Gustav Mahler

Symphonie n° 2 dite « Résurrection »

La symphonie existentielle

Une si longue attente

Il est difficile d’imaginer la difficile gestation de cette symphonie alors qu‘elle est une des plus jouées aussi bien du vivant de Mahler que maintenant. Plus de 135 enregistrements attestent de sa gloire tous les orchestres du monde veulent s’y aventurer.

La Deuxième symphonie semble d’une seule coulée, emportant l’auditeur vers l’élan final, vers l’au-delà. Pourtant elle aura mis plus de six ans à venir au monde. Elle a une genèse très particulière dont la première partie est écrite ailleurs (voir la page Totenfeier).
Elle avait commencé à être écrite dans la foulée de sa première symphonie, explosion juvénile, elle verra le jour à 34 ans, quand Mahler est bien installé à Hambourg et proche de sa conversion de juif en chrétien.
Mahler aimera toujours cette œuvre et en ferra sa carte de visite auprès des orchestres :
« Ma Deuxième pourrait-elle cesser d’exister sans perte irréparable pour l’humanité ? » (lettre à Foster).
Mahler l’a dirigée treize fois et l’a choisie pour son concert d’adieu à Vienne afin de marquer la fin de son règne de 10 ans comme directeur de l’Opéra de Vienne. Sa Deuxième fut aussi la première de ses symphonies qu’il dirigea à New York en 1908 et la première de ses œuvres qu’il dirigea à Paris en 1910.
Cette symphonie devient le Prototype des symphonies mahlérienne à venir. avec ses luttes, son ampleur symphonique, ce fleuve qui avance sans cesse.
Commencée à 28 ans en 1888 à Leipzig, dans la foulée de sa Première symphonie et la joie intense de la composition, elle donne ce poème symphonique, Totenfeier, « fête des morts », qui restera isolé pendant cinq ans.
Mahler nommé directeur de l’Opéra de Budapest à la fin de l’année 1888 n’a plus le temps de composer. Et il met l’œuvre dans un tiroir surtout après les paroles méchantes de Bülow : "Si ce que j’ai entendu est de la musique, alors je ne comprends plus rien à la musique ».
«Le jour où je lui ai joué ma Totenfeier, il s’est mis dans un état d’excitation nerveuse, disant, tout en gesticulant comme un dément, qu’en comparaison Tristan était une symphonie de Haydn. Tu vois, j’en suis presque réduit à croire qu’ou bien mes choses valent moins que rien, ou… Complète et choisis toi-même ! J’en ai pour ma part plus qu’assez !» (Mahler à son ami l’archéologue Fritz Löhr, décembre 1891)
Mahler se résigne à n’être que chef d’orchestre, soit, mais le plus grand. Son poème Totenfeier retourna dans un tiroir, pour n’en sortir qu’au cours de l’été 1893, moment enfin apaisé dans la vie de Mahler. Il écrit alors à Budapest un andante et un scherzo. Puis plus rien, le finale qu’il voulait grandiose lui échappe. Un blocage psychologique autant que des doutes l’assaillait. Mahler piétine et renonce.
À 34 ans il termine son œuvre, mais il est un adulte meurtri à la fin de ce voyage.

Les nœuds se brisent

La mort de Hans Bülow va tout débloquer. D’abord il s’agit un peu de la mort du père, Bülow étant son patron à Hambourg. De plus Bülow était le mari de Cosima, la femme puis la veuve terrible de Wagner que Mahler vénérait jusqu’à l’étouffement, mais il était aussi le créateur de Tristan du même Wagner, l’œuvre des œuvres pour Mahler. Mais qui devait le bloquer artistiquement.

Lors de la cérémonie funèbre le chœur entonna une Ode de Klopstock. Ce fut le choc, la révélation, il va l’utiliser en y ajoutant ses propres vers. Il est libéré et croit entendre par ces voix, les réponses enfin attendues. Pour le final, Mahler songeait déjà à un grand ensemble réunissant un chœur, deux solistes et l’orchestre à son complet. Mais il lui manquait l’étincelle d‘un texte. L’illumination vint :
«L’état d’esprit dans lequel j’étais là, songeant au défunt, correspondait exactement à celui de l’œuvre qui me préoccupait sans relâche. Le chœur à ce moment précis entonna le choral de Klopstock Résurrection ! J’en fus frappé comme d’un éclair, tout était devenu limpide, évident. Le créateur vit dans l’attente de cet éclair : c’est son Annonciation. Il me restait à transposer en musique cette expérience. Et pourtant, si je n’avais déjà porté cette œuvre en moi, comment aurais-je pu la vivre ? » (17 février 1897).

De retour à la maison, il s’assit immédiatement et commença les ébauches du finale sur le thème de la résurrection. La composition comme telle fut terminée en trois semaines. À l’été 1894, il peut orchestrer la partition qui sera créée à Berlin, le 13 décembre 1895, et en avant – première par Richard Strauss.

La vie et la mort de von Bülow ont donc joué des rôles de catalyseurs dans la création de la Deuxième. Un véritable conflit s’est dénoué par la mort de l’autre. Par ses paroles injustes au sujet du premier mouvement Bülow avait anéanti la confiance de Mahler, sa mort délivra et l’homme et le créateur.

La signification existentielle

Plus qu’une musique c’est une vision. Vision spirituelle et métaphysique et aussi description des combats tumultueux pour arriver à la lumière. Le thème est vieux comme le monde : le problème de la vie et de la mort résolu par la résurrection.
Bien des forces antagonistes se combattent, en cela elle est la plus beethovénienne des musiques de Mahler.
« Le chaud et le froid » s’y mêlent, les contradictions aussi. Le premier mouvement est brutalement dénoncé par le gracieux mouvement suivant, qui lui-même est montré du doigt par l’étonnant scherzo parlant des ambiguïtés du monde. De son impossible rédemption : ainsi va le cours du monde.

Spirituelle et métaphysique, très ambitieuse, elle est aussi très ambiguë, à cheval sur deux mondes. Le monde juif natal de Mahler avec ses questionnements et ses angoisses, et le nouveau monde chrétien du nouveau converti. C’est la seule œuvre véritablement chrétienne qui tienne pour évidente la vie éternelle et la ressuscitassion des corps. Mahler y adhère.
C’est aussi la première à faire intervenir les voix et le cycle des « Wunderhorn », source médiévale et populaire qui sera sa fontaine pendant longtemps.
Walter avait compris plus profondément cette œuvre : « Malgré les forces sonores qui s’y déchaînent, on ne peut point cacher les tourments intérieurs et la nostalgie qui règne ». Derrière les élans triomphaux et le credo asséné, tout n’est pas si sûr et toujours revient cette « Weltschmerz », cette douleur au monde, qui est ancrée en Mahler.
Mahler est pétri d’angoisses existentielles, et pour un moment il croit, et le croit vraiment, à des réponses théologiques.
Mais ce mal de vivre sera le plus fort chez lui.
Ces mots de Mahler destinés à Bruno Walter montrent ses tentatives de négation de cet état :
" Plus que jamais, la soif de vivre me tient au corps, plus que jamais je trouve agréable la douce habitude d’exister. Comme il est absurde de se laisser submerger par les tourbillons du fleuve de l’existence ! D’être infidèle ne fût-ce qu’une seule heure à soi-même et à cette puissance supérieure qui nous dépasse ! [...] Qu’est-ce donc en nous qui pense et qui agit ? Comme c’est étrange ! Lorsque j’écoute de la musique ou lorsque je dirige, j’entends très précisément la réponse à toutes ces questions et j’atteins alors une sécurité et une clarté absolues. Mieux, je ressens avec force qu’il n’existe même pas de questions ! "
Mais les questions sont là, et cette symphonie tente d’apporter des réponses.

Gustav Mahler écrivait à propos de sa deuxième symphonie : « Quand je conçois une grande peinture musicale, j’en arrive toujours au point où je dois m’adjoindre la parole comme support de mon idée musicale. Il doit en avoir été ainsi de Beethoven dans sa neuvième ; seulement l’époque n’a pas pu lui livrer pour cela les matériaux appropriés. Car au fond, le poème de Schiller n’est pas capable de formuler l’inouï qu’il avait dans l’esprit… Pour moi, dans le dernier mouvement de ma Deuxième Symphonie, il se passe simplement ceci que j’ai véritablement exploré la littérature du monde entier jusqu’à la Bible, pour trouver la parole rédemptrice. Profondément caractéristique pour l’essence de la création musicale est la matière dont j’ai reçu l’inspiration. Je portais en moi depuis longtemps la pensée de placer le chœur dans le dernier mouvement, et seul le souci qu’on puisse ressentir cela comme une imitation extérieure de Beethoven me fit toujours hésiter ».

Mahler a écrit de nombreux programmes pour aiguiller l’auditeur et ne plus risquer les malentendus précédents. Il explique donc ainsi, en plusieurs programmes de moins en moins explicites, mais qui convergent sur cette narration :
Dans le premier mouvement, le héros symphonique est porté en terre après un long combat "contre la vie et le destin". Il lance un regard rétrospectif sur son existence, d’abord sur un moment de bonheur (c’est le second mouvement), puis sur le tourbillon cruel de l’existence. Puis sur "la mêlée des apparences" et sur "l’esprit d’incrédulité et de négation" qui se sont emparés de lui (c’est le scherzo). Il "doute de lui-même et de Dieu", "le dégoût de toute existence et de tout devenir le saisit comme un poing d’acier et le torture jusqu’à lui faire pousser un grand cri de désespoir".""Nous sommes devant le cercueil d’une personne étant aimée… Toute sa vie, ses combats, ses passions, ses souffrances et son accomplissement sur terre se déroulent à nouveau devant nous. Et maintenant, dans ce moment profondément émouvant et solennel, lorsque toutes les confusions et les distractions de la vie de tous les jours sont levées comme une capuche devant nos yeux, une voix solennelle apte à frapper les imaginations fait frissonner notre cœur une voix aveuglée par le mirage du quotidien. Puis vient la transfiguration » Tout est dit.

Parcours de l’œuvre

Les mouvements sont les suivants :

Allegro maestoso [Totenfeier]
Andante moderato
[Scherzo]. In ruhig fließender Bewegung — attacca :
»Urlicht «. Sehr feierlich, aber schlicht
Im Tempo des Scherzos. Wild herausfahrend

1- Allegro. Maestoso. Mit durchaus ernstem und Feierlich Ausdruck (D’un bout à l’autre avec une expression grave et solennelle)

C’est l’entrée théâtrale des questions torturantes sur nos angoisses existentielles. Pour la première fois Mahler devient le grand symphoniste de son temps, par l’ampleur et le souffle de sa musique. Bien sûr c’est au travers d’une marche funèbre, si présente dans son œuvre, comme dans son enfance. Cette sombre marche funèbre fait penser à Beethoven ou Wagner, mais Mahler est autre, beaucoup plus tourmenté et dramatique.
Commencé par le vrombissement inquiétant des violoncelles et des contrebasses, ce mouvement va se terminer par un de ces écroulements typique des luttes des héros mahlériens qui meurent debout. Deux thèmes principaux, l’un rageur, l’autre lyrique, tissent ce mouvement. Un choral solennel apparenté au Dies Irae va préparer le finale. Des passages pastoraux, reflet du monde que l’on quitte sont balayés par des épisodes enfiévrés et dramatiques qui montrent la fureur des combats. La fin spectaculaire s’achève par la désagrégation de tensions où la matière sonore s’écroule dans une gamme descendante vertigineuse.

2- Andante moderato. Sehr gemächlich. Nie eilen (Très modéré. Ne jamais se presser)

Ce court morceau contredit totalement la mise en place théâtrale de la symphonie. Mahler demandait d’ailleurs une pause entre les deux mouvements. « Après le premier mouvement, le deuxième n’est pas contraste, mais excroissance, et interrompt en quelque sorte le cours implacable des événements » (25 mars 1903).
Il revient au vert paradis de la Nature au travers d’une sorte de danse paysanne autrichienne, le Ländler, dans la tradition de Schubert et de Bruckner. Tout est calme, douceur et volupté. Ce vieux monde avait ses charmes.

3- In ruhig fliessender Bewegung (Dans un mouvement tranquille et coulant)

Ce mouvement débute abruptement par deux coups de timbales. Mahler indique que ce mouvement évoque « un monde déformé ». Sinueux, il semble aller tout droit à la mer des sarcasmes.
Unidirectionnel et clair ? Pas si sûr, beaucoup d’ambiguïtés sont présentes dans ce scherzo, « on ne sait sur quel pied danser ». À travers un conte, il est en fait question de l’impossible rédemption de ce monde : ainsi va le cours du monde et tous nos beaux sermons n’y changeront rien. La parole des sages est emportée par la folie du monde, sa nature profonde.
Incroyablement virtuose cette musique est ondoyante, glissante. Sarcastique et désabusée sur le salut possible du monde par les paroles ou la musique. Humilité du prêcheur et de l’artiste.
Luciano Berio en entendant Leonard Bernstein dirigeait ce passage fut transporté et bâti son œuvre « Sinfonia » autour de ce mouvement, sommet d’ambiguïté et d’ironie. Le lied « Le prêche de Saint - Antoine de Padoue aux poissons » sur un texte encore du « Cor enchanté de l’enfant » est composé en 1893, simultanément au mouvement symphonique. Mais le traitement n’est pas semblable. À partir de ce moment le lied sera toujours présent, quitte à devenir de lieder imaginaires dans la Neuvième comme le remarque Marc Vignal.
Très élaboré ce mouvement a même des accents tragiques, car Mahler se voit en prêcheur solitaire et non compris, face à la masse des « poissons », le public et les critiques, qui n’entendent rien à sa musique. À la fin du mouvement, un "cri de désespoir" emplit tout l’orchestre dans un vaste tutti. Tout n’est donc qu’illusion, autant célébrer le grotesque et l’éphémère, ce qui fuit, ce qui coule loin de nous. Ce que Mahler fait.

4- Urlicht (Lumière originelle.) Sehr feierlich aber schlicht. Choralmässig (Très solennel mais modeste. Modéré à la manière d’un choral)

Ce mouvement est une courte pause avant l’élévation du finale. Pour la première fois dans l’univers symphonique de Mahler, les textes du recueil « Le cor enchanté de l’enfant » (Des Knaben Wunderhorn), qui va nourrir la suite de son œuvre.
Le texte naïf et touchant est le suivant :

La Lumière Originelle

O petite rose rouge,
L’homme est accablé d’une si grande souffrance !
L’homme est accablé d’une si grande peine !
Comme je préférerais être au Paradis !
J’allais sur un large chemin
quand un ange survint, qui voulait m’en chasser.
Ah non ! je ne me laisserai pas chasser !
Je suis venu de Dieu et sens retourner à Dieu !
Le bon Dieu me donnera une petite lumière,
il m’éclairera jusque dans la vie éternellement heureuse. Urlicht (Des Knaben Wunderhorn)
.

Le choix et du titre et du texte représente cette foi naïve et fraîche qui semble alors animer Mahler, et ses besoins de sortir par le haut, par le ciel, de ses tourments intérieurs. Chant d’espoir renforcé par un choral simple et fervent, cette musique est un avant-goût de la lumière à venir. "La voix touchante de la foi naïve résonne à son oreille" dit Mahler. Notons que le thème du finale passe déjà incognito.
C’est à la voix de contralto qui lui est si chère que Mahler confie la couleur de la pièce. La contralto qui, indiquait Mahler, « devrait chanter comme un enfant qui s’imagine arrivé au paradis ».

5- Im Tempo des Scherzo. Wild herausfahrend. (Dans le tempo du Scherzo. Comme une violente explosion)

Ressusciter, oui, tu vas ressusciter,
ma poussière, après un court repos.
Celui qui t’appela
te donnera la vie immortelle.
Et tu t’épanouiras à nouveau !
Le Seigneur de la moisson passe et nous réunit, comme des gerbes,
nous qui sommes trépassés.

O crois, mon âme, crois
que rien n’est perdu pour toi !
Tu as maintenant ce que tu as désiré,
ce que tu as aimé, ce pour quoi tu as lutté !
O crois que tu n’es pas née en vain,
que ce n’est pas en vain que tu as vécu et souffert !

Ce qui a été engendré doit passer, ce qui est passé doit ressusciter ! Cesse de trembler ! Prépare-toi ! Prépare-toi à vivre !
O souffrance qui pénètre toute chose !
O Mort qui détruit tout, j’ai échappé à ton pouvoir, maintenant, tu es vaincue !

Avec les ailes que j’ai conquises, dans un brûlant désir d’amour, je m’envolerai
vers la lumière que nul regard n’a jamais pu atteindre
Je mourrai afin de vivre !
Ressusciter, oui, tu vas ressusciter, mon âme, seul instant !
Et ce que tu as vaincu
te mènera vers Dieu !

Les vers en italique, ajoutés, sont de Mahler.

Mahler portait ce mouvement final sans doute depuis assez longtemps en lui. Sa nouvelle foi chrétienne le taraudait, et de toutes ses œuvres, celle-ci est de loin la plus chrétienne avec sa croyance sincère en la résurrection des corps, et en l’au-delà. Cette échappée par le haut le quittera par la suite pour un panthéisme généreux, puis une résignation au néant.
Pour lors Mahler est sincère, il a la foi du converti, et ce mouvement qui le soulève, soulève aussi l’auditeur. Pourtant Mahler qui voulait une conclusion chorale, aura longtemps hésité, paralysé avec la comparaison avec la Neuvième de Beethoven. Il fera donc tout dans le traitement du chœur pour se démarquer de Beethoven qui lui attaque sans fard son œuvre. Mahler lui multiplie les fausses entrées, les paradoxes, le suspense, le désir de délivrance de l’auditeur après tous ces mystères. Ses appels de l’infini, ses déchaînements sonores donnent un éclatement sauvage de la musique.
Dans ce mouvement le chœur entre sur la pointe des pieds, il attaque pianissimo, comme par une effraction du ciel.
Les forte n’arrivent qu’à la fin du morceau qui vous soulève il faut y croire pour le comprendre
Ce finale n’est pas exempt de remplissage, de redites et il doit plus au Liszt de la Faust-Symphonie qu’à Beethoven.
Mahler le décrit encore ainsi : "Finale, "c’est la terreur du Jour d’entre les Jours qui se déchaîne. La terre tremble, les tombeaux s’ouvrent, les morts se lèvent et s’approchent en cortèges sans fin. Les grands et les petits de la terre, les rois et les mendiants, les justes et les athées, tous se précipitent. Les cris de gr‚ce et les supplications prennent à notre oreille une sonorité effrayante. Ils se transforment en hurlements de plus en plus terribles. Toute conscience s’évanouit à l’approche de l’Esprit Éternel.
Le GRAND APPEL résonne, les trompettes de l’Apocalypse hurlent. Dans un affreux silence, nous croyons reconnaître un rossignol lointain, comme un dernier écho de la vie terrestre. Doucement résonne alors le chœur céleste des bienheureux : "Ressusciter ! Oui, tu vas ressusciter !". C’est alors que paraît la splendeur divine. Une douce et merveilleuse lumière nous pénètre jusqu’au coeur. Tout n’est plus que calme et bonheur. Et voici qu’il n’existe plus ni justice, ni grands ni petits, ni châtiment ni récompense ! Un sentiment tout puissant d’amour nous emplit de certitude et nous révèle l’existence bienheureuse."
Commencé par un rappel du cri du troisième mouvement qui est une question torturée, le finale se doit d’apporter des réponses. Le thème de la Résurrection perce peu à peu, hésitant et stoppé par le Grand appel du désert. Les doutes et les incertitudes ne sont pas levés, malgré le support d’un choral comme un credo. « Les derniers échos de la vie terrestre" se font entendre. Puis les voix vont déchirer le rideau des angoisses. Non la mort n’est pas l’issue finale. Un long passage orchestral met en scène l’apothéose à venir. Une partie de l’orchestre jouant en coulisse des deux côtés de la scène, fait la jonction avec l’ailleurs. Et la jubilation s’empare de tout l’orchestre qui entre en extase dans la même clameur annonçant la résurrection. Elle est là, les chœurs, les solistes et tous les instruments de l’orchestre le savent et le proclament. Dans un déchaînement triomphal avec l’orgue, le tam-tam et les cloches, 10 cors, 6 trompettes et 2 harpes, ce finale accède à l’éternité. Mahler demande au chef et à l’orchestre de terminer avec « la plus grande force possible ».

Conclusion

Mahler met en œuvre son credo : « Composer une symphonie c’est exprimer tout le contenu de ma vie ».
Cette houle de musique, qui est une marée d’espérance qui emporte tout, est la plus facile entrée dans l’univers de Mahler. Difficile de ne pas se lever en l’entendant tant sont violentes son espérance et sa force.
Ce « Chant nostalgique » plus fort que les forces élémentaires est avant tout une grande œuvre dramatique. Elle est une déflagration cosmique. Elle est subjective et fusionnelle. La Résurrection n’est obtenue que de très haute lutte, après un combat féroce.

Mahler a été fortement rejeté par le monde musical. Leonard Bernstein, analyse cet amour-haine que suscite Mahler :
« Il y avait quelque chose de beaucoup plus profond dans le rejet de la musique de Mahler [...]. Elle frappait de trop près, elle évoquait trop sincèrement nos inquiétudes, nos incertitudes touchant la vie et la mort. Cette musique était trop vraie, elle disait des choses effrayantes à entendre. »
Maintenant nous pouvons les entendre.
Cette symphonie est une porte d’accès idéale à l’art de Mahler.
« Mort où est ta victoire ? » nous dit l’œuvre.
La victoire est dans cette musique.

Gil Pressnitzer