mort en fourrant sa tête dans un nœud coulant, comme on la cache sous un oreiller. (Pasternak).

Marina, Marina

Marina, Marina, ma petite souris grise. Ton besoin d’amour éperdu était impossible à rassasier sur cette terre.

Ton mari écrit ceci :

« Marina est une créature de passions. Se jeter dans la tempête la tête la première est devenu pour elle une nécessité, l’air de la vie. Celui ou celle qui a déchaîné la tempête n’a pas d’importance. Une personne est imaginée et la tempête se déchaîne. Si l’insignifiance de l’objet se découvre rapidement, Marina se livre à un nouvel ouragan de désespoir et va vers un nouveau stimulant. Peu importe quoi, peu importe comment. Il ne s’agit pas de la réalité des choses, mais d’un rythme, d’un rythme forcené. »

Ton mari avait vu juste en toi. Mais jamais tu ne fus plus vieille que l’amour.

Tu te consumais, tu ne trichais point. Ma belle voleuse de feu, tu seras passée d’une enfance de fille gâtée et insouciante à une vie de femme crucifiée dans les souffrances et les cercles de faim de Meudon à Clamart, tu seras passée de partout sur cette terre. Mais toujours affamée de pureté et d’azur, de tendresse charnelle et de mots tumultueux.

Marina, Marina, la dernière des romantiques en ce siècle.

Qui étais-tu, petite princesse de Moscou, née le 26 septembre1892, d’une famille de la haute bourgeoisie qui voulut faire de toi une pianiste virtuose. Mes pensées vont à toi, reine de mots oubliés, de libertés chèrement acquises, de passion flamboyante. Petite reine des temps jadis aurait dit Milosz. Qui étais-tu avec ton visage « de ciel et d’eau »?

Toi Marina Ivanova Tsvetaeva, tu regardais parfois les crânes que collectionnait ton père, fondateur du musée Pouchkine. La mer, la langue allemande seront des trésors de jeunesse, la poésie ton journal intime. Toi qui, fascinée par Napoléon quitte tout à 16 ans pour voir Sarah Bernhardt dans L’aiglon sur une jambe. Une jambe pour une horrible pièce. Tu apprends à ne jamais refouler tes pulsions, les suivre, même les précéder. Tu ne seras pas la petite fille modèle, mais l’éternel trublion, cheval fou dans les prairies de la vie, amante exaltée. Tu te maries aussi par provocation avec un être trouble et pâlot qui te suivra toute ta vie.

Tes airs d’enfant que tu garderas toujours, toi qui n’étais pas forcément belle, tu en useras pour entraîner dans la toile d’araignée de ton lit tes proies que tu aimais tant. Ton siècle semble t’avoir été étranger, et ta barque à bout d’amour s’est échouée dans le froid et les brumes lointaines.

Tu étais flamme, brûlante et brûlée. Tu auras subjugué Pasternak, Mandelstam, Rilke et tant d’autres. Tu les as touchés comment ? Par des frôlements d’ailes répondra Rilke. Toi qui te voulais oiseau et non point femme, tu fus les deux, tu as volé et chanté, tu as aimé. Tu te savais éphémère:

Et la vie sera là, son pain, son sel

Et l’oubli des journées

Et tout sera comme si sous le ciel

Je n’avais pas été

(8 Décembre 1913, Traduction Eve Malleret)

Toi qui as écrit la plus lucide épitaphe à l’amour :

Si vous ne m’oubliez pas comme je vous oublie, c’est que vous ne m’avez jamais subie comme je vous ai subis. Si vous ne m’oubliez pas absolument, c’est qu’il n’y a rien d’absolu en vous, même l’indifférence. J’ai fini par ne pas vous reconnaître ; vous n’avez jamais cherché à me connaître. (Neuf lettres, avec une dixième retenue, et une onzième reçue).

Toi, tu savais ce qu’aimer voulait dire comme immolation et transformation :

L’amour est pour moi le lien privilégié de l’infini et l’étroitesse m’a toujours étouffée : aimez le monde en moi, non pas moi dans le monde.

Qui étais-tu Marina ? Tu réponds : « Regarde le ciel par la fenêtre, tout de moi y est dit ».

Marina, Marina, ma petite sœur, ma souris grise, tu trottes en moi et bien plus que le temps.

Exilée, oppressée tu te seras trompée à chaque fois dans tes choix politiques ou amoureux, mais c’est toi qui avais raison tout au bout. Sans filet tu t’es jetée dans le trapèze mortel de la vie. Tu riais sans cesse et les bourreaux redoublaient de coups sans t’atteindre. Tu semblais naître et renaître du feu du monde, salamandre des douleurs et des amours. Étoile brûlante qui se brûle et nous brûle, tu laisses non pas des cendres mais des braises derrière toi.

«Tsvetaeva était une femme à l’âme virile, active, décidée, conquérante, indomptable. Dans sa vie comme dans son œuvre, elle s’élançait impétueusement, avidement, presque avec rapacité vers le définitif et le déterminé ; elle alla loin dans cette voie et y dépassa tout le monde. » disait Pasternak qui croyait te connaître et avait si peur de toi.

Les hommes et les femmes que tu aimas si fort et qui ne te valaient pas auront abrité un temps ta chaleur et ton exaltation, puis t’auront laissée aux matins blêmes de ta lucidité. Et tu repartais à l’assaut du feu et des jours, soldat intrépide refusant les tranchées de la routine et toujours amoureuse. Et tes mots sont un torrent de montagne qui emporte tout. Combien d’autres poèmes auraient pu naître si tes mains n’avaient pas été envahies par les corvées de lessive, de vaisselle, de couches, de bois, de douleurs ?

Toi la flamboyante tu auras dû vivre comme une pauvre servante avec une âme indomptable qui cognait en toi :

« Il ne s’agit pas de vivre et d’écrire mais de : vivre - écrire et de : écrire - vivre. C’est dire que tout ne s’accomplit et même ne s’éprouve (ne se comprend) que dans un cahier ».

</p

Une passante de l’éternité

Marina, Marine.

Tel est fait de pierre, tel est fait d’argile,

Mais moi, je m’argente et scintille

Je m’occupe de trahir, je m’appelle Marine,

Je suis la fragile écume marine.

Émigrée perpétuelle dans une vie chaotique, tu as pris tous les risques, dans ta vie, dans ton œuvre. Exilée en 1922, à Berlin, en Tchéquie (trois ans), en France (treize ans!), tu n’auras revu ton pays qu’en 1939, et celui-ci t’aura éliminée de la vie publique, te poussant à la misère et à la mort:

Mon pays m’a chassée si loin

qu’un limier ne verrait, je pense,

passant mon âme au peigne fin

la moindre marque de naissance.

Tes joies d’enfant, tes cheveux qui ne voulaient point blanchir, toi qui avais peur de l’herbe de l’oubli, doucement maintenant. C’est fait. Tous les coups sont étouffés, il suffit de trouver un endroit où s’étendre et dormir, sur toi et tes mots. Les vivants de passage sont sans âge, dispersés comme des jeux de carte disais-tu, tes mots leur sont étrangers et vides sans doute. Pour d’autres ils sont ces buissons rouges qui permettent de croire encore que la poésie libère les corps enlisés, emmurés. Des sorbiers face au néant.

«Dans mes veines coule non pas du sang, mais de l’âme. » lançais-tu fièrement toi qui savais que « L’âme grandit de tout, surtout des pertes ».

Et des pertes tu en savais le cours : ta fille Irina, ton mari Sergueï, la déportation de ta fille Alya, et la perte même de ta vie quotidienne entre pauvreté et famine, mépris des autres et amours impossibles ou pire décevantes.

« Comment ça va la vie avec une autre, plus simple n’est-ce pas ? Comment ça va avec n’importe qui, dites comment ça va quand on est mon élu ? Comment « ça va vivre », comment va-t-elle la force d’être ? Comment, ça va l’ami ? Plus douloureux, moins douloureux, que pour moi près d’un autre ? » demandes-tu jalouse.
Eh bien cela va haut et fort quand tu ne sembles parler que pour nous, moins bien quand ton absence laisse un lit vide dans les jours. Et la pacotille de la vie sans toi passe mal.

Qui sans connaître le russe ne pourra jamais que rester sur les rives de ta poésie, et se contenter de ton théâtre ou de ta prose.

Ton traitement de la langue russe est si personnel, si moderne, travaillant sans cesse sur les sons, les éclats, les envolées.

Ton énergie amoureuse aura aussi fouetté la poésie russe qui ne sera plus la même après tes laves de mots, tes élégies de tendresse. Tu auras secoué les mots comme des grelots. Ils devenaient rafales, balles en plein cœur, un feu de bois flambant haut et fort. Poésie en combustion pure, toi flamme ardente tu ne pouvais ronronner au coin des images, tu as tordu en un seul fagot ta vie et ta poésie.

À nous les pauvres non-russophones, il nous est donné de t’approcher à tâtons qu’au travers des traductions, de Véronique Lossky par exemple. Tout ce que nous perdons me rend inconsolable et nous ressentons tous tes frémissements perdus, sans pouvoir les comprendre. Toutes les syncopes de ta voix passionnée, le déluge des sentiments, bref la vie en abondance dans cette écriture jalouse. Des indices terrestres seront laissés par toi, animal cabré, animal blessé, rien n’est vain. Rien ne s’oublie.

Il y a quelque chose dans la poésie qui est plus important que le sens : la résonance.

Nous disais-tu. Oui tu résonnes, toi l’incandescente.

Je pense encore à la poussière

Qui reste de vos lèvres et de vos yeux —

À tous ces yeux qui reposent morts...

À eux, à nous...

Tu voulais n’être « qu’une passante de l’éternité » et tu ne te seras à peine que faufilée entre les jours et les corps :

la plus belle victoire
sur le temps et la pesanteur
c’est peut-être de passer
sans laisser de trace
de passer sans laisser d’ombre
.

Maintenant Marina je voudrais un peu entendre ta voix, je sais c’est moi qui devrais te bercer ou te raconter des histoires de diable que tu aimais tant.

Tu disais :
qu’il est l’heure de l’âme comme une heure de lune, de hibou, heure des ténèbres, des brumes.
Oui cette heure sonne maintenant. Tu te faufiles par le trou de souris de la vie. Passante de l’éternité!

Je préfère que tes mots s’élèvent.

Marina, Marina, ma petite souris grise. Marina, Marina, mon amour ma sœur. Je vais seulement faire ce que tu nous disais de faire :

Écoutez-moi ! Il faut m’aimer encore

du fait que je mourrai.

Nous t’aimons, Marina. Et « à notre unique fenêtre - il neige, neige, neige».

Gil Pressnitzer

Choix de textes

«Si vous ne m’oubliez pas comme je vous oublie, c’est que vous ne m’avez

jamais subie comme je vous ai subis. Si vous ne m’oubliez pas absolument,

c’est qu’il n’y a rien d’absolu en vous, même l’indifférence. J’ai fini par

ne pas vous reconnaître; vous n’avez jamais cherché à me connaître» (Neuf

lettres, avec une dixième retenue, et une onzième reçue) Marina

MARS

Ô pleurs d’amour, fureur !

D’eux-mêmes — jaillissant !

Ô la Bohème en pleurs !

En Espagne : le sang !

Noir, ô mont qui étend

Son ombre au monde entier !

Au Créateur : grand temps

De rendre mon billet

Refus d’être. De suivre.

Asile des non-gens :

Je refuse d’y vivre

Avec les loups régents

Des rues — hurler : refuse.

Quant aux requins des plaines —

Non ! — Glisser : je refuse —

Le long des dos en chaîne.

Oreilles obstruées,

Et mes yeux voient confus.

À ton monde insensé

Je ne dis que : refus.

15 mars-11 mai 1939.

(traduction Eve Malleret)

D’où vient cette tendresse?

D’où vient cette tendresse ?

ce ne sont point les premières boucles

que j’ai doucement caressées et les lèvres que j’ai connues

sont plus sombres que les tiennes

Comme étoiles qui montent et s’abîment encore

(d’où vient cette tendresse ?)

tant et tant d’yeux se sont levés et se sont perdus

en face de mes yeux

Et jusqu’à ce moment aucun chant pareil

n’ai-je entendu dans les ténèbres de la nuit,

(d’où vient cette tendresse ?)

là des nervures même du chanteur.

(d’où vient cette tendresse ?)

et que dois-je en faire, jeune chanteur

rusé, simple passant ?

Tes cils sont aussi longs que ceux de n’importe qui

Adaptation personnelle

Là- encore à nouveau- une fenêtre
Où - encore à nouveau- on ne dort pas.
Sans doute- on y boit du vin -
Sans doute- on n’y fait rien,

Ou bien, rien de plus,
Deux mains toujours enlacées
sans pouvoir se quitter
Dans chaque maison,
sache ami, il y a la même fenêtre.

Les séparations qui crient, des rencontres -
C’est toi fenêtre dans la nuit !
Sans doute- des centaines de bougies,
peut-être que trois…
Non pas cela, nul repos
Pour mon esprit.
Et tout cela, cela même -
dans ma propre maison.
Oh mon ami, prie
pour la maison qui ne peut pas dormir,
Pour la fenêtre éclairée !

23 décembre 1916, L’offense lyrique
adaptation personnelle

VERGER

Pour ce martyre,

Pour ce délire,

À ma vieillesse

Donne un verger. Pour ma vieillesse

Et ses détresses,

Pour mon labeur -

Années voûtées, Chiennes d’années,

Années-brûlures :

Donne un verger...

Et la fraîcheur

De sa verdure

À l’évadé :

Sans - voisinage,

Sans - nul visage !

Sans - nul railleur !

Sans - nul rôdeur !

Sans - œil voleur !

Sans - œil violeur

Sur le qui-vive

Sans puanteur !

Sans bruit de cour !

Sans âme vive !

Dis : assez souffert - tiens, voilà !

Prends ce verger - seul comme toi.

(Mais surtout, Toi, n’y reste pas !)

Prends ce verger - seul comme moi. De ce verger, fais-moi cadeau...

- Ce verger ? Ou bien - I’Ici-haut ?

Fais-m’en cadeau en fin de route -

Pour que mon âme soit absoute.

octobre 1934

(traduction Denise Yoccoz-Neugnot).

Sur une feuille vide et lisse

Les lieux, les noms, tous les indices,

Même les dates disparaissent.

Mon âme est née, où donc est-ce ?

Toute maison m’est étrangère,

Pour moi tous les temples sont vides,

Tout m’est égal, me désespère,

Sauf le sorbier d’un sol aride…

Ô larmes des obsèques,

Cris d’amour impuissants !

Dans les pleurs sont les Tchèques,

L’Espagne est dans le sang.

Comme elle est noire et grande,

La foule des malheurs !

Il est temps que je rende

Mon billet au Seigneur.

Dans ce Bedlam des monstres

Ma vie est inutile ;

À vivre je renonce

Parmi les loups des villes.

Hurlez, requins des plaines !

Je jette mon fardeau,

Refusant que m’entraîne

Ce grand courant des dos...

Voir... Non, je ne consens,

Écouter... Pas non plus ;

À ce monde dément

J’oppose mon refus !

(traduction Véronique Lossky)

Je te vois aux yeux noirs, – séparation !
Élancée, – séparation ! – Solitaire, – séparation !
Avec un sourire étincelant comme un poignard, – séparation !
Tu ne me ressembles pas du tout, – séparation !
Tu ressembles à toutes les mères qui meurent jeunes,
Tu ressembles aussi à la mienne, – séparation !
Tu arranges de même ta voilette dans l’antichambre.
Tu es Anna au-dessus de Sérioja endormi, – séparation !
Parfois tu t’engouffres dans une maison en gitane
Aux yeux jaunes, – séparation ! en Moldave, – séparation !
Sans frapper, – séparation ! Comme un vent de maladie
Fait irruption dans nos veines – une fièvre – séparation !
Et tu brûles, et tu sonnes, et tu frappes, et tu siffles,
Et tu hurles, et tu tonnes et – en soie déchirée –
En loup gris, – séparation ! – qui n’épargne ni l’aïeul ni l’enfant, – séparation !
Hibou noir – séparation ! Jument des steppes, – séparation !
N’es-tu pas un fils de Razine – aux larges épaules, costaud et roux ?
Ne t’ai-je pas vue en fauteur de pogromes, – séparation ?
De pogromes, qui étripe bétail et édredons ?...

Aujourd’hui tu t’appelles Marina, – séparation !

(traduction Véronique Lossky)

Le coup étouffé sous les années de l’oubli,

Années de l’ignorance.

Le coup qui vous arrive comme un chant de femmes,

Comme un hennissement,

Comme passe un vieux mur le chant passionné -

Le coup qui vous arrive.

Le coup qu’étouffe le fourré silencieux

D’ignorance, d’oubli.

Vice de la mémoire - rien, ni yeux ni nez,

Rien, ni lèvres ni chair.

De tous les jours l’un sans l’autre, nuits l’un sans l’autre,

La terre d’alluvion.

Le coup étouffé, comme de vase couvert.

C’est ainsi que le lierre

Mange le cœur et transforme la vie en ruines...

- Couteau dans l’édredon!

...Le coton des fenêtres bouche les oreilles,

Comme l’autre, au-delà:

De neiges, d’années, de tonnes d’indifférence

Le coup est étouffé...

(traduction Elsa Triolet)

février 1935

CHEVEUX BLANCS

Ce sont les cendres qui restent de l’or perdu –
Après tant de pertes, tant d’humiliations
Et chaque rocher se brise et s’émiette
Devant de telles cendres.

La colombe éclatante et nue
Á nulle autre pareille.
La sagesse de Salomon
Sur toutes les vanités du monde.

Blancheur terrible, craie
D’un temps sans fin.
Mais si le feu incendiait mes murs
Dieu lui se tenait à mon seuil!

Délivré de toutes les contraintes,
Triomphant des songes et des jours,
Flamme née de ce blanc précoce
L’esprit monte tout droit !

Non vous ne m’avez pas trahie,
Années, ni prise en traître!
Dans ces cheveux déjà blancs
C’est l’éternité qui l’emporte.

27 septembre 1922adaptation personnelle

La lettre

On ne guette pas les lettres

Ainsi - mais la lettre.

Un lambeau de chiffon

Autour d’un ruban

De colle. Dedans - un mot.

Et le bonheur. - C’est tout.

On ne guette pas le bonheur

Ainsi - mais la fin :

Un salut militaire

Et le plomb dans le sein -

Trois balles. Les yeux sont rouges.

Que cela. - C’est tout.

Pour le bonheur - je suis vieille !

Le vent a chassé les couleurs !

Plus que le carré de la cour

Et le noir des fusils...

Pour le sommeil de mort

Personne n’est trop vieux.

Que le carré de l’enveloppe

Traduction Pierre Leon et Eve Mallleret

poème extrait du recueil « Le ciel brûle (suivi de tentative de jalousie) » éditions poésie/Gallimard

Extrait du cycle Insomnie

J’aime embrasser
les mains, et j’aime
distribuer des noms,
les portes,
- toutes grandes - sur la nuit sombre

La tête entre les mains,
écouter un pas lourd
quelque part diminuer,
et le vent balancer
la forêt
en sommeil, sans sommeil.

Ah, nuit !
Quelque part des sources courent,
je glisse vers le sommeil.
Je dors presque.

Quelque part dans la nuit
Un homme se noie

(27 mai 1916, traduction Christian Riguet)

Ah les mains toutes les mains je les baise
les noms je les sème partout
Les portes, les portes immenses
je leur fais rendre gorges ouvertes
sur le sombre de la nuit

Un pas inquiétant et lourd
passe dans ma tête entre mes mains,
il s’en va ailleurs de plus en plus lointain,
le vent qui bascule la forêt
je l’entends
sommeil trouvé, sommeil perdu.

Ah la nuit !
Bien au loin des sources s’éparpillent,
je coule doucement vers le sommeil.
Presque dans le sommeil.
Bien au loin au fond de la nuit
Un homme se noie.

27 mai 1916 (Insomnie) Adaptation personnelle

Les yeux

Deux lueurs rouges — non, des miroirs !
Non, deux ennemis !
Deux cratères séraphins.
Deux cercles noirs

Carbonisés — fumant dans les miroirs
Glacés, sur les trottoirs,
Dans les salles infinies —
Deux cercles polaires.

Terrifiants ! Flammes et ténèbres !
Deux trous noirs.
C’est ainsi que les gamins insomniaques
Crient dans les hôpitaux : — Maman !

Peur et reproche, soupir et amen…
Le geste grandiose…
Sur les draps pétrifiés —
Deux gloires noires.

Alors sachez que les fleuves reviennent,
Que les pierres se souviennent !
Qu’encore encore ils se lèvent
Dans les rayons immenses —

Deux soleils, deux cratères,
— Non, deux diamants !
Les miroirs du gouffre souterrain :
Deux yeux de mort.

30 juin 1921. Traduction Pierrre Leon et Eve Mallleret

poème extrait du recueil « Le ciel brûle (suivi de tentative de jalousie) » éditions poésie/Gallimard

Mne nravitsya, chto vu bol’nu me mnoi...

Ah j’aime que vous soyez obsédé, mais pas par moi.
J’aime être ainsi malade, mais pas de vous.
Que jamais ou toujours la lourde et ronde terre
veuille venir s’échouer à vos pieds.
J’aime, s’il est permis que cela soit drôle
et tout perdre – et ce ne sont pas des jeux avec les mots
et j’aime demeurer silencieuse quand calmement vous en embrassez
d’autres en ma chère présence.
Vous ne m’avez pas prédit de brûler en enfer
parce que je ne vous embrasse pas vous,
mais quelqu’un d’autre.
encore et encore mon tendre nom, mon tendre
vous n’avez pas su dire si c’était jour ou nuit - en vain
Et que jamais dans la cathédrale du silence et pour toujours
l’on ne chante par - dessus nous halli -halleluya!

Merci pour tout cela, de tout mon cœur et de mes mains,
Vous m’aimez donc si fort – et jamais ne l’aviez su !
si fort, pour cette paix et ce repos autorisés pour moi en ses nuits
pour la rareté de vous voir aux couchants
pour ne pas pouvoir marcher côte à côte avec vous sous la lune
et pour ce soleil qui n’est pas toujours au-dessus de nous,
car vous êtes aussi malade de moi- hélas- mais loin de moi
Car je suis aussi malade de vous –hélas - mais loin de vous.
3 mai 1915

adaptation personnelle

Pour avoir une idée du travail sur la langue de Marina, un poème écrit par elle directement en français.

Neige, neige

Plus blanche que linge,

Femme lige

Du sort : blanche neige.

Sortilège !

Que suis-je et où vais-je ?

Sortirai-je

Vif de cette terre

Neuve ? Neige,

Plus blanche que page

Neuve neige

Plus blanche que rage

Slave...

Rafale, rafale

Aux mille pétales,

Aux mille coupoles,

Rafale-la-Folle!

Toi une, toi foule,

Toi mille, toi râle,

Rafale-la-Saoule

Rafale-la-Pâle

Débride, dételle,

Désole, détale,

À grands coups de pelle,

À grands coups de balle.

Cavale de flamme,

Fatale Mongole,

Rafale-la-Femme,

Rafale : raffole.

1923

(cité par Eveline Amoursky)

Enfin un hommage à ce traducteur immense qu’est Henri Abril qui aura su restituer la musique intérieure des vers de Marina

Tentative de jalousie (extraits)

Comment ça va auprès d’une autre?
Plus facile, non? - Coup de rame!
En peu de temps, telle une côte,
Le souvenir de moi s’éloigne,

De moi restée île flottante
(Le long du ciel - pas sur les eaux!)
Âmes, âmes! Non pas amantes
Mais sœurs - oui: vous! - serez plutôt.

Comment ça va près d’une simple
Femme? Sans vraies divinités?
Ayant jeté du trône-olympe
Votre reine (sans y rester),

Comment ça va - ça se démêle -
Ça se blottit? - Puis au lever?
Et le tribut de l’immortelle
Trivialité, dites, pauvret?

«Les convulsions et les syncopes -
Suffit! Je vais louer un toit.»
Comment ça va avec n’importe
Laquelle - vous, élu par moi?

La pitance - bien plus mangeable?
Mais si ça vous lasse, tant pis!
Comment va près d’un simulacre,
Vous - bafoueur du Sinaï!
……………
La nouveauté, il vous en reste
Au bazar? Las de magie mienne,
Comment va près d’une terrestre
Femme, qui n’a pas de sixième

Sens?
Allez: heureux, c’est bien sûr?
Non? Dans l’abîme au ras des mottes
Comment ça va, chéri? - Trop dur?
Dur comme pour moi près d’un autre?

19 novembre 1924
Traduit par Henri Abril

J’ai aimé tes mains, ces mains
Autoritaires, je le répéterai
Vers la fin de notre amour,
À la veille de la séparation,

Et tes yeux – qui n’offrent pas
Leur regard à n’importe qui -
Et qui demandent raison
Pour un regard fortuit.

Toi, tout entière, et ta passion
Trois fois damnée – Dieu la voit ! -
Toi, qui exiges réparation
Pour un soupir fortuit.

Fatiguée encore, je dirai :
- Ne te presse pas d’écouter ! –
Ton âme s’est posée
En travers de mon âme.

Et je dirai encore :
- Qu’importe – c’est la veille ! -
Cette bouche était jeune
Avant tes baisers.

Et ce regard hardi et clair,
Avant ton regard, et ce cœur
- Avait cinq ans…Heureux
Qui n’a pas croisé ton chemin.
28 avril 1915

«Insomnie et autres poèmes » Insomnie © Editions Gallimard 2011

Poèmes à Blok

Ton nom – un oiseau dans la main,
Ton nom – sur la langue un glaçon.
Un seul mouvement de lèvres.
Quatre lettres.
La balle saisie au bond,
Dans la gorge un grelot d’argent.

Une pierre jetée dans l’étang
Sangloterait ainsi quand on t’appelle.
Dans le piaffement léger des sabots la nuit
Ton nom, son éclat retentit.
Le chien du fusil qui claque à la tempe
Le dit.

Ton nom – ah impossible !
Ton nom – le baiser sur les yeux,
Sur le tendre froid des paupières.

Ton nom – le baiser sur la neige.
Gorgée d’eau bleue qui sourd, glaciale.
Avec ton nom – le sommeil est profond.
15 avril 1916

«Insomnie et autres poèmes » Insomnie © Editions Gallimard 2011

Dans ma vaste ville – c’est la nuit.
De ma maison en sommeil, je vais – loin
et l’on pense : c’est une femme, une fille -
mais je me rappelais seulement – la nuit.

Le vent de juillet me balaie – la route,
quelque part, à une fenêtre de la musique – à peine.
Ah, qu’il souffle maintenant jusqu’à l’aube – le vent
par les frêles parois de ma poitrine – dans ma poitrine.

Il y a un peuplier noir, à une fenêtre – une lueur,
un tintement dans une tour, et dans la main – une
fleur,
et il y a ce pas – personne – il ne suit,
et il y a cette ombre, mais moi – je ne suis.

Les feux sont des fils de colliers d’or,
j’ai le goût de la feuille de nuit – dans la bouche,
libérez-vous des liens du jour,
amis, sachez-le, je vous parais en rêve.
Moscou, 17 juin 1916«Insomnie et autres poèmes » Insomnie © Editions Gallimard 2011

Le rendez-vous

Au rendez-vous donné je viendrai
En retard. Je tiendrai sous mon bras
Le printemps. Mes cheveux seront gris.
Tu me l’avais fixé sur les cimes !

Je marcherai pendant des années,
Comme avant Ophélie aime l’algue !
Traverser les montagnes, les rues,
Traverser les âmes et les mains.

Longue à vivre la terre ! Broussaille
De sang ! Chaque goutte une lagune.
Mais parmi l’herbe à jamais
Ruisselle la face d’Ophélie.

Là, par les galets, gorgés de vase
Pour une gorgée de passion !
Je t’avais si hautement aimé :
Je me suis dans le ciel inhumée !
18 juin 1923«Insomnie et autres poèmes » Insomnie © Editions Gallimard 2011

Il est temps ! Pour ce feu-là
Je suis vieille !
L’amour est plus vieux que moi !
- De cinquante fois janvier,
Une montagne !
- L’amour est encore plus vieux :
Vieux comme une prêle, vieux comme le serpent,
Plus vieux que l’ambre de Livonie !
Et plus vieux que tous les bateaux fantômes !
- Que les pierres, plus vieux que les mers…
Mais le mal dans ma poitrine – est plus vieux
Que l’amour, plus vieux que l’amour.
23 janvier 1940«Insomnie et autres poèmes » Insomnie © Editions Gallimard 2011

Il est temps
D’ôter l’ambre,
De changer les mots
Et d’éteindre la lampe,
Au-dessus de ma porte
Février 1941«Insomnie et autres poèmes » Insomnie © Editions Gallimard 2011

Bibliographie

POÉSIE

Poèmes. Gallimard, 1968.

Vœux de Nouvel An. L’Éphémère n°17, 1971.

Insomnie. Alidades n°1, 1982.

Le Poème de la montagne. Le poème de la fin. L’Âge d’Homme, 1984.

Tentative de jalousie & autres poèmes. La Découverte, 1986.

Le ciel brûle. Les Cahiers des Brisants, 1987.

Les Arbres. Clémence Hiver, 1989.

Le Gars. Clémence Hiver, 1991 ; Des Femmes, 1992.

L’Offense lyrique. Fourbis, 1992.

Après la Russie. Rivages Poche, 1993.

Poèmes, introd. d’Adriadna Efron. Éditions du Globe, 1993.

Sans lui, avec Sophie Parnok. Fourbis, 1994.

Le Poème de l’air. Le Cri, 1994.

Le Ciel brûle suivi de Tentative de jalousie. Poésie Gallimard, 1999.

Œuvres choisies, tentative de jalousie, La Découverte, 2002

Comment ça va la vie, JM. Place, 2002

La maison de Vanves, éditions du Cerf 2010

THÉÂTRE

Ariane. L’Âge d’Homme, 1979.

Phèdre. Actes Sud, 1991.

Romantika (Le Valet de cœur, La Tempête de neige, La Fortune,

L’Ange de pierre, Une aventure, Le Phénix). Gallimard, 1998.

Une aventure et Le Phénix. Clémence Hiver, 1999.

RÉCITS ET ESSAIS

Le Diable et autres récits. L’Âge d’Homme, 1979 ; Le Livre de Poche Biblio, 1995.

Mon frère féminin. Mercure de France, 1979.

Le Conte de ma mère. Le Nouveau Commerce n° 65-66, 1988.

L’Art à la lumière de la conscience. Le Temps qu’il fait, 1987.

Indices terrestres. Clémence Hiver, 1987.

Mon Pouchkine suivi de Pouchkine et Pougatchov. Clémence Hiver, 1987.

Les Flagellantes. Clémence Hiver, 1989.

Averse de lumière. Clémence Hiver, 1989.

Le Poète et le Temps. Le Temps qu’il fait, 1989.

Le Poète et la Critique. Le Temps qu’il fait, 1989.

Histoire d’une dédicace. Le Temps qu’il fait, 1989.

Nathalie Gontcharova.Sa vie, son œuvre. Clémence Hiver, 1990.

Histoire de Sonetchka. Clémence Hiver, 1991.

De vie à vie ; Ici-haut. Maximilian Volochine. Clémence Hiver, 1991.

Assurance sur la vieLe Chinois. Clémence Hiver, 1991.

Des poètes : Maïakovski, Pasternak, Kouzmine, Volochine. Des Femmes, 1992.

Octobre en wagon. Anatolia, 2007

CORRESPONDANCE

Correspondance à trois, avec Boris Pasternak et Rainer Maria Rilke. Gallimard, 1983.

Neuf lettres avec une dixième retenue et une onzième reçue. Clémence Hiver, 1985.

Lettre à Véra Merkourieva (31 août 1940). La Nouvelle Alternative n°7, 1987.

Quinze lettres à Boris Pasternak. Clémence Hiver, 1991.

Lettres à Anna Teskova. Clemence Hiver 2002

Lettres à Anna,Trad. E.Amoursky éd. des Syrtes, 2003
Lettres du grenier de Wilno,Trad. E.Amoursky éd. des Syrtes, 2004
Correspondance avec Boris Pasternak - 1922-1936 -,Trad. E.Amoursky éd. des Syrte s, 2005

Lettres de la montagne et lettres de la fin. Clemence Hiver, 2007

AUTOBIOGRAPHIE

CARNETS 1913-1939; Trad. E.Amoursky et N.Dubourvieux, Éditions des Syrtes 2008

Oeuvres : Tome 1, Prose autobiographique Le Seuil 2009

Vivre dans le feu, confessions Le livre de Poche 2008

Souvenirs. Anatolia, 2006