Pierre Igon

Ou la nature transfigurée (rétrospective 2007)

« On devrait toujours s’excuser de parler peinture » écrivait Paul Valéry. Les critiques s’en chargent avec plus ou moins de bonheur, les modestes forment une appréciation nuancée, les polémiques détruisent, les intellectuels ou réputés tels jargonnent. Pierre Igon lui s’expri­mait peu, courtois et discret il disait « ça se regarde ». Par ailleurs il ne donnait pas de titre à ses œuvres, ceux-ci sont souvent ajoutés a posteriori et ne constituent pas pour autant des légendes.
Le visuel ne se laisse pas enfermer dans des mots, les réalités plastiques échappent à toute réduction.
L’image n’est pas le symbole et le non-figuratif n’est pas la voie royale de l’abstraction. L’aventure de Pierre Igon est significative d’un parcours générationnel assez classique mais singulier.

Quant à l’inspiration : c’est de l’observation aiguë de la nature, je dirais plutôt de la Création qui n’a cessé de féconder ses productions, ses carnets de notes en témoignent : fleurs, plantes, insectes, curiosités géologiques, paysages des Pyrénées et d’ailleurs, qui méri­teraient toute une exposition ; cependant à partir de cette vision amoureuse du créé, Pierre Igon ne se contente pas d’une transcription réaliste ou naturaliste de ce qu’il perçoit car, au-delà des apparences formelles, il est parmi « les peintres qui abstractionnent le réel c’est-à­-dire qui passent de l’image au symbole, cet art relève d’un travail progressif de stylisation et d’abstraction. L’objet existe d’abord, l’on en fait un signe ou un symbole et il cesse bientôt de devenir identifiable ; c’est ce que René Huyghe appelle : digestion du motif par le moyen plastique ». (Georges Mathieu « de la révolte à la renaissance, au-delà du tachisme » Gallimard 1972) ;
Pierre Igon abstrait total ? non mais plutôt non-figuratif avec le champ presque infini qu’ouvre cette perspective immense, j’allais dire lyrique, attentive au monde (à la création dans ses moindres détails réinterprétés, transfigurés), certes oui !
Toutefois Pierre Igon ne serait-il pas un romantique moderne tant le sentiment de la nature, la Création l’habitent et le hantent dans la multiplicité de son travail, le cosmos dans ses plus petits fragments (alvéoles, insectes, animaux, etc. ). Tous ces éléments paraissent parfois issus d’un microcosme et souvent traversés par des forces telluriques qui contribuent à la construction d’un univers plastique contrasté et librement structuré (les cernes noirs, la générosité des couleurs, la configuration des compositions souvent très centrées… ).

La galerie Tiny Factory n’a pas voulu organiser une véritable rétrospective mais seulement faire quelques choix d’atelier significatifs, pour respecter la mémoire d’un peintre qui aurait pu connaître une plus large audience si les mondanités circonstancielles l’avaient davantage servi. Sa modestie l’a peut-être desservi. Mais sa peinture est là, d’une force rayonnante, j’al­lais dire d’une solidité édifiante qui résistera au vent des modes. L’exposition de 1987 au musée des Augustins témoignait de l’ampleur de son œuvre. Les textes de Denis Milhau et de Michel Roquebert (<< Panthéisme pictural » et « Le cadastre d’une intériorité ») ren­daient compte avec pertinence de la complexité de cette œuvre polymorphe dont il ne faut pas négliger la dimension religieuse. Certes Pierre Igon incarne magnifiquement tout un courant d’art multiforme (1950-1980) issu des années quarante qui a perduré et dominé jusqu’en 1970 (Supports-Surfaces) mais dont les prolongements continuent au-delà de l’an 2000 avec de beaux éclats. « S’il n’y a pas chez Igon l’inquiétude théorique d’une pureté du pictural par la seule raison que sa pensée ne peut être que picturale, il y a constamment l’in­terrogation de la tradition, du pictural et du sacré... Aujourd’hui avec de telles œuvres et de telles interrogations Igon est de ceux qui témoignent à leur créneau de la vitalité d’un art dont il assure le devenir et l’avenir « (Denis Milhau).Je livre à la réflexion ce point de vue quelque peu énigmatique mais stimulant de Charles Baudelaire « Plus l’art voudra être philosophiquement clair plus il se dégradera et remon­tera vers le hiéroglyphe enfantin plus au contraire l’art se détachera de l’enseignement et plus il montera vers la beauté pure et désintéressée ».

Paul Durnas-Ricord, critique d’art, avril 2007