Claude Debussy

Sonate pour violon & piano en sol mineur

Les larmes refoulées de Debussy

"Je suis simple comme l’herbe" disait de lui Claude Debussy et sa musique est tendue toute entière vers l’expression poétique, en réaction absolue avec les références musicales de son siècle : la ferblanterie wagnérienne et les émois des midinettes. Cinglant et jouisseur il voulait de la musique avant toute chose, quitte à ne point s’embarrasser des qualités de cœur d’un Ravel par exemple et il cultivait un hédonisme triomphant.

Pendant cette période de "musique sœur de la poésie", il approcha au plus près l’alchimie intime des sorciers des sons, obsédé par une recherche permanente de simplicité. Et lui, promis à une carrière de marin aura su faire passer la houle dans la musique, le vent dans les feuilles, le frémissement dans les sons.

Aussi il est paradoxal que ce grand pourfendeur d’académisme se retrouve, dans un hommage éperdu à Rameau et à Couperin, vouloir s’atteler à la composition de six sonates "à la française". Ce n’était plus Debussy c’était "Claude de France" pris dans le délire "anti-boches" et le nationalisme le plus étroit, comme la plupart de ses contemporains hélas !

Lui "qui abomine les doctrines et leur impertinence" va marcher au pas cadencé dans sa musique pour démontrer la supériorité de la musique française faite dans son esprit de clarté, de nuances, de couleurs sensibles et surtout de rejet de toute métaphysique.

Pour lutter contre "les miasmes austro-boches sur l’art", Debussy va porter le fer dans le saint des saints de la musique germanique : la musique de chambre.

Mais ce musicien cocardier ne doit pas être condamné sans circonstances atténuantes. Elles sont nombreuses : d’abord Debussy est emporté par le climat hystérique de l’époque "pauvre atome emporté par un terrible cataclysme", soumis à une intense culpabilité. Il est aussi gravement malade.

Et puis, si on tend l’oreille, il sourd de sa musique une immense inquiétude, des tourments enfouis, un désespoir nappé dans le brouillard apparent des couleurs. Debussy, il n’est pas seulement "dans l’herbe" comme le disait Mallarmé de Verlaine, il est aussi dans les sanglots de Mélisande. Du projet initial de six sonates, Debussy ne pourra, à bout de forces, n’en achever que trois : la sonate pour violoncelle et piano, Celle qui est pour flûte, alto et harpe, toutes deux de 1915, et enfin son œuvre ultime celle qui est pour violon et piano en 1917.

Ainsi, en maniant les formes les plus traditionnelles, Debussy exsangue, écrivait un peu son requiem : "Cette sonate sera intéressante d’un point de vue documentaire, et comme un exemple de ce qu’un homme malade peut écrire pendant une guerre. Je la dédie pour ceux qui savent lire entre les portées !"

Miné par le cancer Debussy meurt dans la nuit du 25 au 26 mars 1918.

Antoine Goléa a qualifié cette sonate de véritable cri de mort et pour l’homme qui n’écoutait que le conseil du vent il est certain que pour sa dernière œuvre, composée dans cet hiver d’épouvante de 1916-1917, il a dû faire la liaison entre la guerre qui ronge les hommes et la maladie qui ronge son corps.

Aux portes du désespoir, il veut laisser une "œuvre pleine de vie, presque joyeuse. L’esprit souffle où il veut. Moi je croupis dans les usines du néant."

Il est donc essentiel de lire au-delà des notes faussement parées d’ironie tendre ou, de fausse gaieté, et de bien entendre cette sonate, polie et repolie des mois, durant comme une stèle que s’édifie à lui-même Debussy.

Désespoir masqué, terreur enfouie le tout sous le bel ordre des apparences et sous la bénédiction des classiques.

"Les larmes refoulées valent les larmes versées" écrira la fille de Debussy, tout est alors dit.

Sonate pour violon & piano en sol mineur

1-Allegro vivo
2-Intermede
3-Finale

Cette œuvre d’une quinzaine de minutes est un véritable labyrinthe de mystère et d’angoisse sous les miroirs sans tain de la sérénité.
Le premier mouvement commence par une lente introduction au piano suivi par l’enroulement du violon, très précautionneusement, autour du thème.
Des "éclats passionnés" entre violon et piano amèneront le second thème, et sur le glas du piano, mais aussi parfois à nu, le violon s’élance vers l’ailleurs. Les deux thèmes tournoient ensemble, laissant perler cette angoisse diffuse, ce chant d’alouette aux rêves de nuit qu’est ce mouvement ne peut pas se conclure : il se casse net.

Le second mouvement, fantasque et léger d’après Debussy, est une énigme.
Simple divertissement grinçant à la Chostakovitch ? Bouffées de nostalgie d’une Espagne jamais connue ? Souvenance d’un "Children’s corner" avec des poupées en miettes ? Le coulé naturel de la musique de Debussy est ici haletant.

Le Finale, qui causa tant de tourments à Debussy, est "simple comme une idée tournant sur elle-même comme un serpent qui se mord la queue".
Ce mouvement tourne en rond, hésite, se brise, grimace parfois.
Une impression de malaise s’en dégage, avec des sursauts de vie, des retombées sinistres, des lambeaux de musique, et il se termine par une course à l’abîme.
Debussy écrit un tombeau à la musique française, mais aussi le sien.