Pierre Igon

notes de Garance Thouzellier

L’autre peintre majeur de l’abstraction lyrique est Pierre Igon, né à Toulouse en 1922.
Il commence l’apprentissage d’un métier manuel dans les matériaux bruts, les "arts du feu" et minéral que l’on retrouve dans ces oeuvres futures. Autodidacte qui ne sort pas de l’École des Beaux-Arts, Igon se consacre ensuite à la peinture et expose pour la première en 1948.

Il travaille cependant dans les ateliers libres de Mélat et d’Espinasse et rencontre Marfaing, Fauché, Espinasse, Patez et Fachd.
Les premières oeuvres sont figuratives et présentent des natures mortes empreintes d’un certain misérabilisme : animaux écorchés, bucranes, « paysages assez inquiétants, peuplés de rochers ou d’animaux qui tendent déjà à s’évader du réel et à devenir ces formes pures qu’il peindra plus tard ».

C’est par le biais de l’art sacré et de la fresque, vers 1951, qu’il s’intéresse aux problèmes picturaux et passe à la non-figuration et se libère avec aisance du sujet.
Pierre Igon organise sa toile par un graphisme noir concentrique qu’il répartit dans des directions verticales et horizontales surtout, selon un schéma de "mise en croix" de l’espace.
Ceci donne un aspect statique et équilibré à sa toile. II utilise une gamme chromatique plus riche, dans les tons froids de noirs, gris-bleutés et terres.

Quelques taches de couleurs s’emmêlent et créent des plans différents.

Au fil du temps, il va affiner ses nuances et améliorer ses jeux de matière.

Il se dégage peu à peu de l’expressionnisme abstrait pour arriver à l’abstraction lyrique en 1960 et donner plus d’émotions et de libertés, dans la construction et dans la touche, à ses toiles.

« L’espace ne se creuse plus à partir de la surface, avec son jeu d’arrière-plans suggérés, il se développe à partir d’elle. »

En même temps, il introduit des couleurs plus chaudes, telles des ocres et des orangés. Il participe aux Salons "Art Présent".
Il expose en 1960 et 1963 à la Galerie Maurice Oeuillet ; en 1963, 1964 et 1971 à la Galerie At Home ; en 1965, 1966 et 1968 à L’Atelier ; en 1975 à la Galerie Protée.

Il obtient le prix Charles Malpel en 1960, le prix Signatures (section non-figuratif) en 1962 et le Grand Prix de France la même année.

« À travers une palette très chaude où une lumière d’or éclaire des formes sombres, sa peinture procure une impression de poésie intérieure presque oppressante à force de somptuosité »

Sur un fond gris bleuté ou rouge, des personnages alignés, rehaussés par un graphisme large et noir, sont mis en valeur et ont un caractère primitif et "totémique", pour reprendre l’expression de Michel Roquebert.

Celui-ci explique cette évolution : « Parti d’architectures rythmiques en forme souvent de grilles, Igon a abouti à ces êtres étranges faits de formes ovoïdes, triangulaires, ou rectangulaires cloisonnées, qui ont acquis la présence et la densité d’êtres imaginaires. »

Pierre Igon crée également « un espace purement atmosphérique auquel une palette beige et gris bleuté, une facture moelleuse, donnaient une infinie douceur ».

Dans cet espace, il ajoute des signes moins géométriques qu’avant : ils sont plus organiques et plus dramatiques, déployés dans des couleurs chaudes de rouge et de jaune donnant un mouvement vers le haut.

Toutes ces oeuvres font place à un univers de la transparence et non plus de l’opacité comme à ses débuts.

Dans les années 70, Pierre Igon évolue vers une peinture qui utilise des couleurs plus franches, des contrastes et des harmonies de blanc, de rouge et de noir.
Il utilise une facture large et dépouillée qui laisse apparaître la richesse de la pâte, avec une rigoureuse composition graphique le plus souvent décentrée.
Les rythmes et les formes évoluent dans un espace plus aéré qui semble ainsi illimité. Les formes et les rythmes acquièrent une valeur de "signes", pas seulement à caractère chinois comme dans quelques-unes de ses oeuvres.

« Il suffit de voir comment d’apparents déséquilibrent de formes, avec des mises en pages presque acrobatiques, se replient, se bouclent en quelque sorte sur eux - mêmes pour retrouver un équilibre supérieur. »

Au fur et à mesure, il utilise des rythmes amples et calmes et un chromatisme éclairé par des passages de blanc qui ont la valeur de zones de silence, « à la limite de la pure page blanche sur laquelle allait s’inscrire un pur langage de signes.[...] C’est alors qu’on vit apparaître la large calligraphies d’Igon, ses signes noirs ou couleur de rouille inscrits sur de vastes fonds blancs, rouges ou beiges. Ses formes arrondies au puissant chromatisme, closes, bloquées, comme prisonnières de grilles imaginaires ou d’un filet dont les mailles ne laissaient échapper que des taches de couleurs et des traces impalpables de gestes. La toile se concentre parfois sur un noyau complexe, sur une zone apparemment chaotique ancrée sur une grande plage calme. [...} L’espace s’étale librement à l’infini, pour mieux laisser se condenser des agglomérats d’une matière imaginaire où la moindre tache colorée se charge d’un poids considérables. Les cernes peuvent se briser, le geste devenir très ample, les formes éclater à leur tour. »

Pierre Igon s’est créé un langage pictural abstrait bien à lui qui nous introduit dans un monde mystérieux et secret, reflétant la personnalité du peintre.

Dès 1960, son graphisme se libère et devient plus gestuel, plus lyrique et opte alors pour un travail véritablement plastique.
Dans ses formes et ses couleurs, il donne un visage, un corps à une réalité invisible et non qualifiable. Il confère une poésie à la couleur et à la matière. Tout au long de sa carrière, il ne cesse de se renouveler tout en restant lui-même. Il obtient une renommée nationale et internationale auprès de la critique, des créateurs et des amateurs d’art.

« [...) la plus fantastique illustration que l’on puisse en trouver se situe dans ce que l’on appelle alors l’École de Paris, surprenant microcosme où se reflétait le monde. »

Garance Thouzellier