Jean-Émile Jaurès & Henry Lhong
Visage uni - Les cahiers de l’Atelier (1965)
Partie 3/3
TOUT en haut, dominant la ville, la cathédrale dresse sa proue. face à la mer, face aux jets éclatants du phare, aux vagues des embruns, aux soleils levants. On y accède par les mêmes rues boiteuses, blanches et noires, qui débouchent sur la petite place où, jouxtant l’église, dort le musée.
C’est là, dans des vitrines proches des grands trous d’azur des fenêtres, que l’on peut voir ces œufs d’autruche dans lesquels les Phéniciens recueillaient les cendres des marins morts. Et quelques statuettes aussi, de terre cuite, que dans les faubourgs, entre les buissons d’oliviers serrés, pelotonnés contre la sécheresse horizontale, des potiers recopient encore, tout en s’émerveillant.
***
Je ne suis jamais plus présent à nos amours que dans cette solitude où, appuyé à quelque contrefort des remparts dominant les amas rocheux et les brisants, je me laisse aller au bercement des constellations lentes qui dérivent - ou bien c’est nous qui voguons à leur place dans le majestueux glissement de la nuit.
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Une île était en marche aux abords de l’été
Délayant les vents alizés dans ses fontaines
Avançant ses profils d’une audace incertaine
Précaire sur l’auvent de l’ardeur étagée
Souviens-toi un vol nu de grands oiseaux luisants d’écume
Laissait l’ombre plus claire sur nos mains et je voyais
Une aube s’avancer par le travers nocturne
Sur un parvis mouvant d’astres bleus immergés
Un monde refroidi perdait ses fleurs perverses
Noyait ses soirs de grêle et ses nuits pour l’amour
Un air de violon - le filet de l’averse
Posait ses nœuds fumants au bord du point du jour
Nuit dans le ciel blottie dans sa peau de panthère
Une île était en marche et son pourtour de feux
Et sa chaleur d’oiseaux et ses sources amères
Et nos corps séparés dans un jardin soyeux.
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Recommençons ce lent duel où s’effritent nos rages, recommençons ce long périple, cette strie, dans le confus travail souterrain de tes demeures, de tes grottes humides tapissées d’un velours qui flamboie.
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Ton odeur la plus nue s’écaille dans l’été, elle me soutient, elle incendie mes pores.· Je te prends, je bouge lentement dans tes algues, je berce ce profond dénuement qui nous habite, je t’oublie.
Et puis, je redescends vers toi. Je te recueille, je te renouvelle, je te dénoue. C’est le moment où tous les bateaux mettent en panne, où les treuils dévident en psalmodiant leurs chapelets de chaînes, où les filets tournoient dans les vents· sous-marins et vont s’abattre, gisants ajourés, sur les sables. Je te soutiens toujours.
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L’ordre des oliviers la ruelle des astres
Ont tant fait pour l’amour décanté reconnu
Qu’à la fin nous avons glissé dans le silence
C’était le jour levant et la promesse des prairies
La fenêtre avait pris les sources sur ses vitres
Il naissait d’insidieuses musiques sous nos doigts
Et le regard jumeau promenait ses fourrures
Sur les pentes des fruits leurs cratères de poix
L’animal du désir revenait de la plage
Sur un chemin brûlé c’était midi
Midi toujours
Midi et ses laves de sel
Ses astres lents portés au rouge
Ses sextants ses compas ses machines huilées
Le givre acide et nu d’un fer sur nos épaules
Qui appliquait un sceau parfait et réuni
Et dans l’ombre appliquée toute une chevelure
Près de la cruche froide où grouillaient nos profils.
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Labyrinthe émietté qui tourne dans les glaces
Qui multiplie par cent l’ombre que tu n’es plus
Qui divise et soustrait tes visages connus
Qui gomme ton chemin pour me mettre à ta place
Je te poursuis je te poursuis jusqu’au miracle
Qui te ferait surgir de mon désert tendu
Qui te ferait courir sur la longue étendue
De mes plages crevées des signes de l’oracle
Tu hurles dans mon sang dont le cours se renverse
Et m’assaille glacé de son flot étouffant
Et ton corps coule en moi comme un plomb persistant
Et brûle ton oubli comme un feu qui me perce
Je te poursuis
Là-bas
Si loin...
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Referme sur le jour tes paumes chaudes. Je ne lis dans ta main que les enchantements, les moires d’aujourd’hui, la torpeur d’un après-midi qui dore les quais déserts, les ventres noirs des barques, la place vide où un chien surveille les ombres dures et mouvantes, la somnolence des volets.
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Le jour tourne sur ses gonds, peu à peu. Les chevaux du soleil, au détour d’un chemin, vont boire à la fontaine. Soleil parfait miroir, flèche plantée au cœur de mon pays.
Un rire roule en moi. Tu sens ses ondes et t’en effrayes. Ne crains rien. Tu es contenue dans la moisson que je piétine. Entière contenue
À quoi pensais-tu ? Pourquoi riais-tu ? Quand, où ? C’était hier, c’était n’importe quand, pourvu que je sois dans ce rire. Entière contenue.
***
Il faut que tu le saches. Une nouvelle fois, l’amour recommençait entre la transparence et l’ombre...
Une nouvelle fois, entre l’homme et la femme, l’amour recommençait...
Une nouvelle fois, entre l’homme et le monde.
L’AMOUR RECOMMENÇAIT.
La typographie de ce premier « cahier de l’Atelier » a été achevée d’imprimer le 13 avril 1965, sur les presses de l’imprimerie Robert Vauthier, 48, avenue Étienne-Billières, à Toulouse, pour le compte et le plaisir des animateurs de l’Atelier.
Les gravures ont été dessinées directement sur écrans de soie par Jean-Émile Jaurès et tirées, soir, après soir, par les auteurs, aidés de quelques amis.
Le tirage a été limité à 250 exemplaires, numérotés à la main, dont deux cents numérotés de 1 à 200, et 50 hors commerce, numérotés de 1 à L.
Exemplaire n° XXXVI