Richard Strauss

Don Juan, poème symphonique

Le désir immense enclos dans un opéra miniature

Étranger à son siècle qu’il traverse enfermé dans sonorgueil, tout entier concentré sur sa musique et sa gloire, RichardStrauss fut avant tout un grand amoureux de l’orchestre, un mainteneurd’un certain âge d’or plutôt qu’un novateur.

Lui, l’anti-romantique, était immergé dans la forêt dessons de Liszt et de Wagner. La geste straussienne est naturellement unenarration épique, avec des effets orchestraux inouïs, un lyrisme simpleet passionné, mais la transcendance lui est inconnue.

Par exemple son grand usage de dissonances, defrottements de timbres n’a pas pour lui valeur d’avancée historique,mais d’épices nécessaires à ses recettes. Être le plus grand compositeurallemand à tout prix lui suffisait, à quoi bon l’aventure. Qu’aurait pudonner un tel génie de l’orchestration avec moins de frilosité ? Ce quireste est souvent admirable, et parmi cela son premier chef-d’œuvre, Don Juan.

Composée à 24 ans, en 1887-1888, cette envoléejuvénile nous rappelle que ce patriarche des sons fut aussi un jeunehomme fougueux. Deux ans après la mort de Liszt, Strauss s’émancipe, etsur la base d’un poème de Nicolas Lenau et d’une pièce de Paul Heyse,« la fin de Don Juan », il lance son héros dans la quête del’éternel féminin. Les fragments de texte que Strauss a placé en tête dela partition, tracent le portrait du désir de Don Juan, son besoin deconquêtes renouvelées, sa peur du bonheur immobile, sa montée du dégoûtdevant la répétition des mensonges, sa nostalgie d’anéantissement.

La pulsion de possession de Don Juan qui revientsans trêve trouve son équivalent musical dans la forme du rondo. EtStrauss illustre le portrait moral de son personnage ne laissant qu’àpeine entrevoir, à la toute fin de l’œuvre, la chute finale. Un homme,le héros au sens straussien, deux femmes (Zerline, Donna Anna),composent cet opéra miniature parcouru par les ressorts dramatiques duDésir, de la Possession, de l’Anéantissement.

Cette musique impure, car arc-boutée à un fil conducteurlittéraire, ne rend pas compte du mythe lui-même, mais de la course àl’abîme. Cette musique est orientée du point de vue du héros, et lesthèmes impérieux de Don Juan viennent en refrain se mélanger aux thèmestendres des souvenirs féminins qui, eux, viennent en couplets. Tout estbien sûr ici symbole, d’ailleurs très appuyé : cors = héros,bois = la femme,..

Mais l’impulsion de cette musique est si forte que toute prévention est emportée :

« Le dernier grand poème symphonique du XIXe siècle » est une musique qui avance, qui claque comme un étendard.

Glenn Gould, grand amoureux de Strauss, parle« de moments d’orgasme expressifs ». Cette musique est en faitplus une quête qu’une conquête de la femme ; elle est plus riche depulsions de possession que d’assouvissement. - Don Juan du jeune Strauss c’est les noces réussies d’un jeune loup et de l’orchestre.

La vie du héros peut commencer.

Gil Pressnitzer