Gil Pressnitzer

À ta santé, Claude !

Chanter en vérité est un autre souffle, Un souffle autour de rien, un vol de Dieu, un vent (Rilke).

Et parfois le chanteur reprend son souffle et boit à la bouche des sirènes.
Alors ton public se demande quel élixir des dieux se trouve dans ton hanap d’or, sur cette petite table tendue comme une offrande. Ce Graal que tu empoignes entre quelques chansons et quelques textes qui nous assoiffent de densité, et dont nous ne voyons jamais le fond. Qui a-t-il a l’intérieur non pas d’une noix, mais de l’arbre tout entier ? L’eau des fables de tes fontaines ? Une concoction d’ambroisie brassée par les druides et les sorciers devant l’écran de tes nuits blanches ? Des alcools forts tétés aux mamelles lourdes de la terre ?

Sans doute tout cela à la fois, et encore plus.

Sûrement des liqueurs du pavot des mots, celles que l’on échange entre morts et vivants pour se souvenir de la douceur de la peau de l’éternité. Le sang de la chanson est au fond du verre et nous regarde.
Maintenant que le corps lance, alors que la tête déborde de vols d’hirondelles, tu dois te demander si, après nous avoir fait tant boire, tu vas le jeter ou pas par-dessus l’épaule du temps. En porte-bonheur et défi à tout ce qui coule. Le vent du verbe souffle encore dru et fait toujours de belles houles que tu chevauches en pirate de la langue française, le bandeau noir des images en bataille.

Le cercle de feuilles écrites dresse un petit tas de secrets entre ton public et toi, et aussi tant de passerelles d’émotions. Qui connaît les hésitations du jongleur de mots, l’appel du vide du fil-de-ferriste ?.
À l’embarcadère du soleil se trouve l’« île-Hélène » et tes poésies qui agitent tous les mouchoirs blancs mais montent sur ton navire. Et le chanteur va.

À Saint-Julien-le-Pauvre, les bancs se remplissent d’oiseaux qui essaient d’apprendre les musiques que tu jettes par la fenêtre. Celles qui rempliront toutes les migrations, celles des plumes, d’ange ou pas, celles des hommes sur ta planète bleue.

Face aux étoiles et aux fausses lunes blanches des projecteurs, tu lèves pour l’eucharistie de la «chanson-pain» du verbe, le vin de la musique. Et sur cette petite table tu nous fais une drôle de cène. Et la scène ne te laisse pas seul.
Une rasade à partager avec nous, toi transpirant encore du voyage d’Orphée, revenant des mines de l’art mineur de fond, et tu nous lances dans un bel éclat de rire : À la vôtre !

À la tienne aussi, à ta santé Claude, et mille chansons encore.