Saint-Pol Roux

Choix de poèmes

Choix de textes

Choix de textes de Saint-Pol Roux

Ces textes sont édités par les Editions Rougerie et repris dans Poésie/Gallimard "La Rose et les épines du chemin"

Alouette

Les coups de ciseaux gravissent l’air.

Déjà le crêpe de mystère que jetèrent les fantômes du vêpre sur la chair fraîche de la vie, déjà le crêpe de ténèbre est entamé sur la campagne et sur la ville.

Les coups de ciseaux gravissent l’air.

Ouïs-tu pas la cloche tendre du bon Dieu courtiser de son tisonnier de bruit les yeux, ces belles-de-jour, les yeux blottis dessous les cendres de la nuit?

Les coups de ciseaux gravissent l’air.

Surgis donc du somme où comme morts nous sommes, ô Mienne, et pavoise ta fenêtre avec les lis, la pêche et les framboises de ton être.

Les coups de ciseaux gravissent l’air.

Viens-t’en sur la colline où les moulins nolisent leurs ailes de lin, viens-t’en sur la colline de laquelle on voit jaillir des houilles éternelles le diamant divin de la vaste alliance du ciel

Les coups de ciseaux gravissent l’air.

Du faite emparfumé de thym, lavande, romarin, nous assisterons, moi la caresse, toi la fleur, à la claire et sombre fête des heures sur l’horloge où loge le destin, et nous regarderons là-bas passer le sourire du monde avec son ombre longue de douleur.

Les coups de ciseaux gravissent l’air.

Chauves-souris

Mienne, évitons les éteignoirs manipulés par des bras maigres jusqu’à l’invisibilité.

Regarde-les s’évertuer contre les choses de clarté.

Mienne, évitons les éteignoirs manipulés par des bras maigres jusqu’à l’invisibilité.

Les voici sur les yeux des jardins, les voilà sur les fleurs des visages.

Mienne, évitons les éteignoirs manipulés par des bras maigres jusqu’à l’invisibilité.

Si ces bras n’étaient courts, il en serait fait déjà de ce premier essaim d’étoiles.

Mienne, évitons les éteignoirs manipulés par des bras maigres jusqu’à l’invisibilité.

Notre amour étant de la lumière aussi, rentrons vite jouer, paupières closes, à la mort rose, dans le lin du rêve,

O Mienne, afin de dépister les éteignoirs manipulés par des bras maigres jusqu’à l’invisibilité.

Mais, d’abord, faisant œuvre de vie c’est-à-dire divine, commençons la fille ou le garçon dont le lointain sourire se devine entre nos caresses que le destin rend une, - et préparons ainsi notre immortalité commune!

*

Devant du linge étendu par ma mère, au village

Linge étendu par les bras roses de maman!

Primitive épreuve de la cuve aux cendres de sarment...

œufs à la neige du savon... Franches gifles du battoir... Décisives caresses du puits...

Très pure corde allant de l’azerolier à ce trophée d’oreilles d’éléphant que semble le figuier...

Puis les épingles tutélaires...

Enfin, sur toutes ces candeurs flottantes, les lingots subtils du soleil vierge...

Linge étendu par ses bras roses!

Hosties...

Lins d’aube...

Nénuphars de brise...

Pages de pâquerettes...

Pans de lune...

Parchemins aux vignettes d’insectes

Linge étendu par ses bras roses!

Ingénue senteur de la lessive...

Cela monte ouvrir le colombier des souvenirs...

Et l’on perçoit des gestes blancs de revenants dan les mirages du jadis...

Et l’on savoure le bon lait des bercails révolus…

Linge étendu par ses bras roses!

Car c’est l’exposition des œuvres simples de Mamelles de ma maison...

États d’âme de mes aïeules entre le laurier-rose e l’olivier!...

Fil, émanais-tu de la quenouille ou des bandeaux sortis des capelines?...

Serviriez-vous de trousseaux à la postérité, vénérables cheveux d’antan?...

Linge étendu par ses bras roses!

Ô ces doigts de grand’mères sur ces balèvres de grand’mères!...

Salive laborieuse, est-ce toi qui dégoulines de ce toiles sur les verveines et sur les pastèques?...

Braves fées qui filiez en songeant sous la treille l’été, l’hiver devant le feu de ceps, vos rêveries sont-elles pas restées entre les mailles ?...

Linge étendu par ses bras roses!

O langes...

O tabliers...

O rideaux...

O nappes des festins de famille où le plus vieux dit la prière...

O draps mis aux croisées lorsque passe la Vierge...

O suaires...

Linge étendu par les bras roses de ma mère!

Je vis dans cinquante ans

Ma solitude s’expliquerait ainsi: mes idées me devançant, il me semble vivre au milieu d’êtres pas encore nés. J’habite donc une époque pas ouverte encore et je ne me complais qu’en elle. Cela dit en toute ingénuité, ma solitude en prouve la sincérité car qui me forcerait à vivre ainsi loin des gens de cet époque?

En vérité, je me sens le contemporain de gens à venir, c’est à eux que je parle, c’est pour eux que je pense. Ils ne sont pas encore vivants, je ne suis pas encore mort. Eux et moi nous sommes à naître.

Ils me mettront au monde et je leur servirai de père.

La fréquentation de mes contemporains m’est pénible. Je m’y sens maladroit. Je m’étudie pour revenir en arrière et bafouille.

Loin de moi la misanthropie. Et j’adore les femmes, les jeunes, car sous mon amas d’années je bénéficie d’une jeunesse incomparable: un edelweiss sous neige. Je ne me plais qu’avec les enfants, comme si j’étais des leurs.

Je ne recherche aucunement les hommes et les joies de ce temps, mais je me sens attiré par la multitude future.

Un désir secret me projette dans l’avenir, je me vois vivre plus tard. Si j’ai de l’orgueil, mon orgueil est... Je puis me tromper, mon erreur…

J’ai comme horreur du retard...

Je ne tiens pas à la gloire présente.

A part quelques mesquineries obligatoires je fais tout pour être méconnu, sans doute dans cet étrange [...IJ d’être connu plus tard.

J’ai comme une peur farouche de la gloire.

(De l’art magnifique extraits)

Le Silence

« Timide fantôme en toile d’araignée, qui donc es-tu ?»

Dut faire, le fantôme, un signe à quelque brise t’aventure, car je lus sur la nuque des luzernes:

«Je suis le Refuge des corps étourdis par la besogne de la Vie.

*

- « Discret fantôme en toile d’araignée, qui donc es-tu ? »

Dut faire, le fantôme, un signe à quelque rai de lune, car je lus sur la mare aux libellules:.

- «Je suis la Consolation des âmes frustrées pat le salaire de la Vie.

*

- « Étrange fantôme en toile d’araignée, qui donc es-tu?>)

Dut faire, le fantôme, un signe à quelque chauve- souris, car je lus sur la sublime ardoise du sommeil:

- «Je suis l’Excuse de la Mort et je me nomme le Silence. »

Aphorismes

Le soleil monte faire téter la vie.

Le Temps récite le rosaire du soleil.

Mais il y a des justices futures !

Que tout meurt hormis l’œuvre, poète, et qu’il t’importe de sculpter la Forme à mettre sur ta pourriture à la merci des vents futurs, si tu ne veux mourir totalement à la Nature.

La joie de vivre est toujours ça de pris sur l’immortalité.

Le droit de l’artiste consiste à défaire le monde et son devoir à le refaire.

S’atteindre pour atteindre les autres.

Ne croire à rien c’est croire à quelque chose qui n’existe pas.

L’amitié c’est se couper en deux sans se faire mal.

L’enfant est une invention d’avant les miroirs.

Une nation, c’est une solitude qui a réussi : les enfants.

Une religion, c’est encore une solitude qui a réussi : les idées.

La solitude fait de la foule, la foule fait de la solitude.

Dans la foule on s’évite dans les autres, dans la solitude on se cherche dans soi.

Se trouver, problème, et se trouver c’est se trouver dans tous les autres, car, vu de très loin ou de très haut, on n’est qu’un : comme il n’ya qu’une fourmi, qu’un chien, qu’une poule, qu’un coq, il n’y a qu’un homme. Tous les autres gravitent dans ma tête et dans mon sang.

Le dévouement consiste à projeter son cœur dans la poitrine du prochain désemparé, le temps de rendre celui-ci plus fort ou bien meilleur. Le dévouement c’est la transfusion de l’âme.

Lumière : vitesse qui nous éclaire.

Le sourire évoque une petite fenêtre de l’âme qui s’ouvre.

Imagination, n’est-tu pas la moisson précédant les semailles ?

Tous les hommes, je les considère comme soit mes reflets, soit mes ombres ; le revers de cet orgueil serait que chacun d’eux me prît pour un de ses reflets ou une de ses ombres.

Successivement, les ancêtres se sont noyés dans le sang familial, les veines de leur postérité les charrient, et nous percevons leurs cadavres livides sur les plages intermittentes de notre conscience.

A parler cru, je ne m’em… jamais seul.

Dieu non plus.

Nous sommes au moins deux.

Le mai (extraits)

….

Midi s’avance, en haubert de diamant.

Un feu d’artifice aigu: les écoliers jaillissent de classe et s’épivardent vers les hannetons et les émeraudes des « ironces ».

Oh courir aussi! mais une haute chute de l’échelle qui tient lieu d’escalier à ma chaumière me condamne à béquiller depuis deux mois - quelque représaille de la Dame à la faulx. Alors, m’étendant sous un chêne dans le proche pré nappé de pâquerettes, boutons-d’or et bouquets de lait, je m’abandonne parmi la salubre caresse de l’heure à l’ineffable émotion qui me viole délicieusement et comme à petits coups subtils métamorphose les ténèbres de mon âme en tendresses pastel. Mon coeur saute en cabri et je pressens que, j’ouvre encore un tantinet la bouche, il va s’émanciper hors moi pour brouter l’espérance nouvelle. Peu à peu sous le charme agissant des philtres épars, j’amenuise mon orgueil et rapetisse mon individualité comme pour ne pas en effaroucher l’égalitaire symphonie du monde et pour, fondu en atome dans l’incommensurable mosaïque des vitalités, participer à l’universel renouveau.

Non loin, des sources aux frisettes de cresson jacas sent vers les cruches...

Saoul perdu, Boulzir, le matelot du flambart à Postic, roule et tangue à travers la garenne en souriant béatement aux papillons qui frisselissent dans l’ai blond.

Pluie fine, l’angélus dégouline en les oreilles.

Je claudique vers le repas de famille.

Au seuil m’espère la branche de félicité.

Roscanvel 1 mai 1900.

Semailles

Comme elles étaient vieilles,

Usées par tant de lèvres et de plumes;

Comme elles étaient vieilles

Ces mouches de paroles et fourmis d’écriture.

Comme elles étaient vieilles

D’un très long passé de livres entassés; Comme elles étaient vieilles

D’avoir été le verbe heureux ou grave sur la multitude

À travers les siècles et les siècles...

Comme elles étaient vieilles

Mais qu’il ne fallait pas les voir s’évanouir

Au bord d’une tribune ou bien au fond d’une bibliothèque

Comme elles étaient vieilles

Mais que, pour l’honneur du dire ou du poème

On ne devait pas les voir mourir j’ai semé,

Puisqu’elles recelaient encore un grain de vie,

J’ai semé les lettres

Toutes les lettres de notre alphabet,

Ainsi qu’on sème à la volée

Le grain de blé,

Dans la page du Livre de l’éternité.

Et sur la marge large de mon espérance,

œil tendu, j’attends l’heure de la délivrance

Comme si la Page, en l’œuvre du mystère,

Était capable du miracle auguste de la Terre

Soir.

Égale dans l’aller et le retour, une étendue avers et son revers, selon qu’on la parcourt. Or de face ce qu’on verra de dos, on voit de dos ce qu’on a vu de face, quand ce ne sont pas des côtés invus qui s’offrent à nos yeux. Ceci sans cela n’est pas complet.

Dans le soir nous pouvons supposer que voici les épreuves négatives des images positives du matin. Un paysage ne se livre intégralement qu’à la façon d’un objet qu’on tourne entre ses doigts ou d’une femme en fleur dont on caresse éperdument toute la peau.

À l’ouest, le Soleil descend dans la tirelire faite de toutes les gueules de poisson, nous abandonnant la petite monnaie des étoiles dont la multitude ne vaut pas l’unique pièce d’or qui nous remontera demain par la faille faite de tous les gosiers de coq à l’est.

(La randonnée extraits)