Ludwig van Beethoven

Quatuor n° 15 en la mineur, Op. 132

Dans ce perpétuel combat avec l’ange entre la musique et Beethoven, et dont il émerge toujours blessé mais vainqueur, le quinzième quatuor a une place exemplaire. Publié après sa mort, ce quatuor a longtemps été maturé et remâché pour ne voir sa finalisation qu’en juillet 1825.

Entre-temps, la Missa Solemnis, Le Neuvième Symphonie avaient capté les forces vives de Beethoven. Les insistantes demandes du Prince Galitzine finiront par faire revenir à la forme quatuor le désormais célèbre Ludwig Van Beethoven, toujours plus emmuré dans son isolement au monde et ses luttes contre la matière rebelle de la forme et l’incompréhension des autres.
Comme souvent devant les obstacles à sa générosité déferlante, Beethoven passe en force, en puisant dans ses carnets d’esquisse, fourmillant de jurons et de matériel thématique.

L’intimité avec le Quatuor Schuppanzigh lui démontrait que l’on pouvait encore aller plus loin dans le monde des formes, et puis le temps pressait car la maladie frappait à la porte.

Alors, Beethoven concrétise toutes ces préoccupations de l’instant l’amour de la forme fuguée avant-goût de l’éternité, la diminution des contrastes entre les mouvements, la prédominance dune sorte de variation unique pour que le finale se dissolve en fonction des germes contenus dans le matériel déjà entendu dans les autres mouvements, le besoin d’encadrer le morceau par le poids du premier et du dernier mouvement, double porte initiatique à son œuvre,

Cette œuvre porte avec ce mélange typiquement beethovénien de pudeur et de confession extravertie, le témoignage de souffrance. La beauté du chant devient ici secondaire, et le quinzième quatuor est la Passion de Beethoven, à la fois dans le sens mystique et romantique avec l’expérience douloureuse de la grave maladie d’avril 1825.

Le Quinzième Quatuor assume le mélange d’émotions à fleur d’âme et d’objectivité voulue. Il n’a pas la perfection formelle des quatuors suivants car il oscille souvent entre indécision et affirmation, mais il est essentiel par le cheminement spirituel qu’il contient c’est là que Beethoven se retrouve et se perd à la fois devant l’ampleur des problèmes posés, Beethoven laisse bien (les pistes en friche, montrant l’état de ses réflexions à ce moment (épuisement pour lui de la forme sonate). Ce quatuor ne fait pas appel à des passages brillants, souvent on voit la trame des thèmes et I usure des sentiments.
Très déroutante, cette œuvre est en fait pathétique et obsessionnelle.

Conçu en cinq mouvements, ce Quinzième Quatuor en la mineur, fait la part belle au premier et dernier mouvement qui se répondent et se complètent, avec pour apothéose le troisième mouvement "Chant de Convalescence". Ce morceau stupéfiant est peut-être ce que Beethoven a créé de plus profond et complexe.
Alors, bien sûr, les second et quatrième mouvements, ne seront que des passages subsidiaires mais préparatoires à l’oraison du mouvement lent central.
- Quatuor n° 15 en la mineur op. 132:
- Assai Sostenuto - Allegro -
- Allegro ma non troppo - Molto Adagio
- Alla Marcia, Assai Vivace
- Allegro Appassionato

Premier mouvement

Le mouvement introductif est basé sur une lente ouverture où est généré un thème très simple, primordial plutôt que primaire qui va se ramifier dans tout le développement. Du violoncelle aux autres instruments, se met en place ce quatuor-aveu, fait d’interrogations et d’énigmes non résolues.
Les tensions s’accumulent peu à peu avec des marches qui passent, des développements ambigus, tenant très peu compte de la forme sonate.
Ce mouvement est représentatif du quatuor, qui est plus une évolution psychologique que musicale.
L’atmosphère affligée est ponctuée de quelques cris. Une sorte "d’indécision douloureuse" est présente. Mélange de volonté d’intégration musicale et du désir d’atomiser la structure même, ce mouvement est très impressionnant.

Deuxième mouvement

Contraste volontaire, ce mouvement "sacrifié" plonge dans des danses populaires apprivoisées par des éléments contrapuntiques.
Scherzo longuement énoncé, puis trio étrange préparent donc la voie au mouvement suivant.

Troisième mouvement

Beethoven utilise un vieux mode d’église, un mode lydien, pour célébrer une sorte de rituel oublié, issu d’un catholicisme médiéval. Étonnant retour à Palestrina, cette ascèse volontaire, oblige Beethoven à travailler avec une palette élémentaire, primitive.
La beauté de son chant de louange n’en a que plus d’élévation.
Beethoven, très peu préoccupé de transcendance mais beaucoup d’éternité, déroule dans une sorte de murmure, un long hymne de près de vingt minutes, moment exceptionnel de toute son œuvre.
Par deux fois, la proclamation de la force revenue va briser avec plus ou moins de conviction cette grâce musicale.
Choral, variations, glissements, s’opèrent dans un univers sans tensions harmoniques.
Ce mélange d’ascétisme et de lyrisme extatique est réalisé musicalement entre l’irréel du mode lydien et le choc du quotidien représenté par une autre section (andante et les coups de butoir de la joie retrouvée).

Que de gloses répandues sur ce mouvement, quitte à ne plus voir l’ensemble du quatuor.
Sommet indubitable oui, mais grâce à la totalité du quatuor.

Quatrième mouvement

"Petite marche" presque burlesque pour casser le climat précédent, et préparer la dissolution du Finale. Volontairement entêté, banal, bancal, ce mouvement est un collage de laideur pour revenir sur terre. Mahler s’en souviendra.

Cinquième mouvement

Vaste forme rondo, ce mouvement va dénouer les tensions de l’œuvre en ramassant des épis épars des moissons précédentes, même les thèmes inachevés du premier mouvement.
Le chant initial très mélodique cédera peu à peu devant les proclamations optimistes propres à Beethoven, qui faisait de la joie un credo. Le mouvement va s’accélérer pour terminer en fanfare.
"Œuvre la plus ardue peut-être et la plus profonde de Beethoven", ce quinzième quatuor est certainement celui qui continue à nous poser le plus de questions. Œuvre toujours contemporaine, il est judicieux qu’elle soit suivie par la Suite Lyrique de Berg qui a tant de points communs avec elle.

Gil Pressnitzer