Wolgang Amadeus Mozart
Symphonie n° 40 en sol mineur, K.550
Les derniers feux avant l’hiver
La transparence, c’est-à-dire Mozart même, la lumière seule peut la sonder.
(Jean Victor Hocquard).
Sans vouloir renoncer à tout éclairage, il peut en effet sembler vain de classer les opus de Mozart en Œuvres tragiques ou galantes. Tous ces éléments, en apparence disparates. étaient tissés intimement dans l’esprit de Mozart qui refusait tout simplement toute catégorie culturelle Quand on aborde les trois dernières années de la vie de Mozart, il faut se dégager de la vision romantique et tragique qui a souvent cours. Mozart se bat plus contre l’oubli, la misère que contre un destin implacable. Combats et découragements se succèdent et parfois se chevauchent.
Pourtant la forme symphonique était pour lui l’épreuve fondamentale démontrant sa maturité, sa capacité à penser en grandes formes, et d’intégrer à un style instrumental classique un style dramatique issu de l’opéra.
« Le tragique est partout présent. il est partout surmonté sans être éludé nulle part »(Massin).
Ainsi peuvent se mêler pièces « noires » ou pièces « blanches » dans un enchevêtrement complet dans cette année 1788, où tout se précipite pour Mozart, comme dans un pathétique quitte ou double pour reconquérir Vienne, pour exorciser ses angoisses et ses ombres encore palpitantes dans le récent Don Giovanni.
Et puis la crise de 1787, avec la mort qui tombe en pluie autour de lui, enfant, père, ami, se devait d’être surmontée alors Mozart se jette à corps perdu dans la composition, et affronte à nouveau la forme symphonique.
Quelques dates laissent rêveur :
28 juin : Symphonie n° 39 en mi-bémol K 543
10 juillet : Sonatine pour violon et piano
14 juillet : Trio avec piano K 548
25 juillet : Symphonie 40 en sol mineur K 550
10 août : Symphonie 41 en ut (Jupiter) K 551.
Cela donne le vertige !
Toutes ces Œuvres sont composées à Vienne, et pour la première fois sans commande extérieure. Mozart se lance dans une trilogie symphonique destinée à la ville ingrate.
Il espère secouer aussi l’indifférence et la solitude qui commencent à le cerner, à le couper de ses amis. Il espère faire jouer en public, dans une académie à ses frais, ces symphonies pour dire : « J’existe encore et je chante toujours ».
Il comprendra assez vite qu’elles n’intéressent plus personne, et lui-même n’entendra que la quarantième, aussi il va cesser d’écrire des symphonies alors que sa maîtrise devenait magistrale, et ses idées foisonnantes. Cette symphonie semble être les derniers feux avant la descente vers l’hiver de 1791 et l’arrivée rampante de la misère.
Bien sûr, composées coup sur coup, les trois symphonies ont des liens évidents, des conceptions voisines car elles ont été menées de front dans l’espérance de la reconquête sociale et aussi sans doute pour une libération ultime.
On ne sait presque rien des circonstances entrevoir quelques lueurs sur cette pluie de notes jetées, non pas comme une bouteille à la mer, mais avec la rage de triompher de cette Vienne-vampire.
De la « joyeuse » symphonie en mi-bémol, à la « sombre » en sol mineur, à la « triomphante » en ut majeur il y a mille passerelles.
De cette trilogie ultime, la symphonie n° 40 K 550 est restée la plus commentée, comme expression de la douleur, et les romantiques voyaient en elle un monument d’équilibre.
On la joue aujourd’hui comme la plus romantique des Œuvres, excepté le Requiem, avant d’être récupérée comme musique de supermarchés dans d’immondes arrangements.
Hocquard., encore lui, parle non pas de douleur chantée mais de quête. de leur composition, mais on comprend tout de leur finalité. Seuls les quelques tumultes de combat intérieur qui affleurent, peuvent laisser et le premier mouvement semble en être une démonstration éclatante, de défi vers une forme symphonique parfaite et enfin atteinte.
Et c’est bien la démarche de la Quête qui rend cette symphonie haletante car témoignage d’un corps à corps avec l’écriture, parfois d’ailleurs ancrée sur le socle des certitudes carrées récemment redécouvertes chez le bon vieux Bach.
Ondoyante, entêtée, déterminée même, cette symphonie avance, se recueille dans l’andante, s’ébroue dans le menuet, et laisse dans l’Allegro final affirmer une certaine confiance, proche de l’héroïsme d’un héros mozartien comme Tamino, mais qui va se briser en interrogation vers la fin. Les portes de la gloire viennoise ne s’ouvriront pas malgré la véhémente violence, les rebonds incessants. Cette symphonie est une tentative pathétique pour sortir de ce désamour de la société.
Le combat que mène Mozart sera vain. Et Mozart est loin du prométhéisme de Beethoven, il ne se veut qu’homme, simplement, sans besoin d’éternité ni de feu à transmettre, alors il se résigne en souriant.
Seul compte cette lumière, cette transparence dont nous évoquions la trace déterminante dans la musique de Mozart.
Mozart n’est pas romantique, il ne met pas en scène ses douleurs, il n’a pas d’aspiration messianique.
Tout simplement il cherche, en dramaturge, en homme déjà conscient de la présence de la mort, à faire naître de la lumière. Il est parfaitement conscient de sa maîtrise, totalement pudique sur ses fêlures intérieures.
Ni résignée, ni triomphante la symphonie en sol mineur est conçue avec un effectif réduit : quatuor à cordes, violoncelles séparés des basses, une flûte, deux hautbois, deux bassons, deux cors mais sans les timbales et les trompettes de la Jupiter.
Symphonie n° 40 en sol mineur K 550
1-- Allegro molto
2-- Andante
3-- Menuetto - Allegretto
4-- Allegro assai.
Moins de trente minutes suffisent à Mozart, sans effusion ni fièvre, à faire sourdre une tension vers cette course finale où se brise la fin de la symphonie.
Ni lettre, ni explication de Mozart n’étant connues, autant se laisser prendre par cette « folle journée », où les jeux de l’amour et de la trahison n’ont plus cours. Il ne s’agit rien de moins que de la destinée humaine !
Et peu à peu l’ombre finit par gagner sur cette clairière de tendresse. Les mêmes techniques de reprises obsédantes de thèmes sont ici reproduites, mais à chaque fois des nuages noircissent toujours un peu plus la lumière apparente.
1-- Allegro
Le thème bondissant, modulant est le lancement de cette coulée musicale qui avance, de cette quête, pour nous mystérieuse.
Un climat proche de Don Giovanni passe parfois avec ses ombres et ses modulations.
Souvent barré, enfoui parfois, ce thème comme rivière indomptable ira au bout de ce court mouvement.
Obsédant, avec un sourire énigmatique cet allegro aura beaucoup fait pour la connaissance actuelle de Mozart. Pourtant son mystère fait de rebondissements incessants, de chromatismes, demeure.
2-- Andante
C’est le mouvement central, le plus développé, le plus aérien aussi. Avec des thèmes énoncés du bout des lèvres, des chants de cordes tout en caresses, il va vers l’immatériel.
Les bois colorent de mélancolie ce passage à la Watteau.
3-- Menuetto - Allegretto
Par provocation sans doute Mozart appelle ce mouvement menuet, alors qu’il n’a vraiment rien des grâces frivoles attendues.
Âpre, utilisant largement le contrepoint comme pour chercher appui chez les Grands Anciens quand soi-même on bascule, ce mouvement est tendu, tapant le sol de ses martèlements.
Plus proche des Ländler mahlériens, que de la dentelle de la cour, il laisse apparaître une rare tension, rompue par la grâce des vents, sorte de halte pastorale
Mozart ne veut plus séduire, il affirme, il se bat, il tambourine aux portes de la Société Viennoise pour être entendu. En vain.
4-- Allegro assai
Préparé, par l’énoncé du thème, par deux fois, ce mouvement s’élance vers une avancée tumultueuse et presque violente.
Fusées de notes, fugatos de thèmes, cette puissance ne va vers aucune affirmation, aucune résignation non plus.
Simplement avec ses assauts, le mouvement semble piétiner et ne se termine par aucune coda triomphale.
Comme si cette énergie, ce combat ne pouvait aboutir qu’à de nouvelles questions, qu’à des portes refermées.
Cette symphonie est bien une quête, sans victoire, sans aboutissement, si ce n’est toutes les étincelles allumées le long de ses palpitations haletantes.
"Vous irez, grâce à la puissance de la musique Avec joie au-delà des ténèbres de la mort". (Mozart : Flûte Enchantée).
Gil Pressnitzer