Johannes Brahms

Symphonie n° 1 en ut mineur, Op. 68

Une symphonie ou vingt ans de réflexion et l’attente d’une vie

« Tout romantisme est musique » disait Schumann et il aura appartenu à Brahms de clore cette forme en consumant le XIXe siècle. À sa mort, le monde était déjà ailleurs. Mahler créait à Berlin sa Troisième Symphonie. Puccini avait déjà écrit sa Bohème et le cinéma était inventé, le freudisme aussi.
Brahms aura vécu et agit sur ce monde, en s’interrogeant d’abord avec ferveur, puis avec détachement sur le "mystère de la nature et de celui du coeur humain".Brahms aura été un compositeur à part. Très tôt il aura développé ses goûts et sa culture littéraire qui était immense. mais pour cela il lui aura fallu voler le feu aux Dieux. car ses parents, gens plus que populaires, ne possédaient rien, si ce n’est les quelques rudiments musicaux de son père. contrebassiste dans d’improbables bouges.
Brahms a toujours gardé le mystère sur sa formation jusqu’à son apparition éclatante à 20 ans devant Schumann qui salue dans cette épiphanie l’ami attendu en musique par le thème "d’élu". Cette apparition messianique cache bien des faces sombres sur les années d’apprentissage du jeune Brahms, sa révélation de la haute poésie, ses goûts très sûrs. sa connaissance des grands anciens.
Combien d’humiliations musicales ou autres auprès de son père, dans les concerts de "jeune prodige". dans les bars à matelots pour gagner son pain ?On ne sait rien de sa vie amoureuse, de ses élans. De ses sentiments pendant cette période qui se termine par cette incarnation apparue un beau jour à Düsseldorf.On peut imaginer ses rapports avec le piano ami et consolateur, ses improvisations pendant de longues nuits blanches, sa vie sans garde-fou ni chemin tracé. On peut simplement affirmer qu’il fut un enfant prodige avec des précocités musicales hors du commun.
Lui qui n’aura pour ainsi dire jamais connu l’école, aura suivi celle de la vie, dans ce port fascinant et dangereux qu’était Hambourg.Dans tout ce que Brahms ne dira jamais sur sa jeunesse. on peut simplement lire son amour violent pour la composition, sa fascination pour le piano et le violon, et surtout sa vénération des petites formes. Une grande méfiance des formes symphoniques était alors ancrée en lui.Ce bel autodidacte, à la fragilité diaphane d’un ange apparaissait dans toute sa fragilité, alors qu’il nous reste l’image d’un Brahms robuste et chênu adoré par Vienne et cultivant d’académisme.

Le « Rose Bud » de Brahms, pour paraphraser Orson Welles, son mystère d’enfance révélant sa personnalité complexe. il faut le chercher dans ses découvertes brûlantes des poètes à moins de quinze ans, et surtout dans ses très longues promenades sur les rives de l’Elbe et sa proximité avec les forces primitives qui entouraient la ville : landes immémoriales, forets menaçantes. rochers déchiquetés, mer fermée par le couvercle oppressant du ciel.Les tableaux d’Emil Nolde sont la meilleure illustration de ce qui sera à jamais le paysage mental de Johannes Brahms.
Cette nature obscure et ce désordre des choses, Brahms en fera sa famille, ses résonances musicales profondes, et il tâchera de les transcrire.
Pour porter ces profondeurs à l’âge d’homme il n’avait point besoin d’évoluer par la parole ou les grandes architectures.Les premières vagues de sa mer intérieure trouvaient leurs correspondances énigmatiques dans l’intimité de la musique de chambre.Les couchers ensanglantés du soleil, les brumes du nord parfois opaques, parfois vaporeuses, il les portera enfouis et cachés en lui.En tendant l’oreille sa musique nous en parle encore et toujours, avec son poids de solitude, son sens des mystères, son désenchantement du monde.D’adolescence en convalescence, de rencontres en secrets enfouis, Brahms s’est bâti presque lui-même.
Et puis l’heure a fini par venir où Brahms a pu lever la tête et remonter peu à peu du feu vers la lumière.Et presque contre son gré. il va devoir s’affronter à la forme symphonique, après avoir tout fait pour retarder ce moment d’entrée en symphonie.La symphonie, sorte de morceau immortel transmis d’initié à initié par le sang des notes, se dressait comme la fin de l’universVers 1850 cette forme mythique était sacrée pour les critiques et les auditeurs. et elle semblait avoir le pouvoir de changer le monde en refondant les échos de la nature et les pulsations de l’intime.
Car cet enfant prodige a eu en fait un développement assez tardif et malgré des esquisses jetées sur le papier dès 1853, ce n’est que bien plus tard qui se fera la cristallisation.Malgré toutes les "symphonies voilées" que Schumann décelait dans ses pièces pour piano, Brahms n’osait franchir le pas.La tentative d’ébauche d’une symphonie en ré mineur en 1854, écrite sous le choc de la chute dans la nuit de Schumann, se transformera en sonate pour deux pianos.Les véritables bancs d’essai seront en fait le Premier Concerto pour piano en ré mineur (1858), les deux Sérénades pour orchestre (1859) ci surtout les Variations sur un thème de Haydn qui seront son ultime réglage.Pour un compositeur qui avait déjà derrière lui le Requiem allemand, le passage à l’acte sera particulièrement long. Brahms aura vraiment travaillé pendant quatorze ans à sa Première Symphonie et il y aura réfléchi vingt ans.
On évoque souvent l’ombre écrasante de Beethoven, il faut surtout y ajouter l’extraordinaire attente de Vienne cherchant un chevalier blanc contre les miasmes wagnériens. Mais plus que tout cela, ce sont les encouragements impérieux de Schumann et la crainte de décevoir Clara Schumann, qui devaient l’inhiber si profondément.On ne sait rien des esquisses avant 1862, si ce n’est cette légende d’une plume ramassée sur la tombe de Beethoven et avec laquelle il devait écrire sa symphonie. Ce besoin de filiation, même par mensonge pieux interposé était en fait plus paralysant qu’exaltant.Brahms dompta ses élans dramatiques et se mit humblement en apprentissage des formes anciennes. consultant les vieilles partitions s’initiant aux grands mystères anciens. Il entreprit de canaliser ses eaux débordantes.
La Première Symphonie fut achevée définitivement à l’automne 1876, avec une écriture commencée par exemple pour le premier mouvement dés 1852, l’introduction mystérieuse et angoissante étant écrite juste avant la première exécution.La création aura lieu le 4 Novembre 1876 à Karlsruhe et trois jours plus tard, mais avec Brahms à la direction. à Mannheim puis à Munich. Enfin, véritable apothéose. le 17 décembre à Vienne.
Car cette entrée en symphonie est aussi l’achèvement du désamour entre Brahms et sa ville natale Hambourg, et aussi la dernière porte qui se ferme entre lui et tous ses rêves fous d’évasion du jeune archange de l’Allemagne du Nord. Il est maintenant établi dans la rigueur et la pureté classique du foyer de substitution confortable que sera Vienne.On ne voit la circonférence d’un homme que le jour où il a gagné son centre.Si la plupart se perdent avant plus ou moins, heureusement Brahms lui vient de se trouver.Même s’il va être récupéré, instrumentalisé (la fameuse idiotie sur la Dixième de Beethoven !), Brahms est devenu autre.
Notons que l’orchestre utilise par Brahms est très proche de celui de Beethoven, avec toutefois un usage des timbales plus omniprésent. L’organisation est aussi semblable : bois par deux, cuivres traditionnels, traitement des cordes. structure en quatre mouvements. Mais tout est pourtant différent, et tout Brahms est là avec sa poussière de mélancolie, son climat sombre, ses chants et sa poésie typée.Là où devrait être un combat contre la nuit, s’installe plutôt un monde lyrique. véhément et nostalgique.Brahms ne laboure pas la terre de la symphonie comme Beethoven toujours en guerre sacrée. Il retourne seulement le sol et toute la nature remonte après. ce travail dense, profond, respectueux.Et Brahms introduit pour la première fois dans le monde de la symphonie une complexité polyrythmique étonnante.
Brahms a fait beaucoup plus qu’écrire une symphonie, il a joué à ce moment, à quitte ou double avec sa vie de compositeur, et aucune de ses compositions n’aura autant compté pour lui. Il a su sortir du clair-obscur incessant de son langage précédent pour presque dire "après moi le soleil" sans abdiquer aucune des houles toujours vivantes en lui.Il n’a pas voulu prendre la vie comme elle vient, car elle vient souvent très mal en fait, il l’a canalisée reconstruite.
Ce miracle-là s’appelle la Première Symphonie. après, tout redevient possible.

Symphonie n°1 en ut mineur
1- Un poco sostenuto Allegro
2- Andante sostenuto
3- Un poco allegretto e grazioso
4- Adagio ; Allegro non troppo, ma con brio.

Dans le bloc des quatre symphonies que Brahms réalisa en deux coulées (1876-1877 et 1883-1885), soit au tournant critique de son âge. de 43 ans à 52 ans, haute époque à la fois de sa maturité et de son glissement vers un certain désespoir intérieur, la Première Symphonie est forcément un cas à part et ne ressemble point aux trois autres.D’abord tabou brisé des ombres obsédantes de Beethoven et de Schumann, elle se devait d’être le "chef-d’œuvre"’attendu par tous, et le condensé de tout le savoir et la maîtrise de ce Brahms dont on attendait, qu’à lui seul, il sauve le monde classique et repousse dans la nuit les hordes wagnériennes et brucknériennes.
Cette libération de la parole, cette lutte contre l’occupation d’une musique dite de l’avenir et qui faisait peur à toute l’Europe bien pensante. et à Vienne en particulier, il lui fallait une incarnation sonore pour lutter contre le chaos qui s’approchait.Plus qu’une symphonie, Brahms devait à Vienne une parabole, un symbole. une distance habitée qui permettait à la fois de ressusciter Beethoven brandit comme un rempart contre les "nouveaux les Turcs" alors qu’il était moqué de son vivant. et aussi d’asseoir la suprématie d’un ordre classique pour longtemps.Cette peur de l’évolution. cette panique devant le temps qui passe sera encore plus exacerbée à la fin du siècle, à la fois syndrome politique d’un empire austro-hongrois, banquise qui se craquelle et sentiment diffus du déclin qui s’approche.
Et pourtant les ennemis ne viendront point de l’extérieur de la Cité, mais du coeur mène de la ville : les Mahler, Schoenberg et autres feront éclater celle tradition arc-boutée que l’on retrouve à nouveau dans l’Autriche contemporaine, avec ses festivals figés et ses montées de fièvre nationaliste,Il était donc échu à un étranger. cet Allemand du Nord, Brahms. d’ériger une digue de conformisme pour repousser le temps et donc la mort abstraite. Mais Brahms, bien que récupéré, mis en avant dans cette lutte qui l’indifférait profondément. encensé jusqu’au ridicule par Vienne, ne. se prête à ce jeu de déification qu’avec dédain.Il aimait bien qu’on l’interpelle lors de ses longues promenades avec le titre de Herr Doktor, même par les prostituées dont il fut un client assidu.

Mais sa devise profonde "FA.E." (Frei aber einsam - c’est-à-dire libre mais solitaire) il l’a vécue pleinement sans aucun renoncement, sans jamais s’illusionner sur la vanité du monde et sa toute dernière œuvre, les quatre Chants sérieux, est un atroce cri de désespoir et de doute.Brahms sera apparemment l’homme qui arrête le temps, qui bloque te langage dans une parole attendue et reconnue, le "maître-chanteur de Vienne", qui permettra de repousser le monde noir des métamorphoses du trouble magicien Wagner.Mais quelle erreur !

Comme si on pouvait faire écrire des conformismes à l’orgueilleux Brahms, il va dynamiter le système de l’intérieur, et sous la science de l’équilibre, des alchimies anciennes du contrepoint ou de la passacaille, il fait entendre une musique aussi radicalement neuve que celle de "ses adversaires" et qui résiste mieux au temps, car bâtie sur le socle fertile de la masse sonore, plongeant ses racines dans les Anciens, mais surtout dans des alliages où romantisme et musique ancienne respirent à l’unisson.Schoenberg ne s’y trompait point, qui trouvait Brahms encore plus révolutionnaire que Wagner ou Bruckner.

Ce mélange de sagesse et de folie résignée, d’obscurs désastres et d’élans, est celle d’un homme particulier qui ne croit pas la vie de l’amour possible, peut être même à pas celle de l’amour du prochain.Lui connaît tout le prix de l’éphémère du temps de la vie humaine qui se rétrécit sans arrêt.
De cette peau de chagrin de nos jours. Brahms aura su faire un monde, parfois gris en surface, mais qui palpite d’ombre et de tendresse, du sourire de celui qui a été changé par une sorte de suicide sans cesse remis grâce à la musique qui ne peut mourir en lui. Brahms savait aussi bien la vie dont il n’attendait plus qu’un certain confort, le flamboiement de la nature tant aimée, et aussi la musique des autres. Il fut peut-être le meilleur connaisseur de la musique ancienne.Sa liberté insolente fut de ne pas rechercher le bonheur ni dans sa vie, ni dans sa musique.

"N’ayez pas peur du bonheur, il n’existe pas" (Houellebecq).Cela pourrait être une autre de ses maximes. Alors il évoluait. il vivait dans un monde sans amour, dans une société qui avait transformé les amours avoués en bonheurs écrasants, ou en amourettes à la Schnitzler.Cette phase de sa vie, après les élans brisés de sa jeunesse, la perte de son état d’archange de la nouvelle musique qui avait terrassé Schumann, ses tentatives avortées d’aimer avec générosité et tendresse, la fuite de sa mer du Nord, de sa propre mère, cette phase de sa vie était sans illusions mais sans amertume.Dans les symphonies de Brahms, il s’agit bien de la vie aussi avec ses émerveillements, ses angoisses et sa rare gravité. mais aussi des clairières de lumineuse espérance en la tendresse, de consolation plutôt.

La Première Symphonie malgré tout le manque évident de naturel pour une œuvre épiée, attendue de façon messianique. et que l’on porte en soi pendant vingt ans alternant doutes, vide et certitudes, cette symphonie est la plus symbolique de l’œuvre de Brahms : un triomphe sur tes ténèbres, sur l’enchaînement du temps et du silence, une réponse à tout ce qu’avait tant espéré de lui Schumann.Brahms a réussi à cicatriser par cette œuvre une immense blessure par laquelle s’écoule et le temps et le peu d’amour qui restait en lui.Ce lyrisme étonnant qui transperce l’oppressant premier mouvement si inquiétant avec ce côté noir. entêté, fouetté par ces battements de timbales, ce lyrisme sera sa manière à lui. Brahms, de déposer sa vie dans le poids des notes, de risquer le défi et de vaincre aussi le malheur,À cet homme, qui si souvent a éprouvé le vide des jours. mais aussi le souffle fraternel des forêts, il fallait passer une redoutable épreuve de libération.

Sa Première Symphonie le sauve de l’esclavage de l’imitation donc de, l’impossibilité à vivre. Toutes les traces du combat sont gravées sur le tronc de la musique de la Première Symphonie.
Après la lourde et opaque introduction, et l’absence de lumière de tout un mouvement qui se doit être arc de triomphe grave et déterminé pour entrer dans le monde sacré de la symphonie. Brahms dans le second mouvement quitte l’aridité de l’affirmation pour dans un très lent mouvement, ouvrir les sortilèges entre homme et enfance que portent ses mélodies.Le hautbois et la clarinette souvent mis en avant donnent le temps du temps. Le regard des arbres et des mouettes passe dans ce romantisme à la Brahms, c’est-à-dire profondément consolateur et mystérieux.Musique avec absence d’angoisse. où parfois un violon s’envole haut dans le ciel où les rêves de Brahms reviennent, non engloutis, non naufragés parla vie.

À quarante-trois ans, Brahms connaît toute la force du songe suspendu.Le très court troisième mouvement est aussi une rupture avec ce qui était attendu. Là où doit normalement se dresser un vigoureux scherzo bâti sur des danses rudes ou chasseresses, Brahms esquisse juste un certain sourire.Nous sommes encore dans les sous-bois et avec une musique qui avance par rapport au temps arrêté de l’andante. Brahms déploie une sereine déclaration d’amour à tout ce qui vibre dans les arbres et les feuilles.

Le dernier mouvement est le plus vaste et aussi le plus construit. Il est en trois parties. Débordant de richesse et de complexité. il est aussi déroutant que le début de la symphonie.Le thème principal n’apparaît que lentement dévoilé au travers des rideaux des pizzicatis des cordes. des jeux indécis d’accords. Après ce mystère mis en place, et martelé par les timbales, un climat solennel (à propos Bruckner n’est pas loin !) avec cordes en trémolos, cuivres en choral, va faire place nette à une immense montée dynamique.C’est seulement plus de cinq minutes après le début du mouvement que le thème énoncé dans le grave des cordes et volontairement cousin génétique de celui de l’Ode à la joie de la Neuvième Symphonie de Beethoven, que ce thème apparaît triomphalement.On notera encore la présence et l’importance des timbales dans cette œuvre,
Ce conflit sonore enfin résolu ne pouvait l’être que par rapport à Beethoven, convoqué à ce glorieux finale où toute la science de la dynamique et des formes anciennes peut se déployer dans une force étonnante.Ce flot d’énergie ne coule pas comme une lave sonore, il se permet des méandres rappelant les îlots de tendresse.
Et tout un jeu très subtil entre mélodie principale et mélodies secondaires, déferlement sonore et plages de sérénité, se déroule subtilement.

Brahms se livre, en secret de l’auditeur, à un formidable travail de tressage des motifs, des échelles sonores. des couleurs de l’orchestre. Mais le plus frappant est l’exaltation retrouvant ses compositions de sa vingtième année. L’emportement des espoirs d’alors se joint A la joie intérieure d’avoir triomphé de ce péril immense qu’était de redonner vie à la symphonie. Avant l’explosion effervescente de la fin, comme pour un rappel à l’ordre, Brahms nous fait replonger dans l’ombre noire.
Comme dans un cadran solaire apparaît souvent une maxime désespérée, ensuite la coda glorieuse peut éclater, Brahms nous a rappelé que si la vie est partout, elle se retire très vite. Des coups de boutoir de l’orchestre concluent l’œuvre, mais sans le désespoir de la Sixième de Mahler. Brahms peut avoir le sentiment d’avoir à la fois vaincu l’immatériel des fantômes affectueux qui l’écrasaient et d’avoir aussi terrassé la matière en domptant la forme symphonique dans une apothéose de réconciliation entre l’embrasement total du romantisme et les digues de la raison des formes classiques.
Ce long voyage entre grincements du vent et découragement, entre sa maturité et sa réputation, était achevé. Brahms avec sa première symphonie venait de se libérer.

« Celui qui sait ne parle pas, celui qui parle ne sait pas ».

À ce moment de sa vie Brahms savait déjà, et il a su parler, sans fermer aucune des portes de sa jeunesse, sans s’assimiler au milieu réactionnaire de Vienne, simplement en participant consciemment et mystérieusement à l’âme du monde.Et il demeure, dans ses secrets, dans sa sourde lumière, dans ses élans et ses tendresses, hautement ancré dans ses fidélités, quand bien d’autres musiques passent."Pour moi la musique est toujours la langue qui permet de s’entretenir avec l’au-delà " disait Robert Schumann. Brahms, son meilleur ami, aura su ancrer tous les mystères de l’univers sensible dans un royaume sonore, ordonné et bâti sur le socle solide de celui qui sait.
Aussi, même s’il n’est point le plus direct des compositeurs, sans trêve nous revenons vers lui, n’épuisant jamais toutes les pulsations qu’il a su faire vivre.Les forêts de sa vie sont devenues des musiques, des silences d’herbe, des cris du vent, des secrets violents.

La Première Symphonie de Brahms est plus qu’un ensorcellement, elle représente la forme poétique de son exorcisme.

Après Brahms devient libre avec tout son avenir immédiat délivré des autres et de lui-même.

Gil Pressnitzer