Igor Stravinsky

Concerto en ré

Le néo-classique en dansant

Stravinsky en son siècle ne peut être comparé qu’au peintre Pablo Picasso. Le même côté cannibale leur aura fait dévorer leur temps à belles dents. Puissants, protéiformes en s’adaptant à toutes les modes et souvent les créant, ils restent incontournables.

Très hauts chefs-d’œuvre et œuvres de circonstance alternent constamment et, comme le disait et le prouvait Stravinsky « il ne suffit pas de violer la musique, encore faut-il lui faire un enfant ».

Nombreux furent les enfants et parmi cette curieuse œuvre de la première moitié de 1946, le concerto en ré pour orchestre de chambre.
Elle est une commande de Paul Sacher afin de célébrer le vingtième anniversaire de son ensemble, l’orchestre de chambre de Bâle.

Crée le 27 juillet 1947 elle sera immédiatement remaniée par Stravinsky qui refit le rondo final.

Œuvre courte de 12 minutes elle reprend la découpe classique en trois mouvements : vivace initial très proche des Brandebourgeois d’un certain Bach, arioso très proche de Rachmaninov avec son épanchement lyrique et rondo final rapide et tonique.
Stravinsky avec son humour très froid, presque cruel, aura aimé perdre en chemin ses auditeurs. Du sauvage du Sacre du Printemps qui mettait ses doigts dans le nez de la musique, à cette musique en perruque, il y a de quoi s’égarer. Surtout que Stravinsky, comme un certain Dali, n’hésite pas à mettre sur le même plan ses pochades et ses chefs-d’œuvre. Il lance un bâton de musique et il s’amuse de voir tous les chiens fous de ses suiveurs et copieurs s’en emparer.

Mais dans cette musique ronronnante pour salon de thé, il avait, et c’était calculé chez lui, comme tout était calculé jusqu’à ses sentiments, toucher juste.

Meurtris au sortir de la guerre par les violences et le chaos, le public européen aspirait à la quiétude musicale. La musique baroque n’était pas à la mode, et on ne savait plus qui était par exemple Antonio Vivaldi.

Lui offrir un pseudo-âge d’or de la musique où tout coule sans surprise fut une thérapie immense. Le succès fut grandiose, et on pouvait sans remords ne plus faire attention aux barbares viennois comme Schönberg et sa cohorte, aux sérialistes qui émergeaient aussi.

Enfin la paresse auditive était de mise.
La brèche était ouverte pour d’autres: Martinu, Bloch...
Là encore le magicien pervers qu’était le prince Igor avait touché juste et profond.

Ce fameux exemple du style néo-classique aura eu le mérite de donner un ballet merveilleux de Jérome Robbins, « La Cage », en 1951.

Plus chef-d’œuvre chorégraphique que musical cette musique très accessible, claire et sans prétention reste un bon moment.
Pour l’histoire retenons que cette partition est la première commande européenne depuis « l’exil refuge » aux États-Unis.

Gil Pressnitzer