Wolgang Amadeus Mozart

Concerto pour violon n° 1, K.207

Les chants de l’esclave

Les cinq concertos pour violon de Mozart ont tous été composés pendant la même année, l’année 1775. Le premier K207 est daté du 14 avril, le dernier, le cinquième K219 date de la fin de l’année, le 20 décembre.
Mozart était lié quasi physiologiquement avec le piano et son univers de son. Le piano le prenait comme par la main, comme une mère avec toutes les quiétudes des eaux qui semblent s’écouler de son clavier.Le monde du violon procède d’une autre nature, plus proche de l’air et de la tension, du chant enjôleur aussi.

Mozart a donc laissé ce rapport privilégié et charnel avec le piano se clore en 1773, pour cet intermède obligé au violon. Il ne reviendra au concerto pour piano qu’en janvier 1776, par contre il ne reviendra plus jamais au concerto pour violon.
« Ce genre était demeuré lié pour lui au souvenir frémissant de son esclavage ». (Brigitte Massin).
Et de fait Hieronymous Colloredo, archevêque que l’on dirait sorti de Fanny et Alexandre de Bergman, voulait de la musique pour violon en plus des autres contraintes comme la musique vocale religieuse, les divertimenti.Car cet homme cassant, dépeint comme un tortionnaire, était aussi un être complexe, fasciné par la pensée des Lumières et la brillance de la musique italienne.On pourrait ajouter une autre raison à l’abandon du violon par Mozart. Elle est d’ordre psychologique car son professeur de violon fut son père qui le marqua tant, aussi bien positivement que négativement.
Par obligation le style galant devait être prépondérant dans son territoire.Mozart savait bien sûr jouer du violon en virtuose, et donc il s’exécute pour son patron mais sans doute pour lui-même en espérant à la fois défricher un nouveau territoire et aussi se constituer un nouveau répertoire permettant d’entrouvrir les grilles de sa prison.
L’approche par Mozart de cet instrument du diable, prédestiné à toutes les cabrioles et les actes de bravoure, est pourtant inattendue. Comme dans une résistance intérieure, Mozart va refuser de pactiser avec le caractère virtuose de la partie soliste qui sera souvent seulement effleuré dans tous les cinq concertos.
Il refuse d’embraser par pure prouesse technique la teneur de sa musique. On attendait de lui un numéro de cirque à l’italienne, il s’y refuse, avec pour seule concession, l’extrême élégance et les vertus décoratives propres au style galant dont il fallait feindre le triomphe.
Le soliste d’un concerto pour violon de Mozart, aussi bien dans les mouvements lents que dans les mouvements rapides, ne peut espérer enflammer une salle.Par contre l’extrême légèreté du son, le charme palpitant de la musique, permettent de décrire une caresse en musique, une élégance à travers des sons.Ce n’est pas la palpitation de l’eau du piano, mais la partie oiseau de Mozart qui passe dans ses œuvres pour violon.Mozart, par nécessité, fait semblant de céder à un style qu’il ne portait pas dans son cœur, le style galant.Aussi une certaine primauté est donnée à l’instrument soliste qui plane au-dessus d’un petit orchestre feutré et à l’écoute.Beaucoup de thèmes sont éparpillés, jetés comme des fleurs mais sans réel travail de structure, d’architecture.La décoration prend le pas sur les fondations car il s’agit pour Mozart d’offrir un agréable trompe-l’œil.Tout cet édifice rococo est charmeur et plutôt exalté dans les premiers concertos qui jouent le jeu des règles ambiantes.Mais le naturel de Mozart revient au galop et au travers de la même forme et de la même structure nous sommes dans un autre monde.
L’appel de l’ailleurs, une certaine impertinence, un refus des choses attendues, se font jour.Et la crème chantilly se craquelle, l’humour et la véhémence, la grâce et le rire, reprennent pied pour une musique vraiment mozartienne. Tout respire à nouveau l’invention et la fantaisie.
Le concerto pour violon n° 1 en si bémol majeur (K207) est très significatif de cette floraison de 1775, mais il n’est pas exemplaire de ce mûrissement intérieur entre amour et rage qui marque les rapports de Mozart et du violon. Composé le 14 avril 1775, il est à la lettre le premier, bien que l’on sache qu’il y eut d’autres essais, mais dans l’esprit il est l’aboutissement logique de toutes ses grandes cadences de violon foisonnantes comme autant de chemins buissonniers dans ses Cassations et ses Sérénades.
Nous assistons là au passage d’une cadence même très développée à un véritable corpus avec ses lois plus rigides que constitue le concerto pour violon avec les règles de préséance entre soliste et orchestre.
Il ne s’agit plus de ces moments de liberté et d’espièglerie au sein d’une œuvre presque de plein air, mais d’un genre codifié par les Grands Italiens.Finie la fête sur commande et la solennité associées, maintenant place à l’artiste qui doit éblouir et ravir mais également remplir son service.Aussi malgré cet air de sérénade qui tourne toujours dans l’air du soir des musiques pour violon, une nouvelle approche s’opère.Elle ne laissera pas de trace profonde, car reçue comme une obligation, elle demeurera simple parenthèse d’une époque douloureuse et contrainte.Ces concertos d’un jeune homme de 19 ans, premier violon du Prince Archevêque Colloredo, sont bien sûr destinés au violoniste Bruneti, « idole de l’Archevêque ».
Mozart d’ailleurs dans sa première tentative doit tourner le dos à l’esprit français qui l’imprégnait alors. Et cette œuvre est une musique où Mozart ne se donne pas, ne se confie pas, elle reste presque neutre.Dans ce repli de soi, dans ce retrait à ses élans intimes, Mozart ne donne à entendre qu’une foisonnante invention mélodique.Il faut "faire preuve d’esprit" alors Mozart s’incline et fait semblant de rendre les notes et les armes à la galanterie.Le soliste ne dialogue quasiment pas avec les instruments de l’orchestre.Les joliesses des cors, des flûtes ou des hautbois ne sont point là pour faire vivre une forêt d’oiseaux, mais pour plaquer un décor en trompe l’œil.« Vous voulez de la musique de salon, en voici donc ». semble dire Mozart.
Aussi le violon, souvent dans l’aigu, pépie comme un oiseau mécanique et ne se prend aucunement au sérieux.Passant d’un thème à l’autre avec un orchestre qui se contente de surligner, le violon soliste fait son numéro gracieux et passe à travers les cerceaux de la convention.Bien apprivoisé et charmant certes, mais en prêtant l’oreille dans l’andante nous entendons Mozart nous dire, voilà ce que j’aurai pu mettre d’émotion, de grâce transparente si je l’avais pu.Qu’importe il reste une musique fluide, qui chante plus haut que les conventions et qui arrive à faire de la lumière.Tout y est pourtant pour rester empeser dans la tradition longue cadence, mélodies galantes, orchestre qui accompagne comme une mandoline et se contente de relancer.
Tout y est sauf que Mozart saute à pieds joints hors de sa cage.
Ajoutons un détail musicologique, le rondo K 269 composé à l’été 1776 servira de nouveau final à ce concerto pour faire plaisir au sieur Bruneti car la forme sonate initiale était moins valorisante que celle-ci sous forme rondeau.Reconnaissons que ce remplacement est judicieux, car le travail thématique plus tissé et le retour constant de certaines figures donnent une unité plus forte.Apparemment peu expressif et intériorisé, ce concerto nous apprend beaucoup sur le jeune Mozart se soumettant aux règles tout en marquant son impertinence sur des roucoulades galantes.
Œuvre sans prétention, œuvre de circonstance, Mozart paya son tribut.À propos, Mozart préférait nettement l’alto dont il adorait jouer entre amis.Ce concerto plaisait beaucoup à Menuhin et en l’écoutant rendons hommage à ce « dernier des justes » en musique, que fut le merveilleux Menuhin, une œuvre pleine de joie simplette, apparemment peu expressive est donnée afin que la simple guirlande des sons puisse nous éviter de pleurer et nous permettre de se souvenir seulement du sourire d’ange de Menuhin.

Concerto n° 1 K.207

- Allegro Moderato
- Adagio- Presto

Ce concerto plus que tous les autres, se souvient des musiques que Mozart produisait alors à la chaîne: des divertimenti.Il mêle la virtuosité et la vitalité puisée dans la chaleur de l’Italie aux danses françaises délurées et sensuelles.L’orchestre reste tranquillement couché au pied de la mélodie qui a tout le temps de s’étirer dans le chant quasi continu du soliste.Mozart semble faire un concours de chant avec son modèle Boccherini, mais aussi avec tous les oiseaux du monde.Le rondeau final se veut gaieté avec sa fausse pesanteur de danses, avec des épisodes intermédiaires de gavotte puis de musette.

Dans Salzbourg enclos, le chant de Mozart s’élève, prémices de liberté.

Gil Pressnitzer