Wolgang Amadeus Mozart

Quatuors à cordes n° 17 & 18

Mozart à la Haydn

« Entendue en rêve d’une façon extraordinaire par son élève le plus fidèle et son admirateur le plus dévoué et transcrite avec la plus grande précision, en même temps qu’agrémentée de petits compléments correspondant au goût de la mode du temps présent ».
Cette dédicace pourrait être de Mozart vers Haydn, elle est de Schnittke dans son « Moz-art à la Haydn ».

Et en effet les quatuors n° 17 et n° 18 de Mozart sont un vibrant hommage au père en musique, à « papa Haydn ». D’ailleurs la véritable dédicace de Mozart à Joseph Haydn, son aîné de 24 ans, et ainsi rédigée : « Un père qui s’était résolu à envoyer ses enfants dans le monde estima de son devoir de les placer sous la protection d’un homme célèbre qui était également son meilleur ami. De même, je vous envoie mes six enfants à vous qui êtes à la fois un homme célèbre et un ami cher. Ils sont le fruit d’un long et pénible labeur... »

Profondément impressionné par les quatuors op. 33 de Haydn publiés en 1781 « d’un genre tout à fait nouveau et particulier », Mozart voulut se hisser au niveau de son modèle.
Véritable épreuve initiatique, la composition de ces six quatuors devait aboutir pour Mozart à un chef-d’œuvre au niveau compagnonnage ou ne pas exister. D’ailleurs exactement à la même époque, Mozart se lance sur les chemins de la franc-maçonnerie, dans la même loge que Joseph Haydn qu’il aura coopté.

Cette maturation, cet approfondissement et en même temps cette nouvelle sensation pour Mozart de croire accéder aux clefs de l’univers, marque intimement la genèse de ces quatuors.

Depuis plus de 10 ans, il n’avait plus écrit pour cette forme, quand en décembre 1782, il entre dans cette ascèse si complexe qu’est la forme du quatuor. C’est un véritable défi, un dépassement qu’il s’impose et lui, célèbre pour sa facilité de plume, sa rapidité d’écriture, va humblement, comme un simple mortel, ahaner, raturer et douter. C’est ainsi qu’il se lance dans une ambitieuse série de 6 quatuors dédiés « à mon cher ami Haydn ».

Deux ans plus tard, après ce travail long et ardu, trois quatuors voient le jour, mais le déclic avait eu lieu et la confiance revenue, aussi les trois derniers, dont le 17e et le 18e furent simultanément écrits en deux mois à peine : le 9 novembre 1784, le Quatuor en si bémol majeur « La chasse », et le 10 janvier 1785, pour le Quatuor n° 18 en la majeur.

Toutes les nouvelles conquêtes de Haydn sont là : choix rigoureux des thèmes et leur élaboration, développements à partir de ceux-ci ou de fragments de ceux-ci, utilisation sublimée de formes populaires, finales en forme de rondos ou de variations. Mais Mozart apporte ses couleurs : à la trop franche lumière diatonique il oppose ses ambiguïtés chromatiques ; au climat franc et direct, ses ombres et ses angoisses vite dissipées dans une pirouette.
Glissé « dans la peau de son modèle », Mozart est à la croisée des chemins musicaux, d’autant plus que l’immense source de Bach se révèle à lui en avril 1782.

Ce carrefour de situations : égaler, sans décevoir, son père musical, se dépasser lui-même, restituer ses nouvelles valeurs philosophiques, intégrer le prodigieux apport polyphonique de Bach. Tout cela donne naissance à ce tournant de la musique mozartienne et de la musique de chambre tout court : les 6 quatuors dédiés à Haydn. De toutes ces ratures, ces corrections fébriles, ces hésitations, sont nées un bloc radieux de musique : Mozart pouvait se mesurer à tous ses pères à la fois, il était enfin émancipé comme le prouvera la suite de son histoire. De ce monument à l’émancipation de l’homme et du musicien il est souvent donné de jouer les deux à la fois.

Quatuor n° 18 en la majeur K 464

Frère jumeau discret et concentré du précédent, ce quatuor a été composé à peu près simultanément. Il voit le jour deux mois après. Toute la phase de mûrissement a donc été commune, mais entre les deux il y a un événement lourd de sens pour Mozart, qui là encore suit les chemins de son « maître de musique »: le 14 décembre 1784 il s’affilie officiellement à la franc-maçonnerie à la loge « A la bienfaisance" » Le 7 janvier il accède au rang de compagnon.
Aussi le quatuor en la majeur est sa première grande œuvre officielle après cet engagement, et il est terminé le 10 janvier 1784. Mozart a donc voulu se montrer digne de ces deux vassalités Haydn et la Raison. Le finale se veut une apothéose de ses vœux avec un tissu polyphonique très dense ou le triomphe du contrepoint célèbre aussi celui de la rationalité. Mais comme d’habitude chez Mozart rien n’est vraiment simple et ce quatuor initiatique, qui se doit de franchir victorieusement les épreuves de la parole et du silence, commence… par un mouvement de valse De plus le climat général est loin d’être triomphant et déclamatoire : des brusques silences, des envolées lyriques, des passages voilés de brume nous ramènent au cœur du mystère Mozart. Pourtant au-delà des apparences de grâce, Mozart tisse une grande complexité. En fait c’est le plus beethovénien des quatuors de Mozart et Beethoven ne s’y est pas trompé qui le chérissait entre tous. Ce quatuor comprend les mouvements suivants :

1 – Allegro
2 - Menuetto3 - Andante avec variations4 - Allegro non troppo

Dans cette œuvre exigeante Bach, Haydn et la nouvelle foi sont exaltés. Et l’auditeur se souvient longtemps du lyrisme du début et des étonnants effets de tambour dans l’andante et surtout du finale objet poli et parfait.

Quatuor n° 17 en si bémol K 458 «La chasse»

Mozart a longtemps travaillé sur ce quatuor, pendant près de vingt mois mais surtout par intermittence, et il a voulu faire de cette œuvre un hommage au style de Haydn, un aboutissement aussi. Pour cela il a multiplié les clins d’œil, depuis les motifs de chasse du premier mouvement, les imitations de cor de chasse, jusqu’aux chevaux bondissants dans certaines phrases. Mais surtout il a su recréer ce climat extrêmement clair et léger, gracieux et mobile, souvent propre à Haydn. Bien sûr, sa verve propre apparaît, ainsi que dans l’adagio son clair-obscur nostalgique. Le finale se veut virtuose et joyeux. Aussi le propos initial et l’aspect anecdotique sont vite dépassés, et l’apprentissage est transcendé pour aboutir à cette œuvre fraîche et malicieuse. Ce quatuor comprend les mouvements suivants:
1 - Allegro Vivace Assai2 - Menuetto (Moderato)
3 - Adagio4 - Allegro Assai
Le premier mouvement très détendu depuis la fanfare initiale nous entraîne dans un aimable tournoiement, bien loin des réalités cruelles de la chasse. Tout reste de bonne compagnie et le menuet fait assaut d’amabilités. L’univers irréel et en trompe-l’œil de Haydn est ici célébré, mais parfois des soupirs étranges traversent la musique : Mozart joue à jouer, il n’est pas dupe de cette joie insouciante. L’andante est au-delà des conventions, des cœurs en crinoline et il bat sur un rythme bien nostalgique. Mais pirouette d’un garçon de 28 ans qui retrouvait Vienne et ses fêtes mondaines, le finale déboule joyeusement pour oublier la moindre peine.

Gil Pressnitzer